Dans cette deuxième partie de l’entretien avec Dr Vincent Fouda, le leader de Cameroun Génération 2011 s’est clairement positionné sur certains thèmes brûlants de la société camerounaise. En lui posant la question sur le tribalisme qui est une réalité dans notre pays, il souligne « qu’il n’existe en réalité que deux ethnies au Cameroun : celle des riches et celle des pauvres, celle de l’élite et celle des va-nu-pieds et, n’oublions pas l’ethnie des créateurs de haine, ceux et celles qui appellent les innocents à s’entretuer.»
L’un des grands maux qui minent le Cameroun est le tribalisme. Monsieur Louis Tobie Mbida propose de faire appliquer une loi pour combattre ce fléau. Que dites-vous de cette proposition d’un de vos concurrents ? Quelles mesures proposez-vous ?
Le tribalisme est une réalité au Cameroun, mais c’est un mal qui ne nécessite pas une chirurgie pour en arriver à bout, ce n’est pas une tumeur qui demande la présence d’un médecin ! Nous devons prendre du recul par rapport à tout ce que nous entendons. Les Camerounais ne se connaissent pas et vivent très loin les uns des autres parce les moyens de communication font défaut. Par exemple, il manque des écoles, écoles qui devraient permettre la rencontre de l’Autre. De mon point de vue, il n’existe en réalité que deux ethnies au Cameroun : celle des riches et celle des pauvres, celle de l’élite et celle des va-nu-pieds et, n’oublions pas l’ethnie des créateurs de haine, ceux et celles qui appellent les innocents à s’entretuer. L’ethnie des chefs de guerre est minoritaire, mais elle règne sur l’ensemble du pays parce qu’elle contrôle tous les moyens de communication, les richesses et leurs moyens de production. Les hommes et les femmes deviennent des objets quand ils perdent tout espoir de s’en sortir, et c’est le cas au Cameroun. Il y a certainement autre chose à proposer quand on voit des hommes et des femmes s’entretuer comme c’est le cas depuis quelques semaines à Balinkumbat. De quoi s’agit-il ? Ce sont des éleveurs qui se battent contre des cultivateurs, des nomades contre des sédentaires ; la place de l’ethnie est secondaire dans ces conflits, ce qui est central c’est la lutte contre la misère et pour cela, l’État doit jouer son rôle d’organisateur, c'est-à-dire celui d’un État qui structure la société, qui réorganise la propriété foncière au Cameroun. Le Cameroun doit entrer de plain-pied dans la modernité sous peine de s’autodétruire. Nous sommes ceux qui peuvent le faire aujourd’hui parce que, visiblement, personne ne l’a pensé. Nous devons également faire face à une paresse intellectuelle manifeste qui consiste à penser qu’en Afrique les conflits et les rivalités n’ont pour seule et unique origine que l’ethnie et la tribu ; nous devons avoir d’autres références et celles-ci ne peuvent être qu’endogènes ; c’est pour cela que nous encourageons la recherche.
« L’après-Biya » devra résoudre un certain nombre de problèmes incontournables. L’éventuel futur président que vous êtes aurait déjà développé un plan pour la troisième République. Alors, que proposez-vous par rapport aux thèmes suivants :
a) Le Cameroun sur le chemin du fédéralisme ou de la décentralisation totale
b) Le Cameroun administré à la Française ou à la camerounaise
c) Le Cameroun sur le chemin de sortie de la FrançAfrique
d) Le Cameroun sans le FCFA
e) Le Cameroun sans la BIR
f) Le Cameroun avec une police et une armée républicaines
g) Le Cameroun et son rôle dans la zone CEMAC
h) Le Cameroun et le droit de vote de la diaspora
a) Si nous parlons de troisième voie, nous parlons aussi de la troisième République et pour nous, c’est important. Pour faire court, oui à la décentralisation, nous publions bientôt un ouvrage dans ce sens. Dans cet ouvrage j’expose comment nous voyons la décentralisation qui est le contraire du renforcement des morcellements ethniques et tribaux avec un renforcement des pouvoirs et de l’autorité des chefferies traditionnelles.
b) Nous ne préconisons pas une administration à la Française. Le Cameroun a ses spécificités, c’est à partir de celles-ci que le Cameroun doit être administré.
c) Je suis né en 1972, et je suis étranger à la FrançAfrique qui aurait dû mourir avec ses inventeurs.
d) Il faudra mener une étude sur le Franc CFA. Beaucoup s’interrogent sur le bilan du CFA plus de soixante ans après sa naissance le 26 décembre 1945. Nous pouvons nous interroger sur la libre convertibilité, la fixité de la parité entre l’euro et le Franc CFA, la libre transférabilité des fonds et la centralisation des réserves de change.
e) La BIR comme son nom l’indique, Brigade d’Intervention Rapide est appelée à demeurer, elle travaille à sécuriser notre pays, à protéger nos populations.
f) La police et l’armée au Cameroun sont déjà républicaines vont le demeurer. Ce qui va changer c’est toute la philosophie et les missions de la police et de l’armée. Nous voulons une armée au service du développement et une police réconcilier avec les populations. C’est possible si les uns et les autres se donnent les moyens. Cameroun generation 2011 a sa petite idée en concertation avec la police et l’armée.
g) Le Cameroun est appelé à jouer un rôle de leader dans la zone CEMAC. Il est la locomotive de cette zone d’expression de la spécificité de l’Afrique centrale et des relations que cette zone doit entretenir avec nos voisins notamment le Nigéria.
h) Je ne connais pas le terme diaspora, il ne rentre pas dans mon vocabulaire, il y a des Camerounais qui vivent dans la campagne, dans les villes et d’autres à l’extérieur. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Le pouvoir politique se doit d’aider et de favoriser l’expression libre des Camerounaises et des Camerounais partout où ils se trouvent. Cameroun Generation 2011 a dans cet ordre d’idée décidé d’offrir 10 postes de députés aux Camerounais qui sont à l’extérieur de nos frontières nationales, il en est de même pour les postes de sénateurs.
Toujours en parlant de « l’après-Biya ». De quelle manière effective comptez-vous redonner la vitalité et un nouveau souffle au Cameroun ? Si je peux le rappeler ici, au moins 40 % de la population camerounaise vit avec moins 2 dollars par jour…
Le Cameroun a besoin d’un souffle nouveau et celui-ci ne peut venir que d’une nouvelle équipe. Je suis le leader de cette nouvelle équipe. Le Cameroun a besoin d’une nouvelle politique, je suis le porte-flambeau de cette nouvelle politique. Ensuite, il faut remettre les Camerounais au travail. Pour ce qui est du budget, nous devons consacrer 60 % de celui-ci à l’investissement, c’est lui qui crée l’emploi. Je promets donc la création d’un million d’emplois dans le secteur informel, 600 000 emplois liés aux grands chantiers des mines, de l’eau, de l’écoénergie, de l’écotourisme et de l’habitat qui est l’autre grand défi de notre pays.
Pourquoi croyez-vous être mieux que Paul Biya et le RDPC ? Et si vous me permettez, le gouvernement actuel a élaboré un plan, une vision de développement du Cameroun à l'horizon 2035, le fameux document de stratégie pour la croissance et l'emploi (DSCE)
Nous n’avons pas dit que nous sommes meilleurs ou mieux que le RDPC de Paul Biya, nous respectons tous nos adversaires politiques. Nous pensons tout simplement que le RDPC et ses hommes sont au pouvoir depuis 1958, qu’il n’a pas pu se régénérer et qu’il est désormais arrivé au bout de son cycle de vie. Le Document de Stratégie pour la Croissance de l’Emploi (DSCE) en est la parfaite illustration ; il est un appel à l’exclusion de plus de 8 générations de Camerounaises et de Camerounais de leur propre devenir. En fait, c’est un tissu de mensonges qui vise à faire croire aux uns et aux autres que le Cameroun peut être un pays émergeant en 2035. Ses concepteurs et élaborateurs n’y croient pas eux-mêmes. Pensez-vous un seul instant que nous puissions atteindre le niveau de développement de la Chine, du Brésil et du Japon d’ici 15 ans ? Le Cameroun de 2011 est à 70 % rural, 40 % de sa population vit avec moins de 2 dollars par jour, le taux de chômage est l’un des plus élevés du monde. La deuxième réserve hydraulique du monde n’est pas capable de fournir chaque jour de l’eau potable à 75 % de sa population, 83 % des villages vivent dans l’obscurité, nous comptons à peine une dizaine de routes bitumées. De nombreuses femmes meurent encore des suites de couches dans notre pays. Sur dix enfants qui sortent le matin, 7 risquent de ne pas revoir leurs parents et il y a environ 17 000 morts sur nos routes par an, etc.
La liste est longue et pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est temps de passer à autre chose. Nous sommes le seul parti politique qui à quelques mois de l’élection offre au peuple camerounais un programme politique complet ; nous avons une équipe en ordre de bataille, des hommes et des femmes d’expérience et des compétences diverses et variées pour servir notre pays.
Quelle image avez-vous de vos éventuels concurrents de l’opposition ? Quelles sont leurs faiblesses et forces ?
C’est une élection présidentielle et je respecte tous mes concurrents, mais par-dessus tout je respecte le peuple camerounais, c’est à lui que je soumets le projet de société de Cameroun Generation 2011 dont je suis porteur. L’opposition est composée d’hommes et de femmes de valeur, je demande à tout un chacun de soumettre son projet de société aux peuples du Cameroun, par respect pour celui-ci ; c’est sur cette base que les uns et les autres seront jugés.
Un mot sur les manifestations qui ont été étouffées tout dernièrement au Cameroun ?
Le gouvernement devrait écouter les populations, elles sont le baromètre de la vie politique et surtout de l’action gouvernementale dans notre pays. Un gouvernement qui réprime ses populations quand elles veulent s’exprimer, mérite d’être mis à la porte. Maintenant, les appels à manifester doivent s’accompagner de réelles propositions parce que la politique est une confrontation d’idées et non de balles et de gaz lacrymogène. Le 23 février dernier, le déploiement et l’utilisation de la violence étaient disproportionnés. Je tire cependant des enseignements de cette manifestation.
Un mot sur la rencontre Louis Tobi Mbida /Kah Walla ? Est-ce le nouveau duo politique en constitution ?
C’est une bonne initiative, je ne sais pas si c’est un duo politique, ce qui est important c’est le peuple camerounais et la résolution de ses problèmes.
Avant d’aborder la campagne menée par Cameroun Generation 2011, je voudrais revenir sur vos activités sur le plan international. Vous avez tout dernièrement travaillé pour l’ONU en Côte d’Ivoire ; au niveau de la grande diplomatie européenne et américaine, vous entretenez aussi des contacts. Que pouvez-vous nous en dire ? La force et le soutien de Vincent Fouda viendront-ils de l’extérieur ?
Je rencontre au quotidien des hommes et des femmes avec lesquels j’échange sur plusieurs sujets. Le Cameroun n’est jamais loin. Maintenant, je suis candidat à une élection présidentielle au Cameroun et cette candidature n’engage pas l’Université du Québec à Montréal mon employeur, elle n’engage pas l’OIF, les Nations Unies et l’Union Africaine. Ce n’est pas dans ces institutions que je cherche des soutiens. Ce sont les peuples du Cameroun qui vont me porter à la présidence parce que j’aurais su convaincre chaque habitant de chaque hameau, chaque femme de chaque marché que j’ai le meilleur projet pour le Cameroun. Je ne demande pas un plébiscite, mais une réelle expression démocratique, au terme de cette expression, je sais que je serai élu.
Au Cameroun, tous les cas de figure sont possibles parce que le Chef de l’État est maître du temps, du calendrier et donc de l’agenda politique dans notre pays. Le Chef de l’État peut décider d’anticiper l’élection présidentielle pour plusieurs raisons qui constitutionnellement se tiennent. Notamment sa volonté d’organiser une transition sereine à la tête de l’État en convoquant un peu plus tôt le corps électoral, et dans ce cas de figure il ne se représente pas. Le second cas de figure serait qu’il veuille organiser un coup de force en tentant de surprendre ses adversaires politiques. Le troisième cas de figure pourrait être qu’il attende le terme de son mandat et qu’l organise l’élection autour du 11 octobre 2011. Le problème aujourd’hui n’est pas tant la date de cette élection ; elle réside dans la pauvreté du fichier électoral camerounais qui est le plus faible du monde parce que même la dernière née des républiques du continent africain c'est-à-dire la République du Sud-Soudan a un fichier électoral plus riche que celui du Cameroun. C’est un peu ce qui crée problème avec la communauté internationale. L’Organisation des Nations Unies souhaite certifier les résultats des élections présidentielles surtout dans les pays qui font leur premier pas dans la démocratie. Aujourd’hui, l’ONU demande au Cameroun d’enrichir son fichier électoral d’au moins 7 millions d’électeurs et d’organiser un scrutin à deux tours. Nous sommes loin du compte aujourd’hui et dans ce cas oui, la communauté internationale remettrait en question les résultats de l’élection présidentielle au Cameroun si elle avait lieu aujourd’hui.