Unité nationale : La division vient d’en haut
Des élites des régions du Centre et du Nord sont les principaux incitateurs au repli identitaire.
Le 31 août 2015 à Obala dans la région du Centre, Eyebe Ayissi lance l’appel de la Lékié contre la secte islamiste Boko Haram. Le ministre délégué à la présidence de la République en charge du Contrôle supérieur de l’État et les autres signataires de ce mémorandum ignorent alors que cette segmentation de la lutte anti-terroriste créera un tollé. Pourtant, tout dans cet appel laisse croire à un repli identitaire au moment même où le Cameroun a visiblement besoin de faire bloc contre l’ennemi.
Eyebe Ayissi essaiera de rectifier le tir le 1er février 2015. Cette fois, c’est à Monatélé, toujours dans « leur » département, que les élites de la Lékié lance une collecte de fonds pour venir en aide aux forces armées camerounaises. La cagnotte s’est finalement élevée à 8.260 000 de francs Cfa. Une preuve que les dignitaires du département de la Lékié soutiennent « la politique du chef de l’État contre Boko Haram ». Ainsi, dans un pays de 10 régions et plus de 300 langues maternelles, certains préfèrent manifestement prêcher pour leur chapelle.
La preuve avec Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre de la Justice (depuis décembre 2004). Il occupe ces hautes fonctions au moment où il fait des déclarations jugées tribalistes, relayées par un câble de l’américain Wikileaks. D’après Wikileaks, Amadou Ali s’est laissé aller à des confidences à Janet Garvey (2007-2010), alors ambassadrice des États-Unis au Cameroun. L’ancien garde des sceaux aurait déclaré à la diplomate que «…le prochain président du Cameroun ne viendra pas de l’ethnie beti/bulu de Biya. Les Beti sont trop peu nombreux pour s’opposer aux nordistes, encore moins au reste du Cameroun ». Le vice-Premier ministre se faisait ainsi le porte-parole des visées présidentielles des élites du septentrion. Certaines ne manqueront d’ailleurs pas de se désolidariser de ses propos.
Mama Fouda
Pris en flagrant délit de tribalisme ou de balkanisation politique du pays, Amadou Ali prétendra qu’il est victime d’une mauvaise interprétation de ses propos. Dans les colonnes du magazine panafricain Jeune Afrique, le ministre avoue avoir eu une causerie avec Janet Garvey. Toutefois, insiste-t-il dans la publication de Béchir Ben Yahmed, « je m’exprimais en français tandis que la diplomate américaine parlait l’anglais». Il y aurait donc eu une mauvaise traduction ou interprétation du français vers l’anglais. Dans la même veine du repli identitaire, les élites du département du Mfoundi, dans la région du Centre, ont une palme qui date de février 2008.
Le 29 février, soit au lendemain des « émeutes de la faim », l’Association fraternelle pour l’entraide et la solidarité des élites du Mfoundi (Asfesem) organise une réunion sous la houlette d’André Mama Fouda, élite du département et ministre de la Santé publique. Au terme dudit conclave ethnico-politique, la « déclaration des élites du Mfoundi » sera sans appel : « A la suite du chef de l’Etat, nous avertissons… tous ceux qui seraient tentés de rééditer chez nous les actes de vandalisme…Qu’il soit donc entendu que désormais nous répondons au coup par coup.
A partir de maintenant, œil pour œil, dent pour dent…En outre nous invitons fermement les prédateurs venus d’ailleurs, de quitter rapidement et définitivement notre sol… ». Qui sont donc « ces prédateurs venus d’ailleurs ? », voudra-t-on comprendre. La presse baptise cette fameuse déclaration de « pamphlet de la haine ». Dans la foulée, Gilbert Tsimi Evouna, tout aussi membre de l’Asfesem et absent de la rencontre susmentionnée, se désolidarise du « ton quelque peu belliqueux de ladite déclaration. » Dans sa déclaration à lui, il tient à « rassurer toutes les populations de la cité capitale, indépendamment de leur appartenance ethnique, politique ou religieuse, qu’elles sont chez elle à Yaoundé ». A quand l’appel de la nation ?