Yaoundé : Le pouvoir fait la propagande de la paix
Yaoundé : Le pouvoir fait la propagande de la paix
Pour célébrer la victoire de Paul Biya, des activistes du parti au
pouvoir ont installé des nouvelles banderoles sur les principales
artères de la capitale.
Les messages de félicitation affluent.
Ceux de certains pays étrangers à l’endroit du président de la
République réélu, Paul Biya, ceux aussi de quelques activistes proches
du parti au pouvoir. L’un des médias les plus prisés par ces derniers
est l’affichage urbain. Dans la ville Yaoundé, sur les principales
artères, sont déployées des banderoles et des panneaux publicitaires,
sur lesquels sont inscrits des messages de félicitation au président
Paul Biya. Message de félicitation, mais aussi et surtout messages
d’appel à la préservation de la paix sociale au Cameroun. A l’instar de
celui-ci : «Le peuple camerounais félicite son excellence Paul Biya pour
sa brillante réélection à la magistrature suprême», exposé devant la
Trésorerie nationale, ou encore «Le peuple appelle à la préservation des
acquis: la paix la stabilité et la démocratie», affiché devant
l’immeuble ministériel n°1 (Immeuble de la mort).
Sauf que pour
l’instant, le succès populaire est loin d’être au rendez-vous. «Ces
affiches ne m’intéressent pas. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi
est-ce qu’on les place en pleine ville, ce n’est pas ça qui me fera
gagner de l’argent», s’énerve un commerçant rencontré ce mercredi 02
novembre 2011. «Honnêtement, c’est vous qui m’informez. Je n’ai même pas
remarqué qu’il y avait de nouvelles affiches étant donné les anciennes
(les affiches de campagne, ndlr) n’ont pas été retirées», indique un
autre passant. «C’est du folklore tout simplement. On n’a certainement
pas besoin de lire tous ces messages pour connaître la nécessité de
préserver la paix au Cameroun.» déclare un autre, qui poursuit: «Tout
cet argent aurait pu servir à la réalisation des choses plus
intéressantes pour l’ensemble des Camerounais»
Soulèvement
Encore
toutes blanches, éclatantes et immaculées, ces banderoles sont pourtant
différentes de celles posées lors de la campagne présidentielle. «Ce
n’est pas surprenant. Car cette technique de communication est loin
d’être efficace», commence Jean Claude Bilana, enseignant de
communication et de publicité à l’université catholique d’Afrique
centrale (Ucac) et promoteur de l’agence Idées neuves. Avant de
poursuivre: «Pour qu’un message soit efficace et pertinent, il faut
qu’il réponde aux canons professionnels. Il doit par exemple être court,
percutant. Or dans ce cas précis, les messages sont mal imprimés, mal
déclinés. C’est l’amateurisme qui est au service de la propagande.»
Comment
dès lors ces supports sont-ils autant sollicités? «Il paraît que c’est
plus facile de faire une banderole que d’utiliser d’autres supports.
Avec 20.000 ou 25.000 Fcfa, vous pouvez faire poser une banderole,
surtout si le message est à la gloire du Président. En plus, les efforts
de conception sont moindres. Du coup tout le monde s’engouffre dans ce
mode de communication», explique cet enseignant.
Pour autant, il
se trouve certains citadins pour saluer cette initiative. «J’apprécie
cette démarche», avoue un passant. «Je pense que c’est une manière pour
les autorités de contrecarrer les messages de soulèvements émis par
certains partis politiques de l’opposition», explique t-il. Ce dernier
met donc le doigt, sur l’une des motivations de cette campagne des
«autorités», effleurée par l’expert sus cité: La propagande politique.
Sinon
pourquoi «assommer» la capitale politique de messages d’appel à la
paix, au lendemain d’une élection largement remportée par le président
Paul Biya (77,98% des suffrages valablement exprimés) et dont on a dit
qu’elle s’est déroulée dans «le calme et la sérénité»? «Ils savent que
la légitimité populaire dont ils se prévalent est fabriquée et donc
artificielle», explique Mathias Eric Owona Nguini. Et le politologue de
poursuivre : «Ils ont besoin dès lors de compenser ce caractère
artificiel par une communication politique qui entend désamorcer toute
subversion visant à faire dérailler le processus institutionnel de
légitimation de leur pouvoir en utilisant la propagande de la paix.»
C’est
dit mais ce n’est pas tout. «L’enjeu stratégique c’est aussi de
répondre aux critiques par la diversion, la manipulation, en installant
dans l’esprit du peuple, la peur de l’affrontement, alors que celui-ci
attend de voir ses conditions de vie être améliorées», conclut Owona
Nguini.
Serge D. Bontsebe et Daniel Ndjodo Bessala (Stagiaire)