Yaoundé: Comment vivent les «prisonniers flics» de Kondengui

DOUALA - 19 NOV. 2014
© Florette MANEDONG | Le Messager

 

Des prisonniers sont désormais utilisés à d’autres fins que celle de leurs incarcérations premières. Dès lors, ils occupent des postes divers allant de la vente de quelques marchandises que ce soit, aux coups de mains à l’administration sous la surveillance de leurs pairs.

 

 

1.- Une vie de «flic» en prison

Jeudi 13 novembre 2014, comme tous les jours d’ailleurs, c’est jour de visite à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui. Il est 13h, l’affluence est déjà perceptible. Par vagues, hommes ou femmes adultes, pénètrent le pénitencier pour une visite à un parent. Pour les anciens, c’est déjà la routine : ils savent qu’il faut dès l’entrée se présenter, faire signer son carnet, débourser une certaine somme d’argent (entre 1 000 et 1 300Fcfa), laisser sa carte nationale d’identité avant de franchir l’énorme grille. Une fois à l’intérieur, pas la peine de s’attarder dans la cour d’honneur. Il faut foncer droit jusqu’au portillon en face de soi. Ici, on est –ça dépend des jours- fouillé. Puis, il faut traverser une autre barrière, avant de se retrouver dans le monde des détenus. Les anciens eux, vont à la rencontre de leurs parents et débutent la conversation. Quant aux nouveaux visiteurs, ceux-ci observent l’ambiance de la cour d’honneur, que partagent les bureaux de l’administration.

 

En plus des visiteurs du personnel de l’administration pénitentiaire, quelques jeunes personnes rôdent là, innocemment. À leur accoutrement, on devine bien que ce sont des détenus. Pourtant, ils ne sont pas autorisés à se retrouver de ce côté de la grille. Mais, s’ils sont là, ce n’est pas un fait du hasard. Leur présence en ces lieux est voulue : «ce sont des flics», souffle un habitué des lieux, qui semble bien s’y connaître. Et de poursuivre, devant l’air étonné du reporter : «je tiens cette information d’un des miens qui est gardien de prison. Ce sont des prisonniers qui jouent le rôle de gardien». À la rencontre d’un gardien de prison pour plus d’éclaircissement, on apprendra que « ce sont des personnes très importantes pour nous. Elles jouent un rôle très important au sein de la prison. Elles connaissent plus des ¾ des pensionnaires de ce pénitencier. Et nous aident à nous prémunir de plusieurs évasions ». Leur rôle est en fait simple : ils sont là, à rôder, comme inutilement, mais, reconnaissent pratiquement tous les détenus, et sont à même d’en identifier. Au cas où l’un d’eux tenterait de se faire passer pour un visiteur, si d’aventure, il était aidé par un membre de sa famille qui lui pourvoira en chemisier propre. À la moindre tentative, avant de faire signe au gardien, c’est le «détenu flic» qui se jette le premier sur son congénère en lui criant : «tu vas où ?». 

 

2.- Les majordomes des Vip de Kondengui

Ceux-ci, apprend-on également, bénéficient de certains privilèges. Et pour d’autres, pas besoin d’en faire plus, car le simple fait de quitter son Kossovo habituel pour ce lieu « d’honneur », « équivaut pour nous à sortir pour aller faire un tour en ville lorsqu’on en a l’occasion », laisse entendre un Vip. Surtout lorsque son affaire n’est pas encore enrôlée, et donc qu’il n’a jamais mis les pieds hors de la prison depuis son incarcération. C’est également un bon moyen de gagner sa vie, car, «ils ne rentrent jamais sans provision le soir. Et ne manquent jamais d’argent. En plus, ils sont à l’abri de noises que voudraient bien chercher certains détenus, car, ce sont les protégés des gardiens», confie un détenu.

 

Du coup ici, tout moyen est bon pour gagner sa vie. Et les prisonniers prient tous les jours, pour avoir un moyen de gagner plus dignement leur vie. «Les petits commerces, les commissionnaires, et les nettoyages de pieds (esthéticiens Ndlr) sont un bon moyen pour se nourrir en prison, mais ce qu’on aime nous, c’est qu’un Vip nous remarque», confie Roland, un détenu. Le jeune est mineur et sert de majordome à l’une de ces victimes de l’épervier. C’est à l’en croire, la meilleure des choses qui lui soit arrivée ici en prison. «C’est un privilège incomparable, poursuit-il. Non seulement on n’est plus arnaqué, brutalisé ou «awaché». Mais en plus, «c’est terminé pour nous, la ration de la prison (maïs sec bouillie mélangé à l’huile de palme Ndlr). Poulets, poissons, côtelettes de porc, viande de bœuf et autres mets qu’on a jamais goûtés de notre vie font désormais partie de notre quotidien», poursuit le jeune Roland.

 

En plus, les majordomes sont entièrement pris en charge par leurs «maîtres». Ceux-ci leur obtiennent une meilleure place, un meilleur dortoir et leur fournissent un matelas digne de ce nom. De plus, leurs frais de justices sont totalement pris en charges par ces derniers. Et que dire des frais de scolarité et autres fournitures, sans compter l’habillement et le loisir de pouvoir prendre un bain tous les jours. En échange, le majordome sert fidèlement son patron : il réchauffe les repas et le sert, s’occupe de sa vaisselle et sa lessive, pour les vêtements qu’il veut bien faire laver ici. Accourt au moindre éternuement de ce dernier, filtre, annonce également les visites. Vous entendrez par exemple : «mon patron se repose, il ne veut pas être dérangé».

 

Florette MANEDONG

À Kondengui

 



19/11/2014
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