Vincent Sosthène Fouda. Chercheur en sciences politiques, il trouve « malsains » les rapports entre les hommes politiques et les médias au Cameroun.
D’une manière générale, quelle perception avez-vous des rapports entre les hommes politiques et les médias au Cameroun ?
Au Cameroun, les rapports entre les hommes politiques et les médias sont
des rapports malsains. La politique au Cameroun s’est construite en
l’absence de communication. Faire la politique au Cameroun, c’est
s’inscrire dans la logique d’un long mystère. Pourtant, la communication
doit donner à lire, à voir et à écouter. Il s’établit donc entre les
hommes politiques et les médias une relation de méfiance chez les
premiers et de défiance pour les seconds. Ce dualisme conflictuel fait
problème, parce que les médias font leur travail tandis que les hommes
politiques tentent d’occulter l’information. Les hommes politiques
considèrent encore la politique comme l’art du silence.
Le problème de Paul Biya c’est qu’il est l’héritier d’une pratique politique digne de l’Union des républiques socialistes soviétiques. Ce qui, paradoxalement, ne cadre pas avec notre héritage historique. Il aime la politique des couloirs. Il sait qu’il est arrivé au pouvoir par les réseaux occultes. Et qui dit réseau dit silence. Il ne doit pas son ascension au choc des idées. La génération qui vient après lui est sa copie conforme. A savoir John Fru Ndi et Ndam Njoya. C’est lui qui donne le tempo. Ce n’est pas un problème d’âge, mais de culture. Ils ont été moulés dans le même moule que Biya. C’est pourquoi, dans leur référent politique principal, il reste le président en exercice.
Ce qui explique la différence de style avec la nouvelle génération ?
Ils sont véritablement entrés en politique avec l’émergence des
réseaux sociaux et ont une autre compréhension de la politique. Ils
estiment que faire la politique, c’est avoir un problème avec le peuple,
mais aussi comprendre ses difficultés quotidiennes. Il y a dès lors une
interaction qui se crée entre leur vision et celle des populations
qu’ils veulent servir. Dès lors, ils ont besoin des médias. Il faudrait
cependant souligner que la communication politique au Cameroun est à
construire à partir des nouveaux outils modernes. La communication
gouvernementale, à titre d’exemple, n’est pas organisée. Il n’y a pas un
jour où les journalistes savent que le gouvernement va communiquer. Ce
sont donc les journalistes qui fabriquent l’actualité politique. Ils
poussent le gouvernement à sortir du bois et à faire plutôt de la
communication de crise. C’est par exemple le cas de l’eau et de
l’affaire Vanessa Tchatchou.
Au final, n’est-ce donc pas une affaire de génération, lorsqu’on connaît l’âge moyen de la classe politique qui nous gouverne ?
Non. C’est plutôt un problème d’inadaptation. On a une classe
dirigeante qui n’a pas réussi à s’adapter à l’action politique moderne.
Une classe politique qui ne doit pas sa carrière au peuple n’est pas
obligée de s’adapter. Les ministres ne sont pas des élus. Ils n’ont de
compte à rendre qu’à celui qui les a nommés, à savoir Paul Biya. C’est
donc au président de la République de communiquer. Comme il ne
communique pas, les autres ne sont pas obligés de communiquer.