Wade, mauvais joueur, mais pas mauvais perdant : leçon de démocratie à Paul Biya
Soumis par Abdel Pitroipa de Dakar le lun, 03/26/2012 - 12:59
La presse ouest-africaine se réjouit de l'aboutissement d'un processus électoral sénégalais qui pouvait sembler compromis.
Aux environs de 21h30, à Dakar, le téléphone sonne : «Monsieur le président, félicitations. (...). Je vous souhaite de réussir à la tête du Sénégal.» C’est en ces termes qu’Abdoulaye Wade se serait adressé à Macky Sall à l’annonce des premiers résultats rapporte le journaliste sénégalais Cheick Yérim Seck sur le site Dakaractu. En réponse, le président nouvellement élu aurait admiré la hauteur d’esprit et la capacité de dépassement de son prédécesseur et ancien mentor.
Mauvais joueur, mais pas mauvais perdant: c’est ce que juge une partie de la presse, en constatant que Wade a sacrifié au rituel du fair-play démocratique.
«L’acte est celui d’un grand homme qui, malgré ses défauts sait accepter sa défaite. Mieux, il a reconnu que “l’élève Macky a dépassé le maître Abdoulaye”» estime Morin Yamongbé, du bimestriel burkinabè Fasozine.
Le bilan de Wade critiqué
Mais tous les commentateurs ne sont pas aussi tendres avec le président sortant. C’est ainsi que dans une tribune publiée sur Dakaractu, le professeur Gorgui Dieng, parle de «La tragédie du président Wade» en référence à une œuvre littéraire d’Aimé Césaire. Il y accuse le président déchu d’avoir commis des erreurs majeures parmi lesquelles la trahison des alliés, le népotisme et le mépris du peuple.
Le blog Patrie Sénégal est encore plus sévère en affirmant que Wade
ne quitte pas ses fonctions par la grande porte: «entré dans le palais
la tête haute, comme un lion, accompagné d'une jeunesse en liesse,
aujourd'hui,(…) il rase les murs pour en sortir.»
Le site d’information Senenews affiche le même ton de la déception.
Gorgui (le vieux), est accusé d’avoir perpétué des pratiques qui
n’honorent pas la politique sénégalaise:
«En 2000, (date de son élection NDLR) Wade symbolisait l’espoir de
tout un peuple qui, avec l’élection du troisième président du Sénégal,
avait pensé s’être libéré du joug du népotisme, de la corruption et de
la dépolitisation du citoyen sénégalais au profit d’un groupe de
politiciens, d’hommes d’affaire et de marabouts affairistes. Hélas, le
peuple s’était trompé», écrit le journaliste.
Anciens alliés devenus adversaires, disciple et professeur
désormais égaux dans la candidature puis l’accession à la magistrature
suprême, Wade et Sall viennent d’inverser les rôles. Pour certains
médias, cette succession qui n’aura pas été dynastique mais démocratique
porte malgré tout un caractère filial.
L’Observateur Paalga va jusqu’à parler d’un «parricide politique.»:
«Le président-candidat aurait voulu sans doute que ce soit son fils
biologique (Karim), qui le “tue”, mais hélas en politique, on ne
choisit pas ses adversaires, encore moins celui qui vous terrasse.»
Réussite de l'exercice démocratique
Après une campagne marquée par des violences meurtrières et un
premier tour mouvementé, il y a de quoi se réjouir que le second tour du
scrutin se soit déroulé dans le calme, écrit le site
guineeconakry.info:
«L’enjeu était de taille, mais les Sénégalais ont su bien négocier
le cap. Les inquiétudes fondées sur les questions de transparence du
processus de dépouillement, de la compilation et de la proclamation des
résultats, ne se justifient presque plus, puisque Wade a eu le fair-play
de couper court, en reconnaissant la victoire de son ancien PM et, ipso
facto, sa défaite.»
Et le journaliste de Fasozine d’ajouter que le dénouement de ces
élections constitue un pas de plus pour l’homme africain vers la
consolidation de la démocratie. Sans manquer de faire un parallèle avec
le voisin malien, ex-élève modèle :
«Du coup, c’est la démocratie sénégalaise qui vient une fois de
plus de s’ériger en exemple sur le continent africain. Le triomphe du
processus démocratique, à l’actif de tous les Sénégalais est d’autant
plus à saluer que des voisins du Pays de la Téranga, notamment le Mali
dont le processus démocratique vient de connaître un coup d’arrêt avec
le putsch du jeudi 22 mars dernier, et dans un passé très récent, la
Côte d’Ivoire qui s’est illustrée négativement par une longue crise
postélectorale, (...) constituent des taches noires pour le continent.»
Guinéeconakry.info analyse encore que ce forcing électoral de la
part d’Abdoulaye Wade et la campagne mouvementée lui ont fait perdre ses
dernières illusions sur sa capacité à aller à contre-courant de ce
processus:
«Cette période psychologiquement et politiquement dure aura permis
au vieux Wade d'avoir le courage de pouvoir jeter enfin l'éponge du ...
pouvoir !»