Vergès à Abidjan : « La France préparait une agression »
Par Chloé Leprince | Rue89 | 31/12/2010 | 13H25
Jeudi matin très tôt, l'avocat français Jacques Vergès a atterri à Abidjan aux côtés de Roland Dumas. L'avocat controversé, connu pour avoir défendu Klaus Barbie, Slobodan Milosevic ou Tarek Aziz,
et l'ancien ministre des Affaires étrangères et ex-président du Conseil
constitutionnel, ont été invités par le président sortant Laurent Gbagbo.
Ils rejoignent le – petit – cortège disparate des conseillers blancs qui ont en commun de s'affairer sur place à réhabiliter le sortant tout en venant d'horizons aussi divers que les anciens réseaux africains du RPR (Jean-François Probst, proche de Jean Tiberi) ou l'entourage de Jean-Marie Le Pen (Me Marcel Ceccaldi, avocat du leader frontiste).
La présence de Roland Dumas s'inscrit quant à elle dans la lignée des relations de soutien entretenues durablement par le PS français avec Gbagbo – qui est membre de l'Internationale socialiste. Même si le gros des socialistes français se tient aujourd'hui à une distance prudente de celui qu'ils ont largement aidé à s'installer au pouvoir, certains, comme Henri Emmanuelli, ne désavouent pas ce lien.
Un mois après l'annonce des résultats, Laurent Gbagbo refuse toujours de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara en dépit des injonctions de la communauté internationale. Ce sont ces injonctions, et notamment la position pro-Ouattara de la France, que dénonce Jacques Vergès.
Interviewé par téléphone par Rue89 alors qu'il se trouve à Abidjan, l'avocat français ne se place pas dans une perspective d'apaisement.
Rue89 : Ce séjour est-il le début d'une longue série ? Préparez-vous une éventuelle défense de Laurent Gbagbo devant une juridiction internationale ?
Jacques Vergès : Je suis arrivé jeudi matin, je repars sans doute samedi soir. Je passerai le réveillon sur la lagune.
Nous reviendrons en effet : nous sommes venus à la demande du président Gbagbo, et parce que nous voulions nous informer de la situation pour ensuite agir en France.
« Agir en France » en vue d'un apaisement impliquerait un rôle d'intermédiaire avec les autorités françaises, peu acquises à ce jour à la cause de Laurent Gbagbo. Vous placez-vous dans cette perspective ?
Les autorités françaises ont des oreilles si elles veulent écouter. Agir en France signifie surtout tenir des conférences de presse et rendre compte de ce nous constatons sur place.
On affirme à Paris que le président sortant a été battu aux élections, or c'est complètement faux. J'ai rendez-vous ce vendredi après-midi avec le Conseil constitutionnel ivoirien pour voir des documents qui permettent de prouver le contraire.
Le Conseil constitutionnel ivoirien est clairement favorable à Laurent Gbagbo depuis l'issue du scrutin…
Il existe des pièces, que je compte bien ramener en France, qui permettent de prouver que Laurent Gbagbo a remporté les élections.
Il s'agit d'un coup d'Etat électoral organisé par le représentant de la France et le représentant des Etats-Unis en Côte d'Ivoire, qui ont pris par la main le responsable de la Commission électorale indépendante (CEI) [qui donne Ouattara vainqueur depuis le 3 décembre, ndlr] et l'ont conduit tout droit à l'hôtel du Golf [le quartier général d'Alassane Ouattara].
Dans quel but, selon vous ?
Mais, bien sûr, en vue d'une agression qui se préparait de longue date.
Etes-vous en mesure d'étayer l'hypothèse d'une telle agression ?
Absolument. Une agression militaire est préparée par la France et les Etats-Unis afin de placer un gouvernement fantoche en Côte d'Ivoire comme dans tant d'autres pays où des gouvernements de tirailleurs servent les intérêts français et américains sans mot dire.
15 000 Français vivent en Côte d'Ivoire dans de bonnes conditions. Le gouvernement a donné l'eau à Bouygues, le pétrole à Total, le port à Bolloré, mais les représentants ivoiriens voudraient bien être traités d'égal à égal.
On dit qu'Obama et Sarkozy on téléphoné à tel ou tel… mais comment prendrait-on en France que le président du Nigéria appelle au sujet des Roms ? Tous les chefs d'Etat africains n'acceptent pas d'être traités au rang de domestiques.
La question reste toutefois la légitimité du gouvernement. Avant de vous rendre à Abidjan, vous estimiez qu'on aurait pu attendre pour organiser ces élections. Avez-vous radicalisé votre position ?
Ce que j'ai dit, c'est que les élections ne résolvent pas un conflit, mais confirment un consensus. On a voulu passer en force, c'était là la grande erreur.
C'est pourtant Laurent Gbagbo lui-même qui a accepté ces élections, pensant les gagner…
Il a accepté et il les a gagnées ! C'est un coup d'Etat électoral et les forces de l'ONU se comportent comme en pays ennemi. Les militaires des Nations unies tirent à balles réelles sur des civils désarmés. Nous l'avons constaté en visitant les hôpitaux jeudi après-midi.
Mais à Paris, la presse a été intoxiquée. Or les élections ne se sont pas déroulées comme on le prétend.
Parmi les conseillers blancs de Laurent Gbagbo, dont vous faites partie, on peut citer Jean-François Probst, ou Marcel Ceccaldi, l'avocat de Jean-Marie Le Pen, Roland Dumas, ancien président du Conseil constitutionnel qui est, bien sûr, une figure de la Mitterrandie… Que répondez-vous à ceux qui trouvent qu'il s'agit d'un bien drôle atelage ?
Je ne sais rien de tout cela. Les commérages ne m'intéressent pas. On me dit qu'une guerre se prépare, c'est pour cela que je suis ici. Ce qui m'intéresse, c'est de trouver quels sont ces avions mystères qui débarquent à Bouaké [dans le nord de la Côte d'Ivoire, fief de l'ex-rébellion].
C'est ce que je rentrerai raconter à Paris et on verra bien si les intéressés me font un procès en diffamation.