Un Français parle « J'ai été enlevé par les FRCI »
Un Français parle « J'ai été enlevé par les FRCI »
France-Soir: Le ministre de l’Intérieur de Côte d’Ivoire, Hamed Bakayoko, a déclaré dans une interview à France-Soir que vous n’avez pas été arrêté mais que vous avez été « entendu » par la police et la gendarmerie samedi 20 août. Est-ce votre version des faits ?
Jean-Grégoire Charaux: Je n’ai pas été « entendu » ni « arrêté ». J’ai été enlevé. Je suis officier de gendarmerie à la retraite et je connais les procédures légales pour les avoir pratiquées durant toute ma carrière. J’ai enseigné la police judiciaire en Côte d’Ivoire et ailleurs. Quand on est entendu, on signe un procès verbal, on a le droit à un avocat, on peut prévenir un proche. Là, non, aucun de ces droits ne m’ont été garantis. Tout m’a été retiré. J’ai été enlevé sur dénonciation.
Qui vous a enlevé et vous a donc « entendu »?
Je sais faire la différence entre un policier, un gendarme et un militaire. Ces gens là étaient dans une tenue panachée, mi-civile, mi-militaire…
Comment les choses se sont-elles passées ?
Je suis arrivé par avion de Lomé (Capitale du Togo NDLR) à 1′aéroport d’Abidjan à 15H10. J’étais entre 16H15 et 16H30 en train de faire visiter un domicile à un couple de Français expatriés. A ce moment là, ces hommes que je vous décris sont arrivés. Ils étaient armés de kalachnikov et d’armes de poing. Ils nous ont demandé de sortir. Nous avons obtempéré. Ils ont libéré le couple et des trois qui restaient ils m’ont nommément désigné pour monter dans un véhicule noir sans plaque d’immatriculation en me menaçant de leurs armes. J’ai bien voulu demander qui ils étaient et ce qu’ils me voulaient mais ils ont répondu en m’intimidant avec leurs armes. Ils m’ont intimé l’ordre de monter et à mes compagnons de les suivre, encore une fois, sous la menace. Mes bagages ont été montés dans leur véhicule.
Ils nous emmenés dans une caserne entre le boulevard de Marseille et
le boulevard Valéry-Giscard-d’Estaing. Cette caserne abrite apparemment
les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas un poste de
police ! Il était 17H30. Dehors, ils ont directement sorti mon sac,
m’ont demandé la clé de mon bagage. En ouvrant ils ont « découvert »
41.000 $ en espèces que je venais de récupérer à la compagnie aérienne
de mon employeur, à sa demande, pour régler le carburant des avions.
Dans l’aviation en Côte d’Ivoire, et ailleurs en Afrique, tout se paye
en dollars. Ils savaient que je venais de retirer cette somme. J’ai été
victime d’une dénonciation et la victime d’une embuscade. Comment
voulez-vous qu’ils me désignent autrement aussi facilement ? Ils sont
venus nous cueillir et ils savaient où se trouvaient l’argent. Je m’y
connais en embuscade, je suis un ancien capitaine d’infanterie, ce n’est
ni plus ni moins que du banditisme. C’est du banditisme sous le sceau
d’une autorité militaire d’Etat.
Que s’est-il passé une fois qu’ils vous ont retiré l’argent ?
Ils
m’ont séparé du reste du groupe et isolé dans un bureau dans le corps
central de la caserne. Mes deux ravisseurs, sans grades, avaient
toujours leurs armes pointées sur moi et franchement ils ne
m’inspiraient pas confiance. Ils n’avaient rien de militaires officiels,
réguliers. L’un avait une tête de barbu et l’autre portait avec son
treillis une casquette de baseball. J’ai connu les événements de 2004 et
là, honnêtement j’ai cru que je voyais les mêmes hommes. J’ai eu peur
que l’on me retrouve dans une forêt avec une balle dans la tête. Je me
suis aussi souvenu de l’affaire Kieffer. Etre enlevé, séquestré, humilié
par ces gens là m’a vraiment inquiété sur le moment. Je ne savais pas
ce qu’il pouvait se passer. Là, un type arrive que l’on me présente
prétendument comme un capitaine de police, sans en avoir l’air, me pose
un tas de questions sur mon patron, m’accuse d’être un salopard, un
trafiquant ! Évidemment aucun procès verbal, aucune déposition, aucune
procédure légale… Je nie tout ce dont on m’accuse et répond que l’argent
est celui de mon patron, qu’il me l’a confié parce que je suis un homme
de confiance et que celle-ci sert à l’approvisionnement en essence des
avions de sa compagnie.
Vers 19H45, le commandant Wattao (« com-zone »
en charge des FRCI sur le secteur et nommé commandant en second de la
Garde républicaine par Alassane Ouattara NDLR), appelle pour savoir si
j’ai été brutalisé. Il m’a demandé de faire un écrit spécifiant que je
n’avais pas été victime de violences et que l’on m’avait rendu mes
effets personnels. J’ai signé bien évidemment, mais en sachant qu’à côté
de moi mes ravisseurs étaient toujours armés. Que se serait-il passé si
je n’avais pas signé ? J’ai signé, oui. Et quand on m’a rendu mes «
effets personnels », on ne m’a pas rendu l’argent qui s’y trouvait au
moment de mon enlèvement.
Hamed Bakayoko, ministre de
l’Intérieur de Côte d’Ivoire, déclare dans l’interview donné à
France-Soir ne pas savoir où l’argent est gardé. Qu’en pensez-vous ?
J’ai
du respect pour Hamed Bakayoko qui m’a appelé pour avoir ma version des
faits. Mais c’est un politique. Il est embarrassé par les hommes de
Wattao qui ne sont ni des gendarmes ni des policiers… L’action de ces
hommes là paralysent son objectif de rétablir la sécurité publique. Les
gens à qui j’ai eu à faire sont en réalité plus des voyous que des
militaires. Après, que Hamed Bakayoko défende le commandant Wattao, je
peux le comprendre, c’est de la politique. Le problème c’est que ce
n’est pas mon problème. Je ne fais pas de politique, je veux simplement
que l’on respecte mes droits, que l’on répare le préjudice que j’ai subi
et que l’on rende l’argent que l’on m’a dérobé sans motif et qui
appartient à une société privée.
Vous avez porté plainte pour quels motifs le lendemain ?
J’ai
porté plainte auprès de la gendarmerie pour arrestation arbitraire,
séquestration et vol. C’est bien de cela dont il s’agit. Après avoir
fait enregistrer cette première plainte, un officier de police
judiciaire de la Sûreté de l’Etat s’est présenté pour que je présente
une deuxième déposition. Ce que j’ai fait. Il y a donc deux plaintes et
deux enquêtes. Les deux sont identiques et je suis formel dans celle-ci
comme ici : ce qui s’est passé samedi 20 août est une bavure de la part
des FRCI.
Vous n’avez donc pas en tout cas été « brutalisés » par les FRCI ?
Nous
n’avons pas été brutalisés mais nous avons été intimidés par des hommes
armés qui refusent de s’identifier et de vous dire pourquoi vous êtes
embarqué et séquestré ! Ce n’est déjà pas mal non ? Franchement quand
vous vous retrouvez face à ces hommes là vous ne savez vraiment pas
comment vous allez sortir de là… Ils nous ont traité comme de la viande,
comme des voleurs.
L’ambassade de France est-elle bien intervenue dans votre libération ?
Oui,
c’est vrai et je remercie l’ambassade et le Premier conseiller ainsi
que la Force Licorne. Ils suivent l’affaire avec attention depuis le
début.
Est-ce que vous pensez que le commandant Wattao a commandité votre enlèvement ?
Je
ne sais pas. Ce que je sais c’est que c’est son second qui a fait le
coup. Je n’envisage pas qu’il n’ait pas été informé par lui. Je n’accuse
pas le commandant Wattao de corruption mais ce sont ses hommes qui
m’ont pris l’argent dans la zone qu’il est sensé contrôler. Il y a une
expression parfaite pour cela : « responsable mais pas coupable ».
Cette
affaire semble embarrasser le gouvernement ivoirien. Ne croyez-vous pas
que votre « affaire » tombe au mauvais moment pour lui ?
Au
contraire ! Avec cette affaire on rend service au gouvernement Ouattara
pour qui j’ai le plus grand respect. Il faut qu’Abidjan soit
débarrassée de la prédation et que gendarmerie et police retrouvent
leurs prérogatives. Je n’ai rien contre le nouveau pouvoir au contraire.
Je n’accepte pas l’injustice parce que je suis un soldat de la loi. Par
mon action je veux laver mon honneur et que ces actions de ce genre
cessent ! Il faut le savoir, tous les jours les Français sont pillés,
volés, vandalisés taxés, rackettés par ces voyous qui ont mis Abidjan
sous leur coupe.
Vous parlez de « voyous » au sujet de certains FRCI. Vous n’y allez pas un peu fort ?
Je n’ai pas peur de dire ce que je pense même si ces jours-ci je ne sors pas de mon hôtel de craintes de représailles. Ils sont les mêmes que les voyous d’avant. La seule chose qui a changé ? Leur ethnie. Sinon les mœurs restent les mêmes, la seule chose qui les motive c’est l’argent. Aujourd’hui ces gens là squattent des domiciles privés, volent des voitures… La Côte d’Ivoire mérite bien mieux. Je ne fais pas de politique mais j’aime ce pays. C’est mon deuxième pays. J’y ai de la famille, j’y ai travaillé pendant des années, j’ai protégé des familles chrétiennes, j’ai protégé des familles musulmanes à Yamoussoukro où j’étais en poste, j’ai formé des gendarmes qui sont aujourd’hui responsables, officiers… Je sais que la Côte d’Ivoire peut réussir à retrouver la paix. Les Ivoiriens ont le droit à la démocratie. J’ai confiance en ce pays et je veux y vivre.
Que demandez-vous à la justice ivoirienne ?
C’est simple. Je veux récupérer l’argent de mon patron. Je veux laver mon honneur. Je veux recevoir des excuses de ces hommes là. Il faut que cette histoire serve d’exemple. Ces méthodes doivent cesser.