Le 23 août 2012, une plainte a été déposée contre Emmanuel Horé, adjudant-chef en service au Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (Gpign), auprès du commandant de la 3e région de gendarmerie. Dans la plainte signée d’Abdou Ibrahima, berger résidant à Mandjola II dans l’arrondissement de Bibémi, ce dernier dénonce des pratiques malheureusement trop courantes dans les zones reculées des régions septentrionales. Son affaire illustre bien le drame des populations rurales, confrontées au racket des forces de l’ordre censées pourtant les protéger.
Selon Abdou Ibrahima, tout a commencé à la mi-juillet 2010 quand l’adjudant-chef Emmanuel Horé est contacté par un certain Mathieu, indic de la brigade de recherches du Nord. Il lui conseille de faire une descente à Mandjola. Les deux hommes débarquent, armes et menottes en main. Ils se rendent à la chefferie de Mandjola et déclarent au maître des lieux être venus sur ordre du commandant de brigade de recherches arrêter et emmener le nommé Abdou Ibrahima. Le chef fait appeler le berger qui se présente aussitôt. Emmanuel Horé l’informe de l’accusation qui pèse contre lui : hébergement et collaboration avec les coupeurs de route. L’homme en tenue ne ferme pas totalement la porte à la négociation, suggérant clairement qu’ils pouvaient trouver un terrain d’entente. «Je pensais qu’il s’agissait d’une blague car moi-même je venais de verser une rançon de plus de 4.000.000 Fcfa aux coupeurs de route qui avaient enlevé mes enfants. C’est au vu de son insistance et de l’inquiétude de mon chef au sujet de cette affaire que je leur ai accordé un peu d’attention.
Comme je ne reconnaissais pas les faits qui m’étaient reprochés, je leur ai demandé de m’emmener. C’est le chef du village qui m’a demandé de négocier avec eux et de leur verser la somme demandée par le commandant de brigade de recherches», explique Abdou Ibrahima. «Ils exigeaient au début 1.500.000 Fcfa. Mais suite aux pourparlers engagés par le chef, ils ont accepté de prendre 890.000 Fcfa. C’est le chef qui m’a obligé à verser cette somme, car si cela ne dépendait que de moi j’aurais accepté qu’ils m’emmènent avec eux. Le chef du village m’a convaincu qu’une fois de l’autre côté de Garoua, je devais toujours être obligé de débourser de l’argent pour sortir de l’histoire qu’ils ont fomentée contre moi», poursuit le berger.
Visiblement, pour une affaire de collusion avec les coupeurs de route, le gendarme n’a pas trouvé utile de pousser son enquête bien loin, préférant trouver un accord de principe avec le berger. «J’ai été obligé de vendre quelques têtes de mes boeufs pour m’acquitter de la somme qu’ils exigeaient. J’ai donné cet argent pour sauver mon image puisque le chef était prêt à faire ce sacrifice pour moi. Quoi de plus humiliant pour un chef de famille que de laisser une tierce personne souffrir pour soi. Par l’entremise du chef du village qui est mon témoin, je leur ai entièrement versé la somme exigée», témoigne encore Abdou Ibrahima.
L’affaire se serait arrêtée là si, le 02 août 2012, Emmanuel Horé n’avait pas fait preuve d’avidité. Le gendarme fait une nouvelle irruption dans la zone et rencontre Abdou Ibrahima au marché de bétail d’Adoumri, à une vingtaine de Km de Mandjola. Là, l’adjudant-chef intime l’ordre au berger de lui donner 100.000 Fcfa qu’il doit remettre au commandant de la Sécurité militaire (Sémil). Abdou Ibrahima s’exécute et verse… 20.000 Fcfa, promettant de régler la différence le 09 août 2012. Las cependant du chantage du gendarme, le berger s’est attaché les services d’un homme de loi, en l’occurrence d’un greffier en service au parquet de Maroua.
A la suite de la plainte déposée contre l’adjudant-chef, celuici a expliqué avoir été mené en bateau par Mathieu, qui lui a déclaré agir sur ordre du procureur de la République. Emmanuel Horé reconnaît cependant avoir perçu 80.000 Fcfa de toute la somme décaissée par le berger. Pas sûr toutefois que cela le disculpe car sa reconnaissance des faits consacre sa filouterie. «Je soussigné Horé Emmanuel, gendarme en service au Gpign. Garoua, avoir pris en collaboration avec Mathieu de la brigade de recherches de Garoua, une somme de 890 000 francs pour régler son problème de fausse accusation fomentée par un groupe d’individus contre le nommé Abdou Ibrahima à Mandjola. Sur ce je n’ai perçu que 80.000 francs. J’ai été utilisé comme bouclier. Je persiste et je signe», tel est le document signé par l’homme en tenue.
Reste à la hiérarchie de la gendarmerie de tirer toute la lumière sur cette affaire car depuis quelques années, au prétexte de lutter contre la criminalité, les hommes en tenue écument les villages des régions septentrionales pour délester bergers et agriculteurs aisés de leur fortune.