Yaoundé V: Une Conference de Presse de Maurice Kamto interdite
YAOUNDE - 25 JAN. 2012
© Stéphane Tchakam | Le Jour
L’ancien ministre délégué à la Justice entendait expliquer le sens de son retrait du gouvernement, ce mercredi dans la capitale.
© Stéphane Tchakam | Le Jour
L’ancien ministre délégué à la Justice entendait expliquer le sens de son retrait du gouvernement, ce mercredi dans la capitale.
Yaoundé V: Maurice Kamto interdit de conférence de presse
L’ancien ministre délégué à la Justice entendait expliquer le sens de son retrait du gouvernement, ce mercredi dans la capitale.
On n’a donc pas fini de parler de Maurice Kamto, l’ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice. Cette fois, l’ancien ministre démissionnaire a maille à partir avec l’administration.
Le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé V, Locko Motassi Martin, vient d’opposer une fin de non recevoir à l’ancien ministre. Dans une correspondance adressée à la sous-préfecture de Yaoundé V, le 19 janvier dernier, le professeur se proposait d’organiser une conférence de presse le 25 janvier, aujourd’hui donc, à 15 heures à Felydac Hôtel au quartier Mfandena II à Yaoundé. Une rencontre avec la presse dans le but clairement indiqué d’expliquer le sens de son retrait du gouvernement.
Dès le lendemain, dans une lettre datée du 20 janvier 2012 adressée au professeur Maurice Kamto, sous le couvert de Felydac Hôtel et déposée, au demeurant, dans cet établissement hôtelier, le sous-préfet écrit : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’il ne m’a pas été possible de vous délivrer le récépissé de déclaration escompté, votre retrait de vos fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la Justice, objet de votre communiqué en date du 30 novembre 2011, communiqué qui par ailleurs a été relayé par tous les supports modernes de communication, ayant été clair et précis dans l’esprit du Peuple Camerounais à qui vous vous adressiez en général et dans l’esprit des populations placées sous mon encadrement en particulier. Aussi, toute démarche visant à redonner un sens à votre « retrait » du gouvernement après bientôt deux mois, ne peut que constituer une menace à l’ordre public que je ne saurai cautionner ».
Communiqué
Et pour que ce soit encore plus clair, Locko Motassi Martin joint à sa lettre un arrêté numéro 001 / A / J06. 05 / SP, portant interdiction d’une conférence de presse sur toute l’étendue de l’arrondissement de Yaoundé V. En plus d’interdire la manifestation, l’arrêté prévoit que « les responsables des forces maintien (sic) de l’arrondissement de Yaoundé V sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté ». Il ne reste plus alors au gérant de l’hôtel qu’à appeler Maurice Kamto pour lui demander de venir retirer l’argent qu’il avait déjà versé pour la location de la salle.
C’est le 30 novembre dernier que celui qui était encore ministre délégué auprès du vice-Premier ministre de la Justice présente sa démission du gouvernement. Un communiqué adressé au « peuple camerounais » et parvenu à diverses rédactions annonce le départ du professeur, au lendemain d’un conseil de cabinet et alors même que le pays, après la réélection de Paul Biya, bruisse d’un remaniement ministériel imminent. Le professeur, lui-même, est attaqué par un jeune confrère universitaire qui l’accuse ni plus ni moins que de plagiat. En guise d’explications, le communiqué ajoute, assez laconiquement : « Cette décision n’est pas -et ne saurait en aucune manière être interprétée comme- une remise en cause de l’issue de l’élection présidentielle du 09 novembre 2011, à laquelle je n’étais du reste pas candidat ».
Un peu court, trop chiche et en tout cas pas assez pour l’opinion et la presse qui connaissent le personnage. Le genre qui ne dit rien et n’en pense pas moins. Le sentiment est alors très répandu que Maurice Kamto n’a pas révélé les raisons de son départ du gouvernement dans un pays où les rares ministres qui démissionnent ne manquent pas de motifs pour claquer la porte. Garga Haman Adji ou Titus Edzoa notamment. Maurice Kamto a gardé le silence qu’il veut à présent briser. Le sous-préfet de Yaoundé V ne l’entend pas de cette oreille pour qui le communiqué du 30 novembre 2012 est largement suffisant. Dans les chaumières, on dirait au professeur : « Toi aussi ! Tu avais déjà tout dit. Pardon, tais-toi un peu».
Stéphane Tchakam
Manassé Aboya Endong: “Une notion floue et élastique”
Professeur de sciences politiques à l’université de Douala, il explique les contours de la « menace à l’ordre public ».
On a observé que sous le motif de menace à l’ordre public, des sous-préfets interdisent de nombreuses manifestations publiques au Cameroun. Qu’est ce qui peut être constitutif d’une menace à l’ordre public ?
Cette notion de menace à l’ordre public est à la fois floue et élastique dans sa circonscription. Il est important de faire une différence entre la menace à l’ordre public et le trouble à l’ordre public. En effet, la menace à l’ordre public est potentielle alors que le trouble à l’ordre public est réel. Pris dans ce sens, l’administration préfectorale jouit du monopole de la définition et de l’évaluation des conduites ou des individus qui "risquent" de provoquer une menace à l’ordre public. Ce qui leur permet, dans les faits, de prendre unilatéralement des mesures pour la prévenir à travers des restrictions spécifiques.
Une conférence de presse annoncée dans un hôtel de la ville de Yaoundé peut-elle constituer une menace à l’ordre public ?
En principe, non. Mais c’est à l’autorité administrative d’évaluer le contexte et de juger de son opportunité. Surtout que l'ordre public, généralement appréhendé comme la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique est fluctuant. Il peut fluctuer avec la conjoncture !
De quelle voie de recours dispose l’organisateur d’une telle conférence de presse contre la décision du sous-préfet ?
Pour pouvoir tenir la conférence dans les délais prévus, il n’y a que le lobbying qui puisse être efficace, question de faire évoluer l’appréhension de la situation par le sous-préfet, notamment à travers des garanties supplémentaires à lui apporter. Dans le cas contraire, si l’interdiction a été notifiée, elle peut être attaquée devant le juge administratif pour abus de pouvoir. Si elle n’a pas été notifiée, elle constitue une voie de fait susceptible d’être attaquée également. Dans tous les cas, ces voies de recours ne peuvent pas permettre de rattraper l’annulation de la conférence…
Dans la pratique, n’y a-t-il pas, de la part des sous-préfets beaucoup d’abus ?
Bien sûr que dans la pratique, l’invocation des menaces à l’ordre public est souvent déployée à temps et à contretemps pour discipliner certains politiques difficiles à contrôler et se présentant généralement comme peu fiables à l’autorité administrative…
Propos recueillies par Jean-Bruno Tagne
L’ancien ministre délégué à la Justice entendait expliquer le sens de son retrait du gouvernement, ce mercredi dans la capitale.
On n’a donc pas fini de parler de Maurice Kamto, l’ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice. Cette fois, l’ancien ministre démissionnaire a maille à partir avec l’administration.
Le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé V, Locko Motassi Martin, vient d’opposer une fin de non recevoir à l’ancien ministre. Dans une correspondance adressée à la sous-préfecture de Yaoundé V, le 19 janvier dernier, le professeur se proposait d’organiser une conférence de presse le 25 janvier, aujourd’hui donc, à 15 heures à Felydac Hôtel au quartier Mfandena II à Yaoundé. Une rencontre avec la presse dans le but clairement indiqué d’expliquer le sens de son retrait du gouvernement.
Dès le lendemain, dans une lettre datée du 20 janvier 2012 adressée au professeur Maurice Kamto, sous le couvert de Felydac Hôtel et déposée, au demeurant, dans cet établissement hôtelier, le sous-préfet écrit : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’il ne m’a pas été possible de vous délivrer le récépissé de déclaration escompté, votre retrait de vos fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la Justice, objet de votre communiqué en date du 30 novembre 2011, communiqué qui par ailleurs a été relayé par tous les supports modernes de communication, ayant été clair et précis dans l’esprit du Peuple Camerounais à qui vous vous adressiez en général et dans l’esprit des populations placées sous mon encadrement en particulier. Aussi, toute démarche visant à redonner un sens à votre « retrait » du gouvernement après bientôt deux mois, ne peut que constituer une menace à l’ordre public que je ne saurai cautionner ».
Communiqué
Et pour que ce soit encore plus clair, Locko Motassi Martin joint à sa lettre un arrêté numéro 001 / A / J06. 05 / SP, portant interdiction d’une conférence de presse sur toute l’étendue de l’arrondissement de Yaoundé V. En plus d’interdire la manifestation, l’arrêté prévoit que « les responsables des forces maintien (sic) de l’arrondissement de Yaoundé V sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté ». Il ne reste plus alors au gérant de l’hôtel qu’à appeler Maurice Kamto pour lui demander de venir retirer l’argent qu’il avait déjà versé pour la location de la salle.
C’est le 30 novembre dernier que celui qui était encore ministre délégué auprès du vice-Premier ministre de la Justice présente sa démission du gouvernement. Un communiqué adressé au « peuple camerounais » et parvenu à diverses rédactions annonce le départ du professeur, au lendemain d’un conseil de cabinet et alors même que le pays, après la réélection de Paul Biya, bruisse d’un remaniement ministériel imminent. Le professeur, lui-même, est attaqué par un jeune confrère universitaire qui l’accuse ni plus ni moins que de plagiat. En guise d’explications, le communiqué ajoute, assez laconiquement : « Cette décision n’est pas -et ne saurait en aucune manière être interprétée comme- une remise en cause de l’issue de l’élection présidentielle du 09 novembre 2011, à laquelle je n’étais du reste pas candidat ».
Un peu court, trop chiche et en tout cas pas assez pour l’opinion et la presse qui connaissent le personnage. Le genre qui ne dit rien et n’en pense pas moins. Le sentiment est alors très répandu que Maurice Kamto n’a pas révélé les raisons de son départ du gouvernement dans un pays où les rares ministres qui démissionnent ne manquent pas de motifs pour claquer la porte. Garga Haman Adji ou Titus Edzoa notamment. Maurice Kamto a gardé le silence qu’il veut à présent briser. Le sous-préfet de Yaoundé V ne l’entend pas de cette oreille pour qui le communiqué du 30 novembre 2012 est largement suffisant. Dans les chaumières, on dirait au professeur : « Toi aussi ! Tu avais déjà tout dit. Pardon, tais-toi un peu».
Stéphane Tchakam
Manassé Aboya Endong: “Une notion floue et élastique”
Professeur de sciences politiques à l’université de Douala, il explique les contours de la « menace à l’ordre public ».
On a observé que sous le motif de menace à l’ordre public, des sous-préfets interdisent de nombreuses manifestations publiques au Cameroun. Qu’est ce qui peut être constitutif d’une menace à l’ordre public ?
Cette notion de menace à l’ordre public est à la fois floue et élastique dans sa circonscription. Il est important de faire une différence entre la menace à l’ordre public et le trouble à l’ordre public. En effet, la menace à l’ordre public est potentielle alors que le trouble à l’ordre public est réel. Pris dans ce sens, l’administration préfectorale jouit du monopole de la définition et de l’évaluation des conduites ou des individus qui "risquent" de provoquer une menace à l’ordre public. Ce qui leur permet, dans les faits, de prendre unilatéralement des mesures pour la prévenir à travers des restrictions spécifiques.
Une conférence de presse annoncée dans un hôtel de la ville de Yaoundé peut-elle constituer une menace à l’ordre public ?
En principe, non. Mais c’est à l’autorité administrative d’évaluer le contexte et de juger de son opportunité. Surtout que l'ordre public, généralement appréhendé comme la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique est fluctuant. Il peut fluctuer avec la conjoncture !
De quelle voie de recours dispose l’organisateur d’une telle conférence de presse contre la décision du sous-préfet ?
Pour pouvoir tenir la conférence dans les délais prévus, il n’y a que le lobbying qui puisse être efficace, question de faire évoluer l’appréhension de la situation par le sous-préfet, notamment à travers des garanties supplémentaires à lui apporter. Dans le cas contraire, si l’interdiction a été notifiée, elle peut être attaquée devant le juge administratif pour abus de pouvoir. Si elle n’a pas été notifiée, elle constitue une voie de fait susceptible d’être attaquée également. Dans tous les cas, ces voies de recours ne peuvent pas permettre de rattraper l’annulation de la conférence…
Dans la pratique, n’y a-t-il pas, de la part des sous-préfets beaucoup d’abus ?
Bien sûr que dans la pratique, l’invocation des menaces à l’ordre public est souvent déployée à temps et à contretemps pour discipliner certains politiques difficiles à contrôler et se présentant généralement comme peu fiables à l’autorité administrative…
Propos recueillies par Jean-Bruno Tagne