Violence anti-homosexualité, élégies pour Kadhafi : paradoxes du combat démocratique camerounais

Amougou Thierry:Camer.beDans une Afrique noire et un Cameroun où la servitude organisée des corps et des esprits date au moins du 15ème siècle avec des causes à la fois internes et externes, brandir Félix Moumié de la main droite et Kadhafi de la main gauche n’annonce pas des projets politiques cohérents mais des salmigondis sans espoirs d’émancipations. C’est une instrumentalisation du discours démocratique à des fins despotiques que de juger l’homosexualité du registre de la peste des temps modernes quand elle n’est qu’une preuve de la complexité de la sexualité de l’animal intelligent qu’est l’homme. Les politiques doivent gérer l’homme qui par nature est ondoyant et divers.

Lorsque, par hypothèse, on fait la simulation mentale que les dirigeants actuels du Cameroun sont, par un coup de baguette magique, remplacés par plusieurs autres leaders politiques camerounais aujourd’hui dans l’opposition institutionnelle ou non à Biya, une peur nous envahit instantanément. Loin d’être la peur d’avoir un régime qui fait pire que le « Biyaïsme », il est très difficile de le concurrencer dans ce sens, c’est une peur induite par le danger de décevoir les attentes placées en ces opposants, étant donné qu’il n’est pas certain que plusieurs d’entre eux soient des démocrates convaincus au regard de leurs réactions à la fois sur le conflit libyen, la problématique de l’homosexualité au Cameroun et l’ethnicisme politique en gestation. Le Cameroun gagnerait-il sur le plan démocratique avec des leaders politiques qui ont Kadhafi pour modèle ? Les citoyens camerounais engrangeraient-ils un surplus de liberté individuelle et collective sous la houlette de leaders politiques pour qui l’homosexualité est un impensé et un interdit thématique au sein de leur combat pour les libertés ? Ne sommes-nous pas en pleine instrumentalisation du discours sur la démocratie par des hommes et des femmes qui brandissent Um Nyobè de leur main gauche et Kadhafi de leur main droite pour avancer le visage cagoulé aux yeux du peuple ? Existe-t-il par exemple une cohérence non schizophrénique entre le combat d’un Félix Moumié et la pratique politique concrète d’un Mouammar Kadhafi ? Ces questions méritent d’être posées entre Camerounais et par des Camerounais convaincus de l’idéal démocratique comme argument essentiel de l’épanouissement de l’homme dans sa diversité tant sur le plan national qu’international. Nous devons y réfléchir et les mettre dans le débat public tout au moins pour notre gouverne et celle de ceux que certains leaders politiques camerounais de l’opposition considèrent comme leur clientèle pertinente.

* Kadhafi, un modèle pour plusieurs opposants camerounais !

La résolution 1973 via laquelle l’OTAN intervint en Libye n’échappe pas à la politique du deux poids deux mesures qui gouverne de nombreuses instances internationales. Elle n’est pas exempte des jeux d’intérêts économiques et politiques de plusieurs grandes puissances, étant donné que ceux-ci sont aux fondements de plusieurs conflictualités contemporaines où, derrière les champs de batailles, se trouvent très souvent la main bien visible d’une ou plusieurs grandes puissances. Le cas syrien montre bien que c’est moins souvent l’humanitaire qui fait surgir des élans et le zèle du droit d’ingérence qu’un compromis entre les grandes puissances de changer la donne dans le sens de leurs intérêts géostratégiques et économiques. Que le monde dit civilisé se révèle être concrètement un euphémisme de la loi de la jungle pour les petits Etats ne date pas d’hier mais de la nuit des temps. Tout cela fait-il pour autant du guide libyen un modèle crédible pour des leaders camerounais qui se disent en lutte pour la démocratie ?

En dehors de ses acceptions mathématiques, un modèle, socio politiquement parlant, est quelque chose que l’on admire. C’est la forme aboutie d’un projet, l’horizon vers lequel on

aimerait tendre. Un modèle est un idéal que l’on poursuit, c’est la source d’une émulation car il fait référence et représente ainsi notre tendance asymptotique dans le long terme. Cette conception que nous faisons du modèle ne fait pas automatiquement de lui quelque chose de positif par rapport à l’émancipation sociopolitique de populations car Adolph Hitler est bien un modèle pour plusieurs partis d’extrême droite dont les néonazis. Cela montre le caractère subjectif des modèles sur le plan social et politique car c’est notre sensibilité et nos valeurs qui font d’une chose, d’un homme un modèle. A ce titre, Kadhafi peut bien être un modèle pour ceux qui ont les mêmes valeurs que lui. C’est leur droit le plus absolu. Là où le bât blesse c’est que plusieurs leaders camerounais défendent publiquement des valeurs démocratiques dans leurs discours, mais font de Kadhafi un modèle politique qu’ils érigent en héros panafricain ou panafricaniste à reproduire. Il nous semble qu’une telle attitude revêt au moins une grande contradiction proche de la schizophrénie si on regarde l’effectivité du pouvoir de Kadhafi. Il est difficilement compréhensible que des gens qui parlent jour et nuit de démocratie aient pour modèle quelqu’un qui a fait 42 ans au pouvoir après un coup d’Etat. Si le coup d’Etat peut être un moyen pour le peuple d’accéder au pouvoir lorsque ses droits sont bafoués, comment peut-on se dire démocrate et faire son modèle un dirigeant qui, non seulement fait 42 ans au pouvoir, mais aussi interdit tout parti politique, toute association, embrigade les médias, n’organise aucune élection pendant plus d’un quart de siècle, instaure une gouvernance clanique et met en place une économie de prédation basée sur l’exploitation de la rente pétrolière ? Est-ce cela que veulent mettre en place au Cameroun ceux qui sont des admirateurs impénitents de Kadhafi ? Veulent-ils devenir des hommes au service des Camerounais et des Africains ou une réincarnation du paradigme du guide absolu ?

Si la réponse est positive puisque Kadhafi est un modèle pour plusieurs d’entre eux, alors nous seront en régression par rapport au « Biyaïsme » qui est un régime semi-autoritaire là où la « Kadhafisme » fut un régime autoritaire. Les régimes semi-autoritaires sont des dictatures avec multipartisme, associations, syndicats, élections truquées et presse diversifiée quand les régimes autoritaires sont des dictatures sans multipartisme, sans élections, sans syndicats, sans associations et sans presse diversifiée. Le fait que Kadhafi, maintes fois ait tenu têtes aux grandes puissances peut expliquer cette admiration qui fonctionne comme le soutien que l’on accorde spontanément au faible dans un combat de boxe ou un match de football. Les peuples historiquement défavorisés prennent très souvent de façon inconscience le parti du brave petit qui défie les grands. Mais Kadhafi a-t-il mené le combat contre l’impérialisme occidental avec intelligence et tact ? Nous ne le pensons pas car en acceptant de dédommager les victimes de l’attentat de Lockerbie, il a par ce fait même reconnu avoir ordonné des attentats à la bombe dans des avions. Ce que n’a jamais préconisé un Félix Moumié ou un Um Nyobè étant donné qu’ils luttaient pour une émancipation des hommes à l’échelle internationale quelles que soient leurs races sans confusion entre peuples et Etats. Ces grands Camerounais qu’exaltent les mêmes opposants dont Kadhafi est le modèle n’ont financé aucune guerre entre pays africains comme l’a fait maintes fois Kadhafi pour ses intérêts de leadership. Ils furent tous partisans d’une union africaine vectrice de l’Africanité et non gouvernée par l’argent comme l’instaura Kadhafi qui en conquit la présidence par des espèces sonnantes et hallucinantes et en fit un tremplin pour la reconstruction de son image internationale. Que souhaitons-nous pour le Cameroun de demain lorsque nous avons pour modèle un leader qui a traité les Libyens de rats au début de la révolte tout en leur promettant des rivières de sang ? Quelle forme de démocratie allons-nous bâtir lorsque notre modèle est un homme qui enlevait et violait des jeunes filles en toute impunité, transformait ses amazones en esclaves sexuelles et pendait tous ses opposants politiques ? Allons-nous imposer le livre vert au Cameroun et en Afrique à la place de la déclaration universelle des droits de l’homme ? Que vaut le discours panafricaniste de Kadhafi si ce n’est une tentative de renaissance internationale via une exploitation du discours de Nkrumah alors qu’il avait passé le plus clair de son temps à financer des guerres et des rebellions en Afrique une fois ses rêves d’incarner le renouveau du nassérisme mis en échec par ses pairs au sein du panarabisme ?

Le traitement inhumain et cynique que Mouammar Kadhafi a infligé aux migrants subsahariens en route vers l’Europe montre de fort belle manière ce que nous devons craindre de ceux qui font de lui un exemple à suivre. En effet, dans sa stratégie politique avec l’Union Européenne, Kadhafi a fait passer en Afrique le message selon lequel les Africains du Sud du Sahara étaient les bienvenus en Libye. Une fois en Libye, ils étaient mis directement en prison et enfermé dans des camps où plusieurs ont perdu la vie. Ceux qui étaient encore en vie servaient de stock régulateur à la stratégie de Kadhafi par rapport à la politique migratoire de l’Union Européenne. Kadhafi a reçu des millions d’euros pour construire des camps de concentration où étaient parqués ces Subsahariens accusés de vouloir migrer clandestinement vers l’Europe. Au moment crucial de la récente guerre en Libye, le guide a, afin de faire reculer l’OTAN, mis à la mer des bateaux de migrants subsahariens parqués dans lesdits camps. Les témoignages actuels de quelques rescapés de cette épopée machiavélique attestent de la monstruosité paranoïaque de celui que plusieurs leaders politiques camerounais hissent au panthéon de l’exemplarité politique.

* L’homosexualité, une réalité camerounaise que plusieurs leaders politiques dits démocrates criminalisent et refusent de penser

Ceux qui ne jurent que par Kadhafi et en font un modèle politique ne sont pas les seuls à nous donner des sueurs froides sur l’avenir du Cameroun si celui-ci venait à tomber entre leurs mains. Il y a aussi ceux pour qui l’homosexualité est un impensé du débat démocratique alors qu’ils militent pour la démocratie et l’Etat de droit. Là aussi les objectifs du combat pour la démocratie manquent de cohérence. Tout se passe comme si on voulait se marier mais uniquement pour profiter des joies du mariage sans les inconvénients inhérents. Si nous voulons que notre société épouse la démocratie et vice versa, il faut savoir que cette dulcinée qu’est la démocratie va de pair avec ses exigences dont celles des libertés individuelles, notamment le droit qu’ont des hommes et des femmes adultes de disposer librement de leurs corps. Or qui dit corps humain dit aussi corps-sexe et les usages et fonctions que l’on veut bien lui donner dans le cadre de sa vie privée. Pratique vieille comme le monde tant en Afrique qu’en Occident, l’homosexualité s’impose aux sociétés modernes comme une caractéristique de la complexité sexuelle de plusieurs animaux dont l’homme est le prototype le plus intelligent. Oui, d’aucuns l’oublient très souvent dans leurs prises de positions hâtives et sans recul, l’homme est bien un animal. C’est justement parce qu’il est l’animal le plus intelligent que sa sexualité est aussi la plus complexe des animaux.

Cela étant, la problématique qui se pose aux leaders camerounais qui se disent en combat pour la démocratie mais condamnent l’homosexualité et les homosexuels en les clouant au pilori, est celle de savoir ce qu’ils réserveraient aux homosexuels s’ils arrivaient au pouvoir dans ce pays. Est-ce la prison ? Est-ce la potence ? Est-ce le bûcher comme lors de la Sainte Inquisition ou alors l’euthanasie dans des hôpitaux spécialisés ? Ne vont-ils pas produire la douleur de Vanessa Tchatchou à l’échelle nationale en brûlant des enfants de Camerounaises parce ceux-ci s’avéreraient homosexuels à l’âge adulte ?

La stratégie du régime camerounais actuel est de garder la loi interdisant l’homosexualité tout en sachant que la pratique est effective au sein de la société camerounaise parfois jusque dans les hautes sphères de l’Etat. Cette situation constitue un terreau fertile au double visage de l’homosexualité au Cameroun. Le premier visage est celui du combat que mènent ceux qui

ont une autre sexualité et veulent la vivre en toute impunité et en toute liberté tout en respectant celle des autres. Le deuxième visage et une homosexualité comme instrument de domination sociopolitique et économique. Dans ce deuxième cas ce sont des hétérosexuels qui sont transformés en sodomites par des hommes haut placés qui marquent ainsi le pouvoir qu’ils ont sur eux par la soumission sexuelle. Une chose peut résoudre ces deux problèmes, la loi. C’est elle qui peut protéger à la fois ceux qui sont empêchés de vivre comme ils sont et ce qu’ils sont, et ceux qui sont forcés de se faire sodomites à cause de la dictature du potentat sexuel sur eux. Le potentat sexuel agit donc ici dans deux sens qui relatent la dictature : au sein du pouvoir en faisant subir la sodomie aux non homosexuels puis au sein du pouvoir et de son opposition en diabolisant ceux qui sont effectivement homosexuels et veulent vivre ainsi leur sexualité. Et pourtant une loi progressiste ne transformerait pas tous les Camerounais en homosexuels mais protègerait ceux qui sont homosexuels tout en évitant à ceux qui ne le sont pas d’être sodomisés par les puissants au pouvoir. L’action d’un leader politique, qui plus est progressiste, ne consiste pas à uniquement à faire du populisme conservateur en suivant l’opinion la plus répandue dans le peuple mais notamment à prendre parfois à rebours cette opinion populaire pour protéger le peuple de lui-même. A titre d’exemple, François Mitterrand a décidé d’abolir la peine de mort en France alors que tous les sondages montraient que les Français étaient majoritairement contre cette décision. Il l’a fait et est désormais entré dans l’histoire car a compris son sens.

Il va sans dire que parler de lois pour protéger les homosexuels dans un pays où l’opinion est encore majoritairement contre cette forme de sexualité fait bondir plusieurs sur leurs chaises. Nous allons pourtant y arriver qu’on le veuille ou pas car notre imaginaire sexuel a été formaté à tel point que ce que certains pensent une normalité sexuelle n’est rien d’autre qu’un formatage de longue durée qui s’est imposé comme norme et bonnes mœurs du bas-ventre. Un petit recul historique montre que dans tous les pays occidentaux la masturbation, la fellation, le cunnilingus, le lesbianisme étaient interdits par une Eglise catholique dont les dogmes étaient érigés en véritables polices des corps par criminalisation du plaisir sexuel étant donné que seul le sexe pour la procréation était voulu par Dieu. Toutes les autres postures sexuelles du kamasoutra que l’homme moderne pratique actuellement au lit étaient jugées sataniques car seule la position du missionnaire avait la bénédiction du ciel. Autant tout cela est derrière de nombreux pays occidentaux aujourd’hui, y compris les plus catholiques comme l’Espagne, autant l’ordre sexuel de l’Eglise catholique qui nous baigne fortement encore en Afrique noire sera évincé par le désir de liberté individuelle puisque de nombreux Africains commencent à dire : mon corps m’appartient, j’en fais ce que je veux !

Un leader démocrate doit entendre ce discours non parce qu’il encourage l’homosexualité dans la société camerounaise, mais parce qu’il est amené à gérer des sociétés où plusieurs citoyens sont homosexuels, d’autres hétérosexuels et même désormais transsexuels. Quand à ceux qui parlent de malédiction, il est à signaler que si malédiction il y a, alors elle est celle des hétérosexuels car ces homosexuels que nous condamnons sans scrupules dans des diatribes incendiaires ont été mis au monde par des hétérosexuels. Dans une Afrique noire et un Cameroun où la servitude organisée des corps et des esprits date au moins du 15ème siècle avec des causes à la fois internes et externes, brandir Félix Moumié de la main droite et Kadhafi de la main gauche n’annonce pas des projets politiques cohérents mais des salmigondis sans espoirs d’émancipations. C’est une instrumentalisation du discours

démocratique à des fins despotiques que de juger l’homosexualité du registre de la peste des temps modernes quand elle n’est qu’une preuve de la complexité de la sexualité de l’animal intelligent qu’est l’homme. Les politiques doivent gérer l’homme qui par nature est ondoyant et divers.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Université Catholique de Louvain


30/10/2012
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres