Un gouvernement à Kondengui
Mercredi, 18 Avril 2012 10:11
Claude Tadjon
Descente aux enfers. L’importance des fonctions
occupées par les personnalités interpellées et leur proximité avec le
chef de l’Etat posent de plus en plus la question de la crédibilité d’un
système et la responsabilité de son chef.
L’incarcération de l’ex-Premier ministre Inoni Ephraïm, lundi dernier,
démontre à suffire la qualité des personnalités de la République
interpellées.
Il n’en manque plus qu’un dans la préséance au sein du pouvoir exécutif
: le président de la République. Mais il est couvert par une immunité
constitutionnelle que les autres n’ont pas. Le tableau ci-dessous, des
personnalités déjà livrées à la justice pour des affaires de
détournements présumés de deniers publics, illustre bien le prestige des
fonctions qu’elles ont occupées.
Celui qui tient la palme de l’opprobre a été chef du gouvernement entre
2004 et 2009. A ce poste, Inoni Ephraïm a joué le rôle classique de
Premier ministre, chef d’orchestre de l’équipe gouvernementale.
L’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte en avril 2006 est
l’un des faits d’arme de son gouvernement. Avant d’être nommé Premier
ministre, Inoni Ephraïm était déjà dans l’entourage proche du chef de
l’Etat, au poste de secrétaire général adjoint de la présidence de la
République. Son épouse, Gwladys Inoni, a longtemps été une figure du
Cerac et à ce titre, proche collaboratrice de l’épouse du chef de
l’Etat, notamment dans l’animation de ce cercle d’œuvres caritatives.
Opprobre
Titus Edzoa, Marafa Hamidou Yaya et Jean-Marie Atangana Mebara ont au
moins deux choses en commun. Ils ont tous occupé la prestigieuse
fonction de secrétaire général de la présidence de la République avant
de tomber en disgrâce, touchant les profondeurs de l’abîme et de
l’humiliation avec des incarcérations médiatisées.
Le premier a piloté l’organisation du sommet de l’Oua en 1996 à
Yaoundé, le second a alerté, in extremis, le chef de l’Etat sur les
insuffisances criardes de l’organisation des élections couplées
législatives et municipales de 2002. L’obligeant à décider du report du
scrutin le jour même de l’élection. Le troisième est connu pour avoir
été l’un des Sgpr à avoir imprimé, dans une proportion non négligeable,
sa touche dans la composition du gouvernement du 8 décembre 2004. Le
premier gouvernement du second septennat de Paul Biya.
Les attributions du secrétaire général de la présidence de la
République en font naturellement un proche collaborateur du chef de
l’Etat, vice-dieu s’amusent les chroniqueurs, une personnalité influente
et lui donnent, selon les tempéraments et les personnalités des
titulaires, une illusion de puissance, surtout lors des fréquents
séjours privés du président de la République à l’étranger. Il est chargé
des relations entre la présidence de la République et le gouvernement.
Il assure la liaison entre l’exécutif, l’Assemblée nationale, la Cour
suprême, le Conseil économique et social et le Contrôle supérieur de
l’Etat. Dans l’exercice de ses attributions, le Sgpr reçoit une
délégation de signature.
Englué dans des démêlés judiciaires, Alphonse Siyam Siwé, condamné à la
prison à vie par la cour d’Appel du Littoral pour détournement de
deniers publics au Port autonome de Douala (Pad) a, lui aussi, servi à
la présidence de la République, comme secrétaire général adjoint. Puis
est venue l’entrée au gouvernement comme ministre de l’Eau et de
l’Energie après un passage sulfureux à la direction générale du Pad, où
il a évidement été nommé par Paul Biya.
Urbain Olanguena Awono et Polycarpe Abah Abah, autrefois ministre de la
Santé publique et ministre de l’Economie et des Finances ont été
interpellés le même jour : 31 mars 2008. Le deuxième a été un « super
ministre », l’un des rares, avec Akamé Mfoumou et feu Justin Ndioro, à
avoir géré le portefeuille jumelé de l’Economie et des Finances.
Super ministre
Il a eu le bonheur de conduire, pour le compte du Cameroun, les
négociations qui ont débouché sur l’atteinte du point d’achèvement de
l’initiative Ppte qui a, in fine, permis un substantiel allègement de la
dette de l’Etat.
Quant à Urbain Olanguena Awono, sa participation est connue, dans le
dossier des accords avec le Fonds mondial pour la lutte contre le sida,
le paludisme et la tuberculose. Accords qui se sont concrètement
traduits par un allègement, pour les populations, du coût de la prise en
charge de ces maladies. Haman Adama, ex-ministre de l’Education de
base, secteur prioritaire de l’activité du gouvernement doté de l’une
des plus grosses enveloppes annuelles budgétaires, Henri Engoulou,
ex-ministre délégué chargé du Budget, Mouchinpou Seidou, ex-ministre des
Postes et Télécommunications, croupissent aussi en prison.
Paulin Abono, ex-secrétaire d’Etat aux Travaux publics, n’a pas
vraiment profité de sa réputation de proche du cercle restreint de
l’épouse du chef de l’Etat. Et l’immense portrait de Chantal Biya, à
l’époque dans le salon de sa résidence à Mimboman, ne l’a visiblement
pas mis à l’abri des serres du rapace. Il croupit à la prison de
Yokadouma où le tribunal de Grande instance l’a condamné à 30 ans de
prison.
Sur la dizaine d’ex-directeurs généraux de sociétés d’Etat écroués pour
mauvaise gestion des fonds publics, Yves Michel Fotso, ex-Adg de la
Camair, est le dernier à avoir été arrêté. On dit son père très proche
de Paul Biya. Une proximité qui n’a visiblement pas résisté à la
pression des affaires imputées au Golden Boy.
Claude Tadjon
Pour qui vole l’Epervier ?
Motivations. Les interrogations sur le but de l’opération se multiplient.
Six ans après les premières interpellations, les prises de l’opération
Epervier suscitent toujours d’importantes réactions. Mais sont-elles les
mêmes aujourd’hui qu’en 2006 ? Le coup de filet du 21 février 2006 qui a
vu trois ex-Dg de sociétés d’Etat, Gilles Roger Belinga (Sic), Ondo
Ndong (Feicom) et Joseph Edou (Cfc) perdre leur liberté a sonné comme le
début d’une ère de probité accueillie par des explosions de joie et des
attroupements devant la direction de la police Judiciaire lorsqu’on y
annonçait une proie de l’opération Epervier. Et puis, il y a eu la
naissance d’autres types de sentiments, difficilement descriptibles : de
la lassitude, de la déception ?
A des intervalles et à un rythme indéfinis, pourtant, les
interpellations se poursuivent et celles d’Ephraïm Inoni et de Marafa
Hamidou Yaya, lundi, sont là pour le rappeler à ceux qui l’auraient
oublié. Okala Ebode, expert en techniques de lutte contre la corruption
réagit : « Je ne suis pas surpris par ces interpellations qui étaient
attendues au regard de l'implication de ces messieurs dans le dossier de
l'achat manqué de l'avion présidentiel. Toutefois, c'est le timing qui
suscite des interrogations et renforce la thèse d'une
hyperpolitisatisation de la procédure judiciaire qui, elle-même,
s'accompagne d'une hypermédiatisation au lendemain de l'adoption d'un
code électoral fortement contesté».
Politisation
Beaucoup font le parallèle entre la prise du duo Inoni - Marafa et
celle du duo Abah Abah Olanguena. En 2008, l’opinion criait contre la
modification annoncée de la Constitution. En 2012, le vote à l’Assemblée
nationale du code électoral est contesté.
Paul Biya, accusé d’instrumentaliser cette opération de lutte contre
les détournements de deniers publics, aurait à un moment songé à
changer de stratégie. L’idée, se consacrer surtout au retour de l’argent
volé. Pourtant, le discours n’a jamais changé. Dans les apparitions
publiques du chef de l’Etat ou dans les entretiens avec les diplomates
américains dévoilés par Wikileaks, on devine un Paul Biya en M. Propre,
qui donne de bons et mauvais points, qui apprécie le degré d’implication
d’un tel ou d’un tel autre dans une affaire, et qui s’est lancé dans
une croisade contre les corrompus et bandits qui l’entourent. Seulement,
avec un Premier ministre, des secrétaires généraux à la présidence de
la République, des ministres à la trappe, une conclusion est bien vite
tirée : tous des pourris, sauf Paul Biya.
Morale publique
Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux, comme Okala Ebode, à en
douter : «Si effectivement c'était une opération d'assainissement de la
morale publique, on verrait un changement de comportement des autres
gestionnaires de la res publica qui auraient vis-à-vis d'elle des
attitudes de probité. »
Alain Patrice Nganang, écrivain, pense que l’opération aura finalement
un autre effet : «S’il est clair que Titus Edzoa aurait eu peu de chance
de diriger le Cameroun, la tradition politique camerounaise et sa
balance tribale portent à dire qu’avec Marafa Hamidou Yaya, mais aussi
avec Inoni Ephraim, Biya vient de donner au Cameroun deux possibles
présidents quand l’opposition peine à en fabriquer ».
Jules Romuald Nkonlak
“La crédibilité du régime Rdpc est attaquée”
Mathias Owona Nguini. Pour cet analyste politique, les cas Inoni et Marafa finissent de jeter le discrédit sur l’Etat et les gouvernants.
Pourquoi les arrestations d’hier ont-elles provoqué tant d’émoi ?
Les arrestations d’hier ont effectivement causé de l’émoi parce qu’il
s’agissait de personnalités qui ont occupé de hautes responsabilités
dans notre pays. Cela montre que notre système institutionnel et
politique est largement atteint par des problèmes de gouvernance qui se
reflètent dans différents actes qui mettent à mal la gestion de la
fortune publique et remettent en question l’intégrité.
Sous réserve de la présomption d’innocence, que révèlent ces nouvelles arrestations sur les hommes qui nous gouvernent ?
Effectivement, nous devons tenir compte des réserves que vous formulez
et se rapportant à la présomption d’innocence. Toujours est-il que la
récurrence d’affaires impliquant de très hautes personnalités de notre
système gouvernant montre qu’en réalité, il existe une culture de
l’impunité. Cette culture ne tient pas qu’aux dispositions personnelles
des personnes qui, à tort ou à raison, ont été interpellées et écrouées
dans le cadre de ces affaires. Elle concerne également notre moralité
publique qui est fondamentalement affectée par un certain laxisme
gestionnaire et managérial. Cette culture de l’impunité est aujourd’hui,
à mon avis, la chose contre laquelle il faut lutter car, tant qu’on ne
l’aura pas fait reculer, il sera extrêmement difficile de véritablement
assainir les mœurs publiques et les mœurs de la société en général.
On entend des gens dire dans la rue « moi, je ne respecte plus
les ministres de ce pays, c’est des bandits, ils ne valent rien »…
Oui, effectivement, l’un des effets pervers de la lutte contre la
corruption comme celle qui apparaît à travers les différentes actions
politico-judiciaires menées dans le cadre de la campagne dite Epervier,
est que, précisément, l’Etat perde en crédibilité. Non seulement,
l’Etat, lui-même, comme appareil institutionnel, mais aussi ceux qui le
représentent, c’est-à-dire un certain nombre de personnes ayant exercé
des responsabilités importantes au sein de notre Etat. Fondamentalement,
la récurrence des affaires attaque la crédibilité de l’Etat et de ceux
qui en détiennent les commandes.
Pourquoi des voix s’élèvent qui soutiennent que le président de
la République est, au moins en partie ou au moins moralement,
responsable de ce qui se passe ?
Bien entendu, dans notre ordre constitutionnel, le président de la
République est le pivot des institutions. A ce titre, il dispose
d’importantes prérogatives en matière de nomination aux emplois civils
et militaires et il a également la prérogative de mettre fin à ces
fonctions. Il a donc une position centrale dans le choix d’un certain
nombre de responsables devant animer, à différents niveaux, la vie de
notre Etat. C’est donc également une responsabilité pour lui de
s’assurer que ceux qui l’entourent respectent l’ensemble de la
législation et de la réglementation en vigueur concernant l’intégrité et
l’honnêteté dans l’exercice des responsabilités d’Etat.
L’a-t-il toujours fait quand on voit que bien des faits reprochés à ses anciens collaborateurs remontent à longtemps ?
Si on constate effectivement qu’il y a des comportements considérés
comme délictueux et qui ont été commis il y a longtemps, cela peut
effectivement amener à croire que le chef de l’Etat a pris trop de temps
à mesurer l’ampleur de la corruption au sein des circuits gouvernants.
Il y a effectivement, à ce moment-là, des reproches qui peuvent être
faits à son action et considérer que le fait d’avoir laissé trop couler
peut également être l’une des raisons pour lesquelles l’impunité s’est
développée.
Le régime Rdpc sortira-t-il indemne de l’opération Epervier ?
Cela me semble difficile voire impossible. Au fur et à mesure,
l’intégrité et la crédibilité fondamentale du régime Rdpc, et même du
système institutionnel de la République du Cameroun, sont attaquées.
Comment ce genre de situations de corruption au plus haut niveau de l’Etat se sont-elles terminées dans d’autres pays ?
Généralement, ce type d’opérations conduit, à un moment ou à un autre, à
de très fortes probabilités de liquidation du système. On l’a par
exemple vu en Italie avec la fameuse opération « Manipulite » qui a
véritablement conduit à l’effondrement du système institutionnel
italien. Même si, après coup, on s’est rendu compte que cela n’a pas
suffi à rétablir nécessairement un niveau important d’intégrité
susceptible de prévenir des nouveaux comportements de corruption dans la
gestion des affaires d’Etat. C’est un risque pour le Cameroun que l’on
ne puisse plus, à un moment donné, maîtriser l’opération Epervier et que
ses contrecoups politiques et stratégiques affectent non seulement la
sérénité du régime mais aussi la sécurité du pays.
Notre pays est-il une république de pourris ?
Si on ne peut pas dire, sauf à être lapidaire, que notre république est
une république de pourris, ce qu’on peut dire, c’est que, de plus en
plus, il y a des pourris dans notre république. Il y a quelque chose de
pourri dans notre république.
Propos recueillis par
Stéphane Tchakam
Votre avis : Après les dernières arrestations, est-ce que vous avez encore confiance aux gens qui nous gouvernent ?
« Chacun est responsable » : Yves Mvogo, ingénieur des travaux publics.
Nous avons besoin d’un gouvernement car dans tout pays qui se respecte,
il faut des dirigeants. De nouvelles personnes ont été installées à la
suite du dernier remaniement ministériel. C’est notre devoir en tant que
citoyens de leur faire confiance. Mais cela n’exclut pas que s’ils
commettent des actes répréhensibles, ils doivent être sanctionnés comme
cela se fait depuis peu. Car, chacun est responsable.
« La confiance renaît » : Jean Paul Tchoumbou, comptable.
C’est une bonne information de savoir que certaines hautes
personnalités qui ont détourné des fonds ont été arrêtées. Mais le
véritable travail ne fait que commencer, lorsqu’on estime le ratio
entre la quantité d’argent détourné et le nombre de personnes arrêtées.
Beaucoup reste donc à faire. Au regard de tout cela, je ne puis dire que
je fais totalement confiance au gouvernement, mais ses actions
promettent des lendemains meilleurs. Cela permet de sensibiliser ceux
qui occupent des postes de responsabilité dans notre pays en ce moment.
L’action gouvernementale serait vraiment crédible si le remboursement
des fonds était impératif. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi
des boucs émissaires dans cette opération d’assainissement.
« Changer les mentalités » : Pierre Kakeu, technico-commercial
En tant que citoyen, nous nous devons de respecter les autorités en
fonction dans notre pays. Mais on ne comprend pas pourquoi on ne les
indexe pas dans les situations de détournements financiers lorsqu’elles
sont encore en exercice. Si ces arrestations étaient effectives à ce
moment-là, je crois que les mentalités changeraient.
Propos recueillis par Henriette Onguene et Prince Nguimbous (Stagiaires)
Les grosses prises de la Justice
Ex-Premier Ministre
1-Inoni Ephraïm
Ex-secrétaires généraux de la présidence de la République
1-Titus Edzoa
2- Marafa Hamidou Yaya
3- Jean-Marie Atangana Mebara
Ex-secrétaires généraux adjoints de la présidence de la République
1-Alphonse Siyam Siwé
2-Ephraïm Inoni
Ex-ministres et assimilés
1-Ministre d’Etat chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation : Marafa Hamidou Yaya
2-Ministre d’Etat chargé des Relations extérieures : Jean-Marie Atangana Mebara
3-Ministre de la Santé publique : Titus Edzoa
4-Ministre de l’Enseignement supérieur : Titus Edzoa
5-Ministre du Plan : Pierre Désiré Engo
6-Ministre de la Santé publique : Urbain Olanguena Awona
7-Ministre de l'Education de base : Haman Adama
8-Ministre de l’Economie et des Finances : Polycarpe Abah Abah
9-Ministre des Mines de l’Energie : Alphonse Siyam Siwé
10-Ministre de l’Enseignement supérieur : Jean-Marie Atangana Mebara
11-Ministre des Postes et Télécommunication : Mounchipou Seidou
12-Ministre délégué chargé du Budget : Henri Engoulou
13-Secrétaire d’Etat aux Travaux publics : Paulin Abono
Ex-directeurs généraux
1-Feicom : Ondo Ndong
2-Sic : Gilles Roger Belinga
3-Pad : Siyam Siwé
4-Scdp : Jean-Baptiste Nguini Effa
5-Chantier naval : Zaccheus Fordjindam
6-Aéroports du Cameroun : Roger Ntongo Onguené
7-Crédit foncier du Cameroun : Joseph Edou
8-Camair : Yves-Michel Fotso
9-Camair : Paul Ngamo Hamani
10-Cnps : Pierre Désiré Engo
Ex-présidents de conseils d’administration
1-Pad : Colonel Edouard Etondé Ekoto
2-Crédit foncier du Cameroun : André Booto’o à Ngon (décédé)