Yaoundé : la grande muette sort de son mutisme
Hier matin, des populations de la capitale politique ont été confrontées à un mouvement d’humeur de plus de 200 soldats ayant participé à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Minusca). Les axes Mess des officiers-Assemblée nationale, carrefour Olezoa-monument de la Réunification-Assemblée nationale, carrefour Emia-Assemblée nationale, la nouvelle route Quartier général ont été interdits d’accès aux véhicules durant plusieurs heures.
Il est à relever qu’après avoir effectué l’itinéraire Cefta d’Ekounou-Coron-Mvog-Mbi-Poste centrale-Boulevard du 20 Mai-Primature-Voirie municipale-Mess des officiers-Monument de la Réunification-Quartier général, les manifestants ont terminé leur marche devant les locaux de l’Assemblée nationale. Seuls les piétons, dans une certaine mesure, avaient un droit de passage. Que d’officiers supérieurs des forces armées se sont déportés de ce côté pour quadriller ces manifestants qui en avaient visiblement marre. Plus de peur que de mal.
Au sortir des classes cet après-midi, des milliers d’élèves (davantage les nouveaux) du lycée Leclerc ont eu toutes les difficultés pour retrouver le chemin qui mène chez eux. Toutes les entrées du ministère de la Défense (Mindef), du Quartier général ont été placées sous haute sécurité, avec des militaires armes au point. Et pour cause, plus de 200 soldats (militaires et gendarmes) camerounais ayant participé à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Minusca) ont manifesté mercredi matin à Yaoundé, la capitale du pays. Les hommes en tenue en colère revendiquaient le paiement de leurs salaires et primes versés par l’Union africaine.
Approchés, les soldats visiblement irrités ont exprimé leur ras-le-bol. Sous anonymat, le premier rencontré déclare : «Trop c’est trop, ils ont trop menti le président Paul Biya. Il faut qu’il soit informé de cette situation qui a trop duré. Les gens sont en train de rouler dans les limousines, ils mangent bien et envoient leurs enfants à l’école pendant que nous souffrons après avoir risqué de perdre nos vies au front. C’est vraiment dommage pour nos responsables». Et un autre militaire d’ajouter, pour signifier le traitement peu honorable enduré à leur retour : «Pendant que les soldats des autres pays rentraient chez eux par avion, nous, Camerounais, avions emprunté la route. Pendant qu’ils roulent carrosse et envoient leurs enfants à l’école à l’étranger pour beaucoup, nous nous sommes incapables d’envoyer nos enfants à l’école ici au pays». D’après nos sources, les textes de l’Onu prévoient le versement à chaque soldat envoyé en Rca, dans le cadre de cette mission, une somme de 600.000 francs Cfa environ par mois comme solde. Mais, d’après quelques soldats grévistes rencontrés mercredi, l’État camerounais ne versait que 250.000 Fcfa. Allez donc savoir la voie sinueuse prise par le reste d’argent. Des revendications sont diverses. Les uns réclament huit mois d’arriérées pendant que d’autres évoquent «deux ans et demi».
Et si c’était une alerte !
Les Camerounais n’ont jamais vu, ou presque, leurs soldats manifester.
La scène était quelque peu ahurissante. Des hommes en treillis assis à même le macadam devant le Palais des verres de Ngoa Ekelle, casque bleu vissé sur le crane. Sans armes ni pancartes, ils revendiquent pacifiquement des primes liées à leur participation au maintien de la paix en Centrafrique. Mais, plus bas, vers le quartier général, des militaires et policiers sillonnent, mitraillette en bandoulière. Vers le Cetic Ngoa Ekellé, des gendarmes veillent, armes au poing. L’on sent tout de suite que ça peut générer à tout moment. Heureusement, la paix règne, du début à la fin.
Comment en est-on arrivé là ? La question reste en suspens comme tant d’autres. La hiérarchie militaire était-elle au courant que ce contingent militaire allait descendre dans la rue ? Si oui, quelles sont les mesures qui ont été prises pour que ces soldats ne marchent pas vers l’Assemblée nationale, un peu comme des civils burkinabè l’ont fait il y a environ un an ? Le setting au palais des verres est-il un geste spontanée ou alors tout était planifié en avance ? La marche en elle-même, était-elle programmée depuis des lustres ? Pourquoi avoir choisi de manifester en l’absence du chef de l’Etat ?
Pour les soldats grévistes, ils entendaient simplement, porter à la très haute attention du chef de l’Etat, leur doléance. Pas plus. Et le chef de l’Etat les a compris.