Vidéo du jour. Moi, Paul Biya, président du Cameroun depuis 30 ans
Paul Biya a su user de son talent de fin manœuvrier pour
s’accrocher à son fauteuil, depuis le 6 novembre 1982, devenant l’un des
présidents africains comptant le plus long règne.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 70% des 20 millions d'habitants que compte le Cameroun ont moins de 30 ans…
Il
s’agit-là de toute une génération qui est née et qui a grandi avec Paul
Biya, à la tête du pays et, qui, d’une certaine façon, célèbre aussi
son anniversaire, ce 6 novembre. Pourtant, malgré le chômage qui frappe
13% de ces jeunes certains observateurs veulent voir en eux une force et
un facteur de développement.
«Le Cameroun est en
construction et l’histoire retiendra que M. Biya a été le président de
la liberté d’expression et du multipartisme. Son bilan est positif, même
s’il a par moments été contrarié par l’actualité mondiale.»
Ces propos d’Hervé-Emmanuel Nkom, un éminent membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais
(RDPC, au pouvoir), résument l’état d’esprit avec lequel les partisans
du président camerounais célèbrent les trente ans de l’arrivée au
pouvoir de celui qui est aussi le chef de leur parti.
Si
l’anniversaire est prévu pour être célébré sans tambours ni trompettes,
le mot d’ordre, si l’on s’en tient aux messages diffusés dans la presse
nationale, semble de vanter ce «Cameroun des grandes réalisations», thème de campagne de Paul Biya, lors de la présidentielle d’octobre 2011.
L’idée est de répéter que le président camerounais est un grand bâtisseur, mais surtout un démocrate, qui «n’a pas empêché la marche vers la construction du bien-être social», comme le mentionne un article du quotidien pro-gouvernemental Cameroon Tribune.
Perçu par de nombreux analystes comme un «havre de paix»,
le Cameroun est l’un des rares pays de la sous-région d'Afrique
centrale à n’avoir pas connu de guerre ces trente dernières années. Un
gage de stabilité et de paix dont le régime de Yaoundé a vite fait de
s’attribuer la paternité.
D’ailleurs, dans l’une de ses dernières grandes sorties médiatiques, Paul Biya se félicitait déjà, lui-même, de son bilan.
«J’ai fait plus et mieux que ce je devais», avait-il affirmé en 2007, avec tout le sérieux du monde, dans une interview à la chaîne France 24.
Cette déclaration avait d’autant plus surpris qu’elle venait
d’un homme qui a toujours voulu cultiver une image de modestie et de
prudence. Car, en s’exprimant ainsi, Paul Biya savait très bien qu’il
n’y aurait pas grand-monde pour le croire, même parmi ses laudateurs.
Avec
un taux de croissance de 3,8% et un chômage massif, une personne sur
quatre vit avec bien moins de 1,1 euro par jour au Cameroun. Et, selon
les chiffres de l’Institut national de la statistique, 70% des
travailleurs gagnent moins du salaire minimum qui est de 28.500 francs
CFA (43 euros) mensuels. Ces faibles performances valent au Cameroun
d’être classé 131e mondial à l’indice de développement humain de l’ONU.
Pourtant,
lorsque Paul Biya, alors Premier ministre, prend la succession du
premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo (démissionnaire), le 6
novembre 1982, il promet, pour ainsi dire, à ses compatriotes des
lendemains qui chantent.
Et les Camerounais se mettent à rêver de prospérité et de liberté.
Le
nouveau président, à travers sa politique dite du Renouveau, annonce à
grands renforts de discours un programme de rigueur dans la gestion des
affaires publiques et de moralisation dans les comportements.
Le slogan resté fameux de «Rigueur et moralisation»
était censé rompre avec les méthodes autocratiques et clientélistes de
son prédécesseur. Mais, au lieu de cela, la plupart des indicateurs au
Cameroun sont progressivement passés au rouge.
La corruption a
pris des proportions tentaculaires, au point que, à deux reprises, en
1998 et en 1999, l’ONG allemande Transparency International l’a classé
comme le pays le plus corrompu au monde. C'était l'époque où le Nigeria
voisin et le Cameroun se disputaient cette place peu enviée.
Le
clientélisme et le népotisme ont fait de la fonction publique du pays,
l’une des plus pléthoriques d’Afrique, avec selon les indications
disponibles au Bureau international du Travail (BIT), plus de 200.000 fonctionnaires pour près de 20 millions d’habitants.
L'hydre de la corruption
Et,
c’est dans les ministères et les diverses administrations que le
délitement de la société camerounaise est le plus perceptible et que
l’on ressent le plus fortement les effets de la corruption.
Des
Camerounais qui ont fini par donner des noms aussi savoureux que
détonants à la corruption (bière, carburant, taxi, tchoko, gombo,
motivation), accusent leur président d’avoir institutionnalisé le
phénomène.
D’où le peu de crédibilité qu’ils accordent à
l’opération mains propres, dite Epervier, lancée en 2006. Encore moins à
la Conac, la Commission nationale anti-corruption, dont la mission se
borne à identifier les causes du phénomène.
A cela, il faudrait
ajouter une situation des droits de l’homme des plus catastrophiques.
Plusieurs fois épinglé par des rapports de diverses ONG, le Cameroun
aurait connu un net recul dans ce domaine, depuis une décennie.
Dans son rapport 2011, CCFD-Terre solidaire dénonce pêle-mêle:
«Un
usage excessif de la force et des atteintes à la vie des populations
non armées, des exécutions arbitraires, des arrestations et détentions
arbitraires ciblées, des cas de tortures et traitements ou châtiments
cruels inhumains ou dégradants, des cas de violations des droits à la
liberté d’expression, d’opinion et d’information.»
D’où,
peut-être, ce cri détresse de Joshua Osih, le vice-président du Social
Democratic Front (SDF, principal parti d’opposition):
«Cela
fait trente ans que nous espérons un meilleur Biya, mais ça fait 30 ans
que le pays sombre. Nous sommes l’un des rares pays au monde, avec le
même dictateur depuis trente ans.»
En effet, en terme de
longévité au pouvoir, Paul Biya est dépassé de peu par les présidents
équato-guinéen et angolais, Teodoro Obiang Nguema et Jose Eduardo Dos
Santos (33 ans), et par le Zimbabwéen Robert Mugabe (32 ans).
Comment donc, avec un bilan aussi peu reluisant, le président camerounais a-t-il pu rester aussi longtemps au pouvoir?
Président intermittent
Paul Biya ne donne pas l'impression d'être un «monstre de travail».
Quasiment toujours absent de Yaoundé, la capitale, il séjourne une
bonne partie de l’année à Genève, en Suisse, ou à Mvomeka’a, son village
natal, dans le sud du Cameroun.
Tenez donc, il ne préside un
conseil de ministres qu’en moyenne une fois par an. Avant celui de
décembre 2011, le tout dernier que l’on a vu Paul Biya présider datait
de juillet 2009!!!
Ses longues absences du pays empêchent ses
opposants d’avoir la moindre prise sur lui. Par stratégie ou par
tempérament, ou peut-être les deux, il se fait discret, très discret,
même lorsque l’opinion publique réclame une intervention de sa part,
comme ce fut le cas, en 2006, lors d’une campagne de lynchage médiatique
de personnalités publiques accusées par une certaine presse d’«homosexualité».
Il
semble préférer laisser son épouse prendre les devants de la scène.
Chantal Biya est devenue un atout indispensable pour maintenir son
réfime en place.
La popularité dont jouit la Première dame
camerounaise auprès de ses compatriotes a permis de désamorcer
l'instabilité qui a failli se créer au lendemain des méutes de la faim
de 2008, où 139 personnes (chiffres de l'ACAT, Association camerounaise
pour l'abolition de la torture) avaient trouvé la mort.
Ces
personnes s’opposaient à une modification de la Constitution permettant à
Paul Biya de se représenter en 2018. Il aura alors 85 ans. Autant dire
encore un fringant jeune homme…
Raoul Mbog