Les habitants de ce quartier de Yaoundé vivent dans des conditions presqu’inhumaines, s’assurant difficilement un repas par jour.La capitale politique du Cameroun offre un visage paradisiaque selon qu’on se trouve dans ses quartiers les plus huppés comme Bastos, Odza ou encore Santa Barbara. Mais tout à côté, dans les contrebas, les vallons et les marécages, il y a une catégorie humaine qui s’accroche à la vie. Elle croupit dans une promiscuité indescriptible dans des taudis où ils côtoient tous les déchets de la ville ainsi que des petits rongeurs.
Situé à proximité du quartier Mvog-Mbi dans le centre ville de Yaoundé, Etam Bafia fait partie de ces faubourgs qui pullulent dans la cité capitale. Il est l’un des plus anciens avec Mvog-Ada. Ses cases aux fondations rongées par les eaux de ruissellement, accrochées aux pans des collines avec des toitures serrées les unes contre les autres, donnent l’impression que le premier vent va les emporter. Nous sommes au coeur de ce village qui résiste à la modernité.
Gustave Ambassa, 19 ans, étudiant à l’université
de Yaoundé I, habite ce lieu et croit même qu’il ne le quittera jamais.
«Je suis né ici, j’y ai grandi et y demeurerai car dit-il, je n’ai pour
seul village que cet endroit». Toutefois, si Gustave ne souhaite pas se
détacher de l’endroit qui l’a vu naître, ce n’est point par plaisir. Sa
famille tire, elle le diable par la queue. Le jeune Ambassa habite une
petite cabane en planches de quatre pièces avec son père, un retraité de
l’armée, sa mère et ses quatre frères cadets. Au beau milieu de ce qui
tient lieu de séjour, une table de six places fait office de salle à
manger et de salle de révision. Un petit poste de télévision disposé sur
un classeur de fortune dans un coin du salon, est le seul objet de
distraction.
Depuis le départ en retraite de son père, sa mère Bernadette, s’active
dans le petit commerce de vivres au marché Mvog-Mbi. Ce qu’elle gagne
permet non seulement à la maisonnée d’avoir sa pitance quotidienne, mais
aussi et surtout à payer les frais de scolarité des enfants, la pension
retraite du père étant «insignifiante».
Odontol et whisky ensaché
«Les conditions de vie dans ce quartier sont très difficiles. Nous avons pas mal de problèmes liés notamment à la cohabitation avec les souris, les moustiques, les cancrelats etc.». Et de poursuivre : «A cette kyrielle de difficultés il faut ajouter le manque criard d’eau potable et les vols récurrents». Pour ce qui est de l’eau potable justement, les populations d’Etam Bafia s’abreuvent dans une espèce de source nichée dans la partie marécageuse du quartier. Une eau qui serait plutôt un grand danger pour les nombreux hommes, femmes et enfants qui la consomment quotidiennement. «Bon nombre d’habitants d’ici souffrent fréquemment de violents maux de ventre, et nous ne doutons pas un seul instant que la cause soit cette eau. Lors du passage du choléra dans la ville de Yaoundé l’année dernière, nous croyions que nous serions les premiers à être atteints», ajoute un voisin de Gustave.
En cette période de fin d’année, l’on observe une très grande affluence dans les bars et autres débits de boisson de tous les «coins chauds» de la capitale. A Etam-Bafia, c’est le whisky ensaché et l’odontol, boisson traditionnelle faite à partir de la fermentation et la préparation au feu du vin de palme, qui sont les compagnons des populations. Dans les «salauds bars», ainsi que sont appelés les bars de fortune qu’on retrouve à travers le quartier, jeunes et adultes se sentent plutôt bien. Ce qui est une bonne affaire pour les détenteurs de ces boutiques. «J’ai ma petite boutique-ci depuis plus de dix ans. Grâce à elle, j’élève mes enfants», confie Mme Assiga. Cette dernière, à peine quarantenaire, déplore le fait que ses enfants n’aient pas la possibilité de mener à bien leurs études, faute de moyens financiers suffisants. «Sur les cinq enfants que j’ai, aucun n’a encore franchi la classe de 3e. Ils passent parfois des années blanches quand il n’y a pas eu d’argent».
Pendant les fêtes, maman Assiga ne peut même pas offrir des jouets à sa progéniture. Ses enfants, les pieds nus, s’amusent avec les autres sur les terrains poussiéreux du quartier. Ils prennent un certain plaisir à effectuer des sauts sur les détritus...
Peut être est-ce la raison pour laquelle le paludisme et les maladies de la peau semblent avoir trouvé leurs nids dans ce quartier. M. Ewong, 43 ans et père de trois enfants, ne sait plus à quel saint se vouer. Il se plaint de ce que, à espaces réguliers, des individus se sont présentés dans leur quartier pour des visites médicales gratuites. Ils leur promettent de repasser leur remettre gratuitement des médicaments pour se soigner. Ce qui n’est jamais le cas. Mais, jamais ils ne les ont reçus gratuitement car, ils déboursent toujours de l’argent pour s’en procurer. Lesdits individus disent être des émissaires du ministère des affaires sociales. En ce qui concerne la distribution gratuite des toiles imprégnées de moustiquaires dans les foyers et aux femmes enceintes, très peu d’habitants avouent en avoir reçu. Ils estiment même que la distribution de ces dernières est discriminatoire. Quant aux organisations non gouvernementales (Ong), aucune trace ne semble indiquer leur passage auprès de ces laissés-pour-compte.
Mise à part la hantise de la survie quotidienne dont sont l’objet les populations d’Etam Bafia, il faut ajouter à cela les menaces perpétuelles de déguerpissement de la police municipale. Ceci maintien ces populations dans une angoisse existentielle, celle de se voir chassées de cet endroit sous lequel sont enterrés de milliers de cordons ombilicaux. En effet, aux alentours de 2005, le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna, avait engagé une campagne d’assainissement visant à débarrasser la ville de Yaoundé de tous les bidonvilles et détruire systématiquement tous les quartiers bâtis dans les zones marécageuses et les maisons implantées en bordure des routes. Au chapitre des zones déjà déguerpies, on peut compter Ntaba, une partie de Mvog-Ada, Bastos Elobi et bien d’autres. Jusqu’ici, les populations d’Etam Bafia restent dans une sorte de psychose, entretenue par une éventuelle visite, à tout moment, des bulldozers du super maire de Yaoundé.