Que
reste-t-il de Um Nyobè ? Tel est le titre d’un article figurant à la
page 4 du quotidien Le Jour du jeudi 13 septembre 2012. Ruben Um Nyobè
avait été assassiné 54 ans auparavant, date pour date. Poser la question
ci-dessus équivaut dès lors à poser la suivante : 54 ans après la mort
de Um Nyobè, quel héritage a-t-il légué ? Voire, Um Nyobè a-t-il fait
des héritiers ? Voire encore, quelle place occupe-t-il dans l’imaginaire
des Kamerunais (sic) ?
Je dois dire qu’à la lecture de cet article, j’ai téléphoné à deux
éditorialistes du quotidien qui m’ont offert spontanément et séparément
de proposer le présent article à l’effet d’exprimer mon opinion – ils ne
se sont pas concertés puisque j’ai pris soin de ne dire à aucun que
j’ai parlé à l’autre.
Um Nyobè a-t-il donc fait des héritiers ? Je ne parle pas des
imposteurs et des usurpateurs qui utilisent le sigle prestigieux UPC –
que certains sont allés jusqu’à protéger à l’Oapi – pour négocier des
places autour de la « mangeoire nationale », mais d’héritiers
authentiques, continuateurs de l’œuvre du grand homme. Ces imposteurs,
ces opportunistes, n’ont d’ailleurs pas peur du ridicule, puisqu’ils
vont aux élections en ordre dispersé, en factions UPC(K), UPC(N),
UPC(X), UPC(Y), UPC(Z). Plus grave encore, un individu dont j’oublie le
nom, a défrayé la chronique il y a un peu plus de 8 ans, prétendant
qu’il était Um Nyobè en personne, réincarné et revenu pour accomplir à
la manière du Messie, je ne sais plus quelle prophétie !
Pour savoir si Um Nyobè a des continuateurs, il faudrait d’abord
rappeler quel était son combat. Um Nyobè était la cheville ouvrière d’un
parti dénommé Union des Populations du Cameroun (UPC), créé le 10 avril
1948 et revendiquant : 1. L’unification des deux morceaux du Kamerun ;
2. L’indépendance totale du Kamerun unifié, c’est-à-dire la remise des
pleins pouvoirs entre les mains d’un gouvernement composé de
ressortissants dudit Kamerun, tous préalables permettant de ; 3. Élever
le standard de vie des populations Kamerunaises.
Si l’on peut dire que le pays est unifié territorialement quoiqu’amputé
de la partie nord du British Cameroon, force est de constater que son
indépendance n’est pas totale et que le standard de vie des populations,
loin de s’élever, se dégrade de jour en jour. Cette situation est la
conséquence du fait que la soi-disant indépendance a été octroyée aux
disciples de Louis-Paul Aujoulat, ennemi juré de Ruben Um Nyobè qui créa
le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) en 1951 pour recruter et
rassembler les Camerounais justement opposés à l’indépendance véritable
voulue par l’UPC.
Alors, peut-on prétendre poursuivre l’œuvre de Um Nyobè et en même
temps être membre d’un gouvernement du Cameroun tel qu’il est,
c’est-à-dire encore sous la tutelle de la France ? Certainement pas !
Il ne suffit pas de militer dans un parti qu’on appelle UPC pour
affirmer qu’on est disciple de Um Nyobè. Du reste, le parti dont Ruben
Um Nyobè était le Secrétaire général a été interdit en 1955 et ses
principaux dirigeants pourchassés, assassinés (Um Nyobè lui-même en
1958, Félix-Roland Moumié en 1960, Osende Afana en 1966, Ernest Ouandié
en 1971, etc.) Après l’assassinat de Um, le gouvernement fantoche qui a
remplacé l’administration française a autorisé une UPC dite légale
excluant les dirigeants élus au Congrès d’Eséka en 1952 et alors encore
vivants (Moumié, président ; Ouandié, vice-président ; Abel Kingué,
vice-président). Qu’on ne s’y trompe pas : toutes ces UPC
gouvernementales n’ont rien à voir avec le parti de Um Nyobè. En tout
état de cause, la vérité des faits doit s’imposer. Mon témoignage est
d’autant crédible que je ne revendique l’appartenance à aucune des UPC,
ni clandestine issue du Comité révolutionnaire (CR), ni légale, etc. Mon
témoignage est celui d’un observateur averti, mais aussi celui de
quelqu’un qui revendique sa part de l’héritage légué par Ruben Um Nyobè.
J’y reviens plus bas dans le présent article.
L’UPC légale autorisée après l’assassinat de Um Nyobè, ayant un certain
Théodore Mayi Matip parmi ses principaux dirigeants, a participé aux
élections législatives de 1960 faisant suite à la soi-disant
indépendance du 1er janvier de la même année, avant d’être absorbée par
l’Union camerounaise (UC) de Ahmadou Ahidjo devenue Union nationale
camerounaise (UNC), elle-même devenue Rassemblement démocratique du
peuple camerounais (RDPC). Voilà les faits : l’administration n’autorise
que des UPC collaborationnistes, car l’UPC originelle et authentique,
malgré l’interdiction, a continué d’exister dans la clandestinité.
Suivez le guide.
De leur vivant, Ernest Ouandié et Abel Kingué ont organisé en décembre
1960 à Accra (Ghana) une Conférence des cadres. Plus tard, en 1961,
Ernest Ouandié est rentré clandestinement au Cameroun pour diriger la
résistance dans le maquis – que le régime fantoche a qualifié de
rébellion – avant d’être arrêté, jugé, condamné à la peine capitale et
exécuté le 15 janvier 1971. Nous devons à la vérité de dire que l’UPC
clandestine n’a pas croisé les bras pendant les années 1970 et 1980,
malgré la disparition de Ouandié. Michel Ndoh et Woungly Massaga, alias
commandant Kissamba, proches collaborateurs de Ouandié et au nom du
Comité révolutionnaire (CR) créé de son vivant par Ernest Ouandié, ont,
entre autres actions, mis sur pied le Courant du Manifeste national pour
l’instauration de la démocratie (Manidem) et reconstruit le parti avec
une nouvelle génération de cadres ; c’est ici qu’on retrouve des
personnes comme Samuel Mack-Kit, Moukoko Priso, Henriette Ekwé, Anicet
Ekanè, pour ne citer que quelques-uns parmi les noms les plus connus du
grand public.
On se souvient du reste des arrestations massives et par vagues
successives de militants de cette UPC clandestine, restée fidèle à Um
Nyobè, en 1976 et même en 1985 sous le « Renouveau ». Des centaines de
ces jeunes qui ont fait survivre l’UPC sont donc arrêtés, emprisonnés,
sauvagement torturés dans les officines de la BMM du redoutable Jean
Fochivé. Pendant ce temps, certains anciens militants de l’UPC ont
rejoint l’Unc, puis le Rdpc et même s’opposent au multipartisme !
Lorsqu’en 1991, le multipartisme est rétabli, les observateurs avisés
sont étonnés d’apprendre qu’un parti du nom de l’UPC a pour président
Dicka Akwa et pour secrétaire général un certain Augustin Frédéric
Kodock qui fut secrétaire d’Etat de Ahidjo dans les années 1960… En
fait, l’administration néocoloniale, à l’image de son ancêtre,
l’administration coloniale, a tout simplement rendue sa liberté à l’UPC
qui avait été absorbée par l’UC, puis par l’UNC.
L’UPC clandestine s’appelle alors UPC-MANIDEM, dirigée par Michel Ndoh,
après la démission surprise de Ngouo Woungly Massaga. C’est cette
UPC-MANIDEM qui a poursuivi l’œuvre de Ruben Um Nyobè, c’est-à-dire la
résistance au néocolonialisme. Mais elle est empêchée de foctionner.
Si j’ai réagi à l’article du journal Le Jour évoqué au tout début de la
présente contribution, c’est que le journaliste qui l’a rédigé, sans
doute trop jeune pour se remémorer les faits, est allé vers des
personnes qui se disent militantes de factions de l’UPC, faisant ainsi
croire que ces UPC ont à voir avec le parti dont Ruben Um Nyobè était
secrétaire général. Il n’en est rien tel que je viens de le rappeler
succinctement.
En réalité, l’upécisme, qui est l’âme immortelle du peuple camerounais,
a depuis longtemps quitté les UP(N,K,X,Y,Z). Des partis autorisés
susceptibles de se réclamer valablement de l’héritage de Um Nyobè figure
le Manidem dirigé par Pierre Abanda Kpama. Mon parti, l’Union des
populations africaines (UPA), sans être d’inspiration upéciste, mais
panafricaniste se réclamant politiquement de Kwame Nkrumah, fait siennes
les revendications « umistes » et patriotiques de Ruben Um Nyobè. C’est
que Krumah, qui a lutté pour l’indépendance du Ghana au moins autant
que Um Nyobè pour celle du Kamerun, m’a appris que le néocolonialisme a
tout simplement remplacé le colonialisme que combattait Um Nyobè, avec
des effets encore plus pervers. « L’essence du néocolonialisme, écrit
Nkrumah, c’est que l’État qui y est assujetti est théoriquement
indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan
international. Mais en réalité, son économie, et par conséquent sa
politique, sont manipulées de l’extérieur. Cette manipulation peut
revêtir des aspects divers. Par exemple, dans un cas extrême, les
troupes de la puissance impériale peuvent être stationnées sur le
territoire de l’État néocolonial et en contrôler le gouvernement. Plus
fréquemment pourtant le contrôle est exercé par des moyens économiques
et monétaires. L’État néocolonial peut être obligé d’acheter les
produits manufacturés de la puissance impérialiste à l’exclusion des
produits concurrents venus d’ailleurs. Le contrôle de la politique de
l’État néocolonial peut se faire par des versements assurant les frais
de fonctionnement de l’État, par l’introduction de fonctionnaires à des
postes où ils peuvent dicter une politique, et par le contrôle monétaire
exercé sur les changes grâce à un système bancaire contrôlé par la
puissance impérialiste. » (Kwame Nkrumah, Le néocolonialisme, dernier
stade de l’impérialisme, Présence Africaine, Paris, 1973, pages 9 et
10).
A la dernière élection présidentielle d’octobre 2011, où Hubert Kamgang était le candidat de l’UPA, tout le monde l’a entendu dire que s’il était élu, il dénoncerait les conventions léonines que la France a imposées à notre pays et créerait une monnaie camerounaise dénommée le um – en hommage à Ruben Um Nyobè, à l’instar de la monnaie du Venezuela qui s’appelle le bolivar, en souvenir de Simon Bolivar qui lutta pour l’indépendance de ce pays. Le um se présente en coupures de 500, 200, 100, 50, 20, 10 et 5 portant les effiges, respectivement de Félix-Roland Moumié, Ernest Ouandié, Ndeh Ntumazah, Abel Kingué, Osende Afana, John Ngu Foncha et Albert Mukong pour le rôle que chacun de ses personnages a joué dans la lutte pour l’unification ou l’indépendance du Cameroun.
Vous avez posé la question : que reste-t-il de Um
Nyobè ? Plus le temps passe, plus Um Nyobè s’installe dans la mémoire
collective des Kamerunais (sic). Même le régime néocolonial reconnaît la
place de Um Nyobè, comme en témoigne la loi n° 091/022 du 16 décembre
1991 portant réhabilitation de certaines figures de l’histoire du
Cameroun, même si le bourreau Ahidjo figure à côté des victimes Um
Nyobè, Moumié et Ouandié !
Le 08 août 2012, l’UPA, le MANIDEM et le MOCI ont donné une conférence
de presse à Douala au cours de laquelle les trois partis ont décidé
d’adopter une plate-forme avec pour objectif de fusionner avec d’autres
forces qui se réclament du panafricanisme en général et de l’upécisme
authentique – qui fait partie du panafricanisme – en particulier, afin
de créer un nouveau parti reprenant la lutte au stade où Um Nyobè l’a
laissée et de la prolonger à l’échelle du continent jusqu’à la création
des Etats-Unis d’Afrique.