WikiLeaks : Gbagbo, ses ratés et ses bluffs
En plus des pressions de la communauté internationale qui l’invite à céder le pouvoir à Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo devra endurer les révélations de WikiLeaks sur sa personnalité et son maigre poids politique.
Ainsi, en 2009, l'ambassade des États-Unis à Abidjan (Côte d'Ivoire) laissait clairement entendre que Laurent Gbagbo n'organiserait pas les élections s'il n'était pas sûr de les gagner.
Dans un mémo daté du 2 juillet 2009 et envoyé à Washington sous le titre : « Les élections en Côte d'Ivoire : le mythe et la réalité », Wanda Nesbitt, alors ambassadrice, considérait le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo comme la «troisième» formation du pays, associée à un groupe ethnique « minoritaire », les Bétés.
« Pour gagner une élection présidentielle, indiquait-elle dans sa correspondance, le FPI a besoin de s'allier avec l'un des deux autres grands partis », tous deux menés par les principaux rivaux de Laurent Gbagbo. D’où les tentatives infructueuses de rapprochement avec le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara, amorcés dès 2007, à en croire la diplomate.
Face à cet échec, Laurent Gbagbo se serait résolu à envisager un duel
électoral avec Ouattara. Selon Wanda Nesbitt, il était persuadé,
proximité ethnique oblige, que les électeurs du Parti démocratique de
Côte d'Ivoire (PDCI), de l’ancien président Henri Konan Bédié se
rallieraient à sa cause plutôt qu'à celle des «Nordistes» du RDR. Peine
perdue : les télégrammes américains mettent en lumière toute
l'importance du report effectif des voix des partisans de Bédié vers
Ouattara, signant ainsi la fin de « l'ivoirité ».
L’infréquentable Charles Blé Goudé
Les faits donnent également raison aux diplomates américains, qui ont très tôt cerné la nature des relations entre Laurent Gbagbo et le très controversé Charles Blé Goudé, récemment promu ministre de la Jeunesse et de l’Emploi. « Le président Gbagbo a fait des demandes répétées aux Nations unies pour qu'elles lèvent les sanctions contre Blé Goudé », notent les diplomates américains. Ils se désolent de voir que le leader des patriotes semble être « préparé [par Gbagbo] pour de futures responsabilités au sein du parti et/ou dans le gouvernement au lieu que soient prises des distances avec une personne faisant l'objet de sanction des Nations unies et qui demeure une personnalité source de divisions dans son pays ».
« Des sanctions [avaient effectivement] été mises en place le 7
février 2006, pour des appels répétés à la violence contre des
installations et des personnels des Nations unies et pour sa
participation à des actes de violences commis par des milices de rue,
incluant des passages à tabac, des viols et des exécutions
extrajudiciaires », résume le télégramme américain obtenu par WikiLeaks.
Et les américains d’enfoncer le clou, citant comme sources leurs
homologues français : « Blé Goudé est devenu un homme d'affaires très
prospère, avec des intérêts conséquents dans des hôtels, boîtes de nuit,
restaurants, stations service et dans l'immobilier en Côte d'Ivoire. »
Curieux imbroglio à Bouaké
Mais l’intérêt des Américains pour la Côte d’ivoire porte également sur ses relations ambiguës avec la France, au plus fort de la crise ivoirienne. La gestion des bombardements de Bouaké, perpétrés en 2004, les laisse songeurs.
Les mémos insistent notamment sur la latitude qu’avait la France de
prévoir cette attaque (car elle savait qu’Abidjan s'était fait livrer
deux Soukhoï, en violation de l’embargo de l’ONU). Et aussi sur le
silence de Paris, jugé troublant pour un pays qui avait la possibilité
d’interroger les responsables directs : les pilotes des Soukhoï
impliqués ont été arrêtés à Abidjan, détenus quatre jours par l'armée
française avant d'être autorisés à quitter la Côte d'Ivoire pour se
rendre au Togo.
Fanfaronnade
De plus, alors que tout le monde estimait les relations Paris-Abidjan tendues à l’extrême, Laurent Gbagbo continuait de s’entretenir en coulisses avec les autorités françaises. Reçu à l'ambassade américaine à Abidjan, le président ivoirien sortant « qui adore parler », selon le mémo, « saute du coq à l'âne si on ne l'amène pas avec toute la courtoisie requise à revenir au sujet principal de la conversation ». Il affirme que M. de Villepin « en est venu à réaliser que la politique du président Chirac d'essayer de se débarrasser de [lui] ne marcherait pas ».
Mieux, selon les câbles américains, Laurent Gbagbo se serait vanté, devant ses interlocuteurs américains interloqués, d’être à l’origine de la nomination de Dominique de Villepin à Matignon en 2005. Il « a révélé, indique le télégramme, que de Villepin lui avait demandé d'intervenir auprès du président Chirac pour qu'il le nomme Premier ministre [en 2005], et Gbagbo s'était exécuté. Chirac avait réagi en disant que de Villepin était du genre nerveux, mais Gbagbo avait donné la garantie à Chirac que de Villepin était la personne parfaite pour cette fonction ».
Réalité ou fanfaronnade ? En tout cas, au regard de l’isolement auquel Laurent Gbagbo s’expose aujourd’hui, on est loin de cette époque où il prétendait jouer au conseiller officieux d’un président français.
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