Vol à ciel ouvert: comment Biyiti bi Essam vide les caisses du Minpostel

Le ministre et son homme de main, Albert Kamanou, font main basse sur les marchés juteux, généralement au mépris des règles de procédure.

Après la fibre optique et Viettel, place au Datacenter de la Cameroon Postal Services (Campost). Les entreprises engagées dans les prestations de services du ministère des Postes et Télécommunication (Minpostel) n’arrêtent pas d’enrager. Pour bon nombre d’entre eux, «il est quasiment impossible de gagner un marché de grande importance dans ce département en face de l’incontournable Mass Telecom/Avilyos ou Fixon-IT, les principales sociétés-écrans appartenant au ministre des Postes et Télécommunications, via son homme de main Albert Kamanou. L’avantage de ce dernier, par rapport à la concurrence, est que l’homme réputé être l’ami personnel du patron des lieux, Jean Pierre Biyiti bi Essam, et navigue ici comme en terrain conquis.


Tout se passe en effet comme si c’est le ministre lui-même qui rédige les avis à manifestation d’intérêt, qui semblent taillés sur mesure pour favoriser Mass Telecom/Avilyos ou Fixon-IT. De manière frontale, certains accusent Albert Kamanou d’intelligence incestueuse avec le ministre : : il a été le parrain du mariage de la fille de Jean Pierre Biyiti bi Essam, il y a trois ans. L’attribution récurrente de marchés importants à Albert Kamanou, et donc au patron du Minpostel himself, suscite de forts relents d’affairisme, de tripatouillages, de prise illégale d’intérêts et de favoritisme.


En 2011, Godfroid Ondoua Ella, ingénieur principal des travaux de télécommunications en service à la Cameroon Telecommunications (Camtel), avait bruyamment raillé le groupement Mass Telecom/Avilyos d’Albert Kamano, retenu, à la surprise générale, par le maître d’ouvrage pour l’audit et le contrôle des travaux de pose de 3.200km de câbles à fibre optique. Selon lui, l’entreprise retenue, incapable de rédiger une proposition technique susceptible de donner la réplique à des cabinets d’expertise de renommée mondiale tels que Sofrecom et Detecon International, n’avait pu décrocher ce marché que du fait de la proximité avérée entre le «market maker» Albert Kamanou et son parrain, Jean Pierre Biyiti bi Essam.

Même pas peur
En 2013, une autre polémique a accablé le tandem d’affairistes au sujet de l’attribution de la 3ème licence de téléphonie mobile à l’opérateur vietnamien Viettel. Des connaisseurs du dossier invoquèrent des pots-de-vin. Sur la base de leur proximité, le Minpostel aurait ainsi imposé Mass Telecom au Premier ministre, un deal ayant été scellé entre Mass Telecom et Viettel, via Albert Kamanou qui est un ami de Baba Hamadou Dampoulo, l’actionnaire camerounais de Viettel.


Aujourd’hui, c’est l’avis d’appel à manifestation d’intérêt en vue d’une étude destinée à l’implémentation des plateformes des services en ligne, dans le cadre du projet e-Post signé le 14 octobre 2014 par Jean Pierre Biyiti bi Essam, qui fait hurler le petit monde des télécommunications. Des confidences, émanant du 7ème étage de l’immeuble Campost, à Yaoundé, affirment que ledit avis a été conçu à la taille de Mass Telecom/Avilyos et Fixon-IT, des entreprises ayant déjà déposé leurs offres et qui n’attendent plus que la notification du Minpostel, selon le schéma décrit au point n°8 de l’appel à manifestation d’intérêt pour ce marché estimé à une vingtaine de milliards de Fcfa. Encore un bon magot dans le bas de laine de Jean Pierre Biyiti bi Essam et de son intime, Albert Kamanou.


Tout ceci a lieu alors que Biyiti bi Essam est cité dans le scandale des détournements de deniers publics à Campost, au même titre que certaines personnalités de premier plan. À propos de Campost, le Minpostel a subi un revers mémorable voici quelques mois, lui le ministre de tutelle qui, pendant deux ans, a refusé de renouveler le contrat d’assistance du français Sofrepost. Ses détracteurs avaient alors affirmé que la tutelle, qui avait déjà posté ses satellites dans la maison et avait passé son temps à saboter les prestations du partenaire, souhaitait faire attribuer cette prestation à une société «amie».


Sensibilisé par la situation, et ne souhaitant en aucun cas se brouiller avec la France dont l’aide au développement est si précieuse pour notre pays, le président Biya fit renouveler ledit contrat d’autorité. Jean Pierre Biyiti bi Essam, le ministre de tutelle, n’en fut simplement qu’informé après coup. De scandales en manigances grossières, le maladroit ministre fait désormais figure de croquemitaine dans une équipe gouvernementale plus que jamais engagée vers l’émergence du Cameroun.

Abonné aux scandales
En dehors de la mauvaise gouvernance, Biyiti bi Essam est aussi un spécialiste du népotisme.
L’actuel Minpostel semble né sous le signe du scandale, tant son passage aux affaires est émaillé de casseroles. Déjà, alors qu’il est secrétaire général dudit ministère, beaucoup pointent une gestion des plus opaques d’un fonds de liquidation de marchés publics, dont il était alors le président. Au moment où il quitte ce poste pour être le patron de la Communication (Mincom), on l’accuse d’avoir emporté des véhicules administratifs et son désormais ex-supérieur hiérarchique, Bello Bouba Maïgari, désormais débarrassé de cet encombrant collaborateur, donnera une petite fête en sa résidence au soir du 7 septembre 2007.


Devenu Mincom, Jean Pierre Biyiti bi Essam étalera encore ses talents de funambule hors pair. A l’occasion de la visite au Cameroun pape Benoît XVI au Cameroun, du 17 au 20 mars 2009, la présidence de la République débloque 770 millions de francs pour les actions médiatiques, dont 130 vont se retrouver dans son compte bancaire personnel. Le scandale éclate au grand jour, mais l’apprenti détourneur de deniers publics a le toupet de se justifier : «C’est une faute de gestion qui, en aucun cas, ne peut être assimilée à un délit ou à une intention délictuelle.» Il clame sa bonne foi, invoquant un souci de «sécurisation» et un cas de force majeure. «(…) où diable voulait-on que j’aille mettre cet argent-là ? Si je voulais le détourner, je serais allé cacher cet argent chez moi au village. Est-ce que la seule façon de détourner de l’argent, c’est d’aller le mettre à la banque ?» Avec aplomb, il estime que «les gens cassent la tête aux Camerounais pour une affaire qui n’en est pas une». Avant que le sujet ne sombre dans les oubliettes, le grand homme sera tout de même, le 23 avril 2009, entendu à la sous-direction des enquêtes criminelles du tribunal de grande instance du Mfoundi.

Au Mincom, encore, Jean Pierre Biyiti bi Essam fait débloquer 200 millions de francs d’argent public pour l’aménagement de la Maison de la communication, dont on annonce l’ouverture en avril 2009. Le chantier, jusqu’à ce jour, est abandonné dans la broussaille, en même temps que les fonds ont pris une destination inconnue. L’imprudent quitte ce poste en en juin 2009, sans jamais avoir daigné justifier la destination prise par cet argent. Son successeur, Issa Tchiroma Bakary, à plusieurs reprises, a refusé de tremper dans cette sulfureuse polémique, renvoyant les curieux au désormais Minpostel.

Collaborateurs dénonciateurs
Pourchassé par les affaires, mais jamais à court d’inspiration, le dédaigneux réussit à faire sortir ses collaborateurs de leurs gonds. Le 12 décembre 2011, l’Association du personnel du Minpostel se fend d’un brûlot avec ampliation au chef de l’Etat, au Premier ministre et au Contrôle supérieur de l’Etat. Le contenu de sa lettre de protestation, qui donne un «aperçu des maux qui minent» le département, se passe de commentaires : «Le tribalisme, la corruption et le népotisme sont érigés en modèle de fonctionnement dans notre ministère.» Pour bénéficier de ses droits les plus élémentaires, il faut appartenir à la famille ou à la belle-famille du ministre, ou encore avoir un parrain dans l’un de ces deux groupes, peut-on y lire.


Les mêmes privilégiés sont cooptés dans les commissions donnant droit aux primes, sont de toutes les missions juteuses, bénéficient d’autres avantages hors salaires très souvent payés les week-ends et jours fériés, à l’insu du reste du personnel abandonné à lui-même. De même, «le Fonds spécial de développement des télécommunications est ‘géré’ abusivement par les frères et beaux-frères de M. Biyiti bi Essam, foulant ainsi au pied les règles élémentaires de gestion des fonds publics».


Et que dire des marchés publics du Minpostel, sous l’ère Biyiti ? Selon la lettre de protestation du personnel, ceux-ci sont fractionnés et donnés aux amis et connaissances du ministre – dont, certainement, le très chouchouté Albert Kamanou –, au mépris des procédures de passation des marchés. Des télécentres communautaires polyvalents (Tcp) fictifs sont réceptionnés, et ceux existant réellement sont équipés de matériels vétustes, obsolètes contre des factures payées au prix des équipements neufs. Une véritable calamité, par ces temps d’assainissement des mœurs publiques. Selon les auteurs du document, «il est temps que des mesures appropriées soient prises pour remédier à cette situation qui a tant duré. Sinon, nous serons obligés de manifester publiquement notre mécontentement».


Mais tout ceci ne l’empêche visiblement pas de continuer à s’en mettre plein les poches. Mais pour combien de temps encore?

René Atangana



06/11/2014
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