USA - Cameroun : La déchéance de l’Etat Camerounais
Il n’y avait pas foule ce 4 février 2013 devant l’ambassade du Cameroun à Washington DC. Le froid polaire qui régnait sur la capitale américaine avait sans doute découragé même les plus téméraires, nés dans cette ambiance tropicale faite de sueurs subies et de discussions tonitruantes, sous le ciel parfume de senteurs mêlant viande grillée, poisson braise, et autres filles de joie, et ou tout semble prétexte à indexer la gestion des gouvernements successifs depuis l’accession de Paul Biya au pouvoir en 1982.
1982 ! A ce que je me souvienne, le Cameroun avait
excellente presse. Les jeunes obtenaient des bourses, allaient
effectuer de brillantes études en Europe pour la plupart, et revenaient
fiers comme des cabris, se mettre au service de la Nation. Lors de ma
première excursion à l’Ambassade du Cameroun à Paris, autour de 1988,
l’accueil fut basique, mais sérieux. Je suis sorti de la représentation
consulaire avec en main mon nouveau passeport, obtenu chrono en main, en
moins de 48 heures.
Tout semblait bien marcher, même si j’avais manqué de me faire
électrocuter par la photocopieuse défectueuse, avant de me risquer aux
toilettes tellement sales et puantes que le cabinet creuse dans le sol
de mes grands parents m’avait soudainement paru mériter 5 étoiles, pas
moins.
Bon, je raconte, je raconte, mais revenons a 2013, Washington DC, Etats Unis d’Amérique.
A mon arrivée a l’Ambassade située au 1700 Wisconsin Avenue, à 9h30 du matin, j’ai tout d’abord été intrigué par un mot collé sur la porte de l’entrée principale, sur lequel il était écrit : « Please use the back entrance ».
Je me dirigeai donc vers cette fameuse entrée des artistes, en fait la cour arrière du bâtiment, que j’ai trouve fermée à l’aide de chaines et d’un cadenas. Alors, incrédule, je refais le tour du bâtiment pour reprendre l’entrée principale, me disant que mes frères de l’Ambassade ont dû oublier de retirer le fameux papier la veille. Là, je trouve un jeune homme, venu retirer le passeport de son père, en train de discuter avec un employé de l’Ambassade qui était de l’autre cote de la porte et qui ne souhaitait visiblement pas ouvrir. Bien entendu, le dialogue de sourds prit très vite le dessus, l’employé d’ambassade bien au chaud, contre le jeune homme, transi de froid a l’extérieur. Cet employé, que je vais baptiser Toto pour les besoins de l’histoire (oui, Toto, en général le gros beta dans toute histoire qui se respecte).
Donc Toto, les mains dans les poches, vociférait de l’autre cote de la porte, essayant de faire passer un message dans les normes administratives camerounaises, a savoir dans la brutalité et le mépris les plus absolus. Ce message qui me parvint traduit en langage humain, disait : « l’ambassade est fermée. Allez consulter le site web et vous y trouverez l’information ». Quoi ?? Me dis-je en français. J’avais pourtant pris toutes les précautions avant de venir sur Washington. Pardonnez-moi, mais lorsqu’on envisage de se rendre dans un consulat camerounais a plus de 5 heures d’avion de chez soi, on prend la peine de vérifier si les lieux seront ouverts au public ! Ce que j’avais donc fait la semaine précédente, téléphonant pour m’assurer que mon dossier était complet, et surtout que les services consulaires seraient opérationnels ce fameux 4 février. Alors, je saisis, incrédule, mon iPhone, pendant que mon nouvel ami Toto disparaissait derrière la porte. Je me connectai donc au site de notre belle ambassade, à la recherche de la fameuse information. Rien, nada, zéro, que dalle ! Aucune mention d’une fermeture quelconque.
Je refis donc le tour du bâtiment, ou je retrouvai une dizaine d’usagers, demandant les uns aux autres quel genre de drame se jouait dans cette ambassade. Ils venaient des 4 coins de l’Amérique : Texas, Massachussetts, Oregon, j’en passe, et des meilleurs.
Au bout de 20 minutes, un autre employé vint
ouvrir le portail, afin d’y laisser entrer 2 véhicules. Il consentit à
nous donner l’explication suivante : « L’ambassade a déménagé », puis
referma sans vergogne son portail, avant de disparaître dans le bâtiment
en ignorant les questions qui lui étaient posées. Bigre… J’ose quand
même croire que lorsqu’une institution aussi importante qu’une ambassade
déménage, il n’y pas de place pour l’improvisation ! Et la, nous étions
clairement face a une situation de crise, car l’ambassadeur arriva,
précédé par 2 avocats représentants du propriétaire des lieux,
l’Université de Harvard. Et la, bing, la lumière fut. Faisons donc un
flashback.
En février 2012, un an plut tôt donc, l’Université de Harvard, par le
biais de ses avocats, entamait une procédure en justice pour l’expulsion
de l’Ambassade du Cameroun, qui depuis le 31 janvier 2012 occupait
illégalement les locaux, le bail étant arrive a expiration. La justice
ayant été saisie, les 2 parties avaient visiblement trouve un accord,
car en date du 1er février 2013, les locaux étaient toujours occupes par
l’Ambassade du Cameroun, qui répondait toujours au téléphone et
informait les usagers, confirmant même que les locaux seraient ouverts
au public la semaine d’après.
Alors, que s’est-il passe ce fameux week-end ?
Si Harvard et l’Ambassade du Cameroun ont trouve
un accord en 2012, les baux en général sont signes pour un an. Je ne me
risquerai pas a défendre cette thèse, car si j’étais à la place de
l’ambassadeur (croyez moi, je n’en ai ni l’envie, ni la compétence), je
planifierais ce déménagement dans les règles de l’art, a savoir signer
un bail pour de nouveaux locaux, informer les usagers par les moyens
devenus ordinaires tel qu’Internet, puis opérer ce déménagement pendant
le week-end, histoire d’en minimiser l’impact sur les usagers. Mais bon,
ca c’est moi.
Au lieu de ca, j’ai assiste a la scène surréaliste de voir notre
ambassadeur dans la cour, près des poubelles, ramasser une photo
d’identité tombée lors du « déménagement », ou devrais-je dire, de
l’expulsion. Sans doute quelqu’un qui devra refaire sa demande de visa
ou de passeport… Car oui, les poubelles étaient pleines de dossiers
divers et autres paperasses. Mesurant le caractère historique de la
scène que je vivais, je me saisis a nouveau de mon iPhone pour capturer
cette triste comédie digne d’un psychodrame. Mais trop tard,
l’ambassadeur avait déjà disparu.
S'en suivit un cafouillage digne de notre Cameroun que nous aimons tant. Des vas-et vient, des coups de fil, une foule grandissante, et pour finir notre ami Toto qui vient décrocher la pancarte signalant l’Ambassade, avant de descendre le drapeau de la Nation. Il ne manquait plus que de rendre les honneurs militaires en entonnant l’hymne national. Une scène terrible, humiliante, frustrante.
Car en fait, j’aime mon pays. J’aime tellement mon pays que j’ai refuse, au fils des années, d’acquérir toute autre nationalité. J’ai ressenti si souvent cette fierté inexplicable devant mon drapeau vert-rouge-jaune. J’ai acclame mon Président quand j’étais collégien, persuade que le futur du Cameroun était brillant, et que nous avancions résolument vers le progrès. Même ce 4 février 2013 a 9h29, une seconde avant l’impact, lorsque je cheminais gaillardement vers l’entrée de l’ambassade, je me récitais, comme pour mieux m’en convaincre, la gloire de notre beau pays, si beau qu’il est déchiré par le tribalisme, ronge par l’alcool, la prostitution, la feymania, les marches truques, et les Lions indomptables, pour ne citer que ceux la. Oui car telle est la triste réalité. Nous avons beaucoup avance, mais dans la médiocrité la plus absolue. La honte ne tue plus. On peut se faire virer d’un bâtiment, même si on est l’Ambassade du Cameroun. On peut devenir la risée de l’Afrique entière. On peut, depuis plus de 6 ans, dire a ceux qui veulent renouveler leur passeport « qu’il n’y a plus de cartons ». On peut violer et égorger des filles a Mimboman. On peut opérer des malades sans être chirurgien, ou s’inscrire au barreau avec une photocopie et quelques CFA. On peut tirer sur le convoi du Président de la République, du jamais vu. On peut céder des hectares entiers aux chinois contre une poignée de CFA. On peut laisser la jeunesse continuer a fuir le pays. On peut laisser aussi donc végéter quelques compatriotes dans un froid polaire, alors que les bases élémentaires de la courtoisie auraient voulu qu’un représentant de l’ambassade vienne exprimer sa compassion et ses regrets.
Ce Cameroun la, je n’en veux plus, et je ne suis certainement pas le seul. Ce vert-rouge-jaune la, présente aujourd’hui des couleurs pales, il a perdu tout son sens, il n’est plus réunificateur. Il s’exporte même à l’étranger, et ce qui semble être une maladie incurable se propage dans ses ambassades : l’incapacité à communiquer en langage simple et clair, l’incapacité de se définir comme un serviteur de ses compatriotes, l’arrogance et le mépris qui deviennent de règle, les bagarres et autres insultes qui rythment le quotidien.
Pour en revenir a l’histoire, un communique a été
publie dans le courant de l’après midi sur le site Internet de
l’ambassade, pour informer les usagers du fameux « déménagement », comme
pour nourrir la poule le jour du marche. Je préviens qu’il faut
carrément faire de l’archéologie pour trouver cette information qui
devrait pourtant figurer en première page.
Toto, dont le salaire est finance par les contribuables camerounais et
par l’argent en espèces verse par toute personne utilisant les services
de l’ambassade, s’en est retourne dans son refuge, surement beaucoup
moins stresse que la plupart d’entre nous.
J’ai repris tranquillement l’avion dans l’après midi pour retrouver mon
quotidien. Bilan : une journée de travail gâchée, un billet d’avion
gâché, mais quelques rencontres sympathiques, car mes compagnons
d’infortune ont su garder leur calme et réagir avec humour et
autodérision : « Le Cameroun, c’est le Cameroun non ? On va faire
comment ? »