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Kyé Ossi: Camerounais assis a meme le sol
Photo: © Le Jour

C’est une âme de bonne volonté de nationalité équato-guinéenne qui a sauvé des dizaines de Camerounais du lynchage à Ebebiyin, mardi, 27 mars 2012, à la suite des sanglants affrontements entre Camerounais et leurs voisins de Guinée équatoriale à Kyé-Ossi.

D’après Benjamin Mba, président de la communauté camerounaise à Ebebiyin, «des groupes de civils armés de gourdins, machettes et couteaux, se sont mis à la chasse des Camerounais dans la ville d’Ebebiyin, à la suite d’altercations survenues le même jour à la frontière». Notre source indique que «les Camerounais en déroute ont été épargnés du lynchage grâce à un Equato-guinéen ayant caché ces derniers dans des toilettes pendant des jours, à ses risques et périls».

Richard Kwentie, né le 12 mai 1987 à Bamenda, est un électricien qui travaille à Ebebiyin et réside à Kyé-Ossi. Le jeune Camerounais raconte: «e ne savais pas qu’il y avait des incidents à la frontière. Je rentrais donc à pied de mon travail. Subitement, un groupe de civils armés de gourdins, bouteilles et machettes s’est mis à ma poursuite. Je me suis mis à fuir et à quelques mètres de la frontière, pour rejoindre le Cameroun, un Equato-guinéen m’a jeté une bouteille sur la tête. J’ai failli perdre mon œil, je me suis écroulé pour simuler la mort. C’est cette astuce qui m’a sauvé la vie. Quand mes assaillants ont cru que j’étais mort, ils m’ont abandonné par terre dans un bain de sang, puis je me suis relevé rapidement pour rejoindre mon pays ». Pierre Djoumbissié, 33 ans, menuisier travaillant en Guinée équatoriale, a connu une aventure similaire. Après l’avoir dépouillé de tout son argent et de ses téléphones portables, des civils armés l’ont grièvement blessé. Il a finalement eu la vie sauve grâce à sa rapidité à rallier Kyé-Ossi.


Hôpital d’Ambam

Patrice Désiré Djoumessi, 23 ans, est né à Kyé-Ossi et fréquente la Guinée équatoriale depuis son enfance. Bien qu’originaire de la région de l’Ouest au Cameroun, le jeune homme s’exprime couramment en espagnol et en fang, au point où nombre de ses compatriotes à Kyé-Ossi le considèrent comme Equato-guinéen, surtout qu’il travaille au poste de douane d’Ebebiyin. Sa tâche, tenir la herse et surveiller les entrées et sorties des marchandises non dédouanées. Aux dires du jeune Camerounais, «même les Equato-guinéens le prennent pour leur concitoyen». Cela n’a néanmoins pas suffit à lui épargner un lynchage. Patrice raconte que «des jeunes Equato-guinéens étaient divisés sur la question de m’éliminer physiquement, quand subitement, l’un d’eux voulant me trancher la gorge, m’a expédié un coup de couteau sur la main droite».

Au centre médical d’arrondissement de Kyé-Ossi, les infirmiers affirment qu’ils ont reçu sept Camerounais grièvement blessés suite aux affrontements de mardi dernier. Les cas les plus graves ont été évacués à l’hôpital de district d’Ambam, chef-lieu du département de la Vallée du Ntem.

Sur l’origine des échauffourées, Jean Marie Atangana, 30 ans, chauffeur, témoigne. «L’incident est parti d’une altercation entre Adamou alias Ben Laden, un célèbre pousseur de la ville, et un policier équato-guinéen, alors que le pousseur camerounais faisait traverser dans son porte-tout, de la farine de manioc appartenant à un commerçant camerounais». D’autres témoins indiquent que, «fâché de ce que le policier guinéen ait versé des urines sur sa marchandise, Ben Laden ne s’est pas fait prier pour lui asséner une latte sur la tête du policier guinéen». Une source au poste frontière de la police camerounaise à Kyé-Ossi poursuit : «C’est ainsi que des affrontements éclatent à la chaîne entre policiers guinéens et civils camerounais, à coups de pierres et de gourdins».


Réunion de crise

La police camerounaise est en sous effectif à Kyé-Ossi. Une source policière camerounaise raconte que «dans ce scénario digne de la bande de Gaza en Palestine, Franklyn François Etapa, préfet de la Vallée du Ntem a failli recevoir une pierre sur la tête, alors qu’il s’entretenait avec son homologue d’Ebebiyin pour apaiser la foule». André-Marie Essono, sous-préfet de Kyé-Ossi, affirme avoir déployé des moyens pour éviter un lynchage des Equato-guinéens en terre camerounaise: «J’ai réquisitionné des véhicules de la police et de la gendarmerie pour assurer la sécurité des ressortissants équato-guinéens se trouvant à Kyé-Ossi et venus faire des achats au marché de la ville puis, nous les avons escortés jusqu’à la frontière en sécurité». Il déplore pourtant l’attitude de ses homologues de la Guinée équatoriale qui n’ont pas pris les mêmes dispositions de leur côté, pour assurer la sécurité des Camerounais». Ce même jour, indique le sous-préfet, «la Guinée équatoriale a encore unilatéralement fermé sa frontière terrestre avec le Cameroun». Mercredi, 28 mars 2012, La Guinée équatoriale a convié le Cameroun à une réunion de crise. Les autorités camerounaises ont souhaité que cette réunion se tienne jeudi, 29 mars 2012, mais la partie guinéenne a demandé qu’elle se tienne vendredi, 30 mars 2012. Au sortir de cette réunion de crise entre les deux pays voisins, tenue à Ebebiyin, vendredi, 30 mars 2012, une source au sein de la délégation camerounaise a fait savoir qu’aucune résolution forte n’a été prise. On a encore eu droit à «la même hypocrisie diplomatique du genre nous sommes des pays frères, apaisons les populations, et que chaque partie travaille à ramener la paix à la frontière des deux pays».



Manque à gagner: Plus de 150.000.000 F.Cfa de pertes

Un collectif de commerçants vient de saisir les autorités camerounaises.

Ils sont neuf, les grands commerçants camerounais dont les marchandises sont bloquées en Guinée équatoriale depuis le début de la crise, soit exactement depuis six jours. Le collectif des commerçants camerounais évalue d’ailleurs le manque à gagner de ce blocus de fait à plus de 150.000.000 F.Cfa en six jours, avec le risque de voir les pertes s’alourdir si la frontière reste fermée longtemps.

Les neuf commerçants camerounais disent essentiellement importer du vin, de la bière et des produits cosmétiques de la Guinée équatoriale. Parmi les neufs commerçants, quatre sont basés à Douala. Il s’agit de Jean de Dieu Sadjefeu, Franco Dzouali, Justin Timamo Tanto et Colette Benje. Quatre autres sont basés à Yaoundé. Bertrand Watat, Roger Tamo, Gustave Tchouanche et Christine Fossi. Seul Françis Tsebo est basé à Kyé-Ossi. Ils disent tous avoir déjà passé des commandes pour la livraison de leurs marchandises.

Pour certains, des camions remplis de marchandise sont bloqués en Guinée équatoriale, à la merci des intempéries. Ceux là risquent de tout perdre au moment de la réouverture de la frontière. Du côté camerounais également, des camions d’avocats, tomates, oignons, pommes de terre et plantain pourrissent à Kyé-Ossi, faute d’acheteurs. La plupart de ces vivres sont destinées aux consommateurs équato-guinéens dont le pouvoir d’achat est plus fort depuis l’embellie financière due à l’exploitation pétrolière dans ce pays voisin.

J.E.


Marie Ada Zue: “Les Camerounais ne sont pas les bienvenus en Guinée équatoriale”

La cheftaine de Kyé-Ossi évoque les rapports tendus entre le Cameroun et son voisin.


Que pensez-vous des affrontements sanglants de mardi dernier ?

Tout ce que je peux dire, c’est que le préfet de la Vallée du Ntem a demandé aux Camerounais de quitter la chaîne [Ndlr le poste frontalier] et que chacun reste dans sa boutique. Personne n’a obéi or, tant qu’on n’enlève pas cette foule au niveau de la chaîne, il y aura toujours des incidents de ce genre.


Que leur reprochent les autorités au niveau du poste frontalier?

Si vous entendez qu’on a arraché le sac ou qu’on a volé des millions aux Equato-guinéens, c’est toujours des Camerounais qui sont pointés du doigt parce que amassés à la chaîne.


Etes-vous au courant des violences perpétrées contre des Camerounais en Guinée équatoriale, qu’ils soient en règle ou pas ?

Oui, je suis bien au courant de ces violences et assassinats, mais je dis qu’ils n’ont qu’à rester chez eux au Cameroun. Quand quelqu’un ne te veut pas chez lui, , reste chez toi ! Et çà, la Guinée équatoriale ne cesse de le signifier au Cameroun de fort belle manière.


Que répondez-vous à ceux qui trouvent que vous êtes très proche de ce pays voisin, raison pour laquelle vous prenez toujours le parti de ce pays au détriment du Cameroun ?

Je vais vous dire ceci. Moi, en tant qu’autochtone de Kyé-Ossi, je ne me rends pas en Guinée équatoriale. Si votre voisin ne vous accepte pas chez lui, restez chez vous. Le message de la Guinée équatoriale est clair, les Camerounais ne sont pas les bienvenus dans ce pays voisin.

Propos recueillis par J.E.


Votre avis: Que pensez-vous des incidents de Kyé-Ossi ?


“On cache les morts”: Lambert Abega, commerçant camerounais

En Guinée équatoriale, on agresse, on dépouille, on tue les étrangers et on cache les corps. Deux Camerounais sont morts à Bata lors des violences de jeudi dernier. Le gouvernement équato-guinéen est en train d’étouffer l’affaire. Des compatriotes sont hospitalisés à Malabo. Un certain Charles, un anglophone, dont l’œil a été crevé, suit des soins intensifs à Kye-Ossi. Le nommé Watt a vu sa main transpercée par un couteau. Les Equato-guinéens séquestrent et violent des femmes chez eux, et vont les abandonner à la frontière. Leurs militaires ont l’habitude de garder dans des bouteilles les urines qu’ils versent sur les Camerounais. C’est un jeu pour eux. Même un enfant exige qu’on lui paie des droits. Si vous résistez, ses compatriotes et lui vous dépouillent de votre marchandise. La seule réponse des autorités camerounaises de Kye-Ossi c’est de nous demander de ne plus aller en Guinée équatoriale. Elles vont même jusqu’à nous blâmer et nous dire que ce qui nous arrive là-bas nous engage. J’ai perdu une marchandise estimée à 1.300.000 F.Cfa, sans compter la somme 450.000 F.Cfa dont j’ai été délestée. Je me suis plaint à l’ambassade de Guinée équatoriale de Yaoundé. J’exige une indemnisation.


“La Guinée-équatoriale n’est pas hospitalière”: Idriss Yigo, Malien vivant à Kyé-Ossi

J’ai tenté à maintes reprises une aventure en Guinée équatoriale pour aller me débrouiller dans ce pays africain, mais le traitement que j’ai subi là-bas m’a fait comprendre que ce pays n’est pas hospitalier. Je suis d’ailleurs très surpris qu’un pays africain se comporte de la sorte. Où est passée la légendaire hospitalité africaine ? Heureusement qu’en Afrique de l’Ouest, l’expérience est différente.


“Le Cameroun est passif”: Abdoulaye Mbouobouo, moto taximan à Kyé-Ossi

Je ne sais pas pourquoi chaque fois que nos compatriotes sont molestés en Guinée équatoriale, notre pays ne prend aucune mesure forte contre ce pays voisin. Je trouve que le Cameroun est passif, il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé mardi. Pendant qu’on violentait nos compatriotes de l’autre côté de la frontière, nos autorités s’attelaient surtout à assurer la sécurité des Guinéens coincés à Kyé-Ossi.


“Dieu m’a sauvé”: Richard Kwentie, électricien camerounais

J’ai été surpris par les émeutes au moment où je me trouvais en Guinée équatoriale. C’est Dieu qui m’a sauvé, j’ai failli perdre la vie. Les assaillants m’ont presque crevé l’œil, alors que je courais pour rallier le Cameroun.


“Me débrouiller dans mon pays”: Pierre Djoumbissie, menuisier camerounais

Ils ont failli me tuer avec des gourdins et des machettes. Dieu est grand, c’est grâce à lui que je suis encore en vie. Surprenant de croire que nous appartenons tous à l’espace Cemac. Je ne pense pas que je pourrais encore me rendre dans ce pays voisin. Je vais préférer me débrouiller dans mon propre pays, le Cameroun, au moins ici chez nous, je suis en sécurité et je me sens chez moi.

Propos recueillis par J.E.
et Assongmo Necdem