Tribune: Les 10 Camerounais les plus impopulaires
Il est difficile de trouver plus impopulaire que la liste des personnalités ci-dessous. En l’absence de sondages, de données statistiques, on peut en partie se fier à l’observation et au Kongossa (rumeurs publiques)
Il est difficile de trouver plus impopulaire que la liste des personnalités ci-dessous. En l’absence de sondages, de données statistiques, on peut en partie se fier à l’observation et au Kongossa (rumeurs publiques)
Des supportrices de l'équipe de football du Cameroun au stade Gerland, à Lyon REUTERS/Robert Pratta
l'auteur
10 - Ayang Luc
Combien de Camerounais connaissent le visage de cet homme? Il est pourtant le Président du Conseil Economique et Social. Qu’est-ce que c’est ce machin? Une institution qui fait de son président la quatrième personnalité de la République. Ayang Luc a également été Premier ministre du Cameroun, il occupe sans interruption les plus hautes fonctions de l’appareil d’Etat depuis Mathusalem… Et il y a fort à parier que beaucoup de Camerounais ne feront sa connaissance que le jour de sa mort.
9
- Fame Ndongo Jacques
Jacques le magnifique est un homme d’Etat camerounais et un écrivain. Il est plutôt méconnu sur le plan littéraire (ce n’est pas faute d’avoir essayé: la reconnaissance même est d’une ingratitude!), il est en revanche un sage respecté de ses pairs, ses camarades du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, ndlr), coterie où respect signifie crainte. Sur le plan politique, chacune de ses interventions est une démonstration de sa maîtrise de la langue.
La police camerounaise de la langue et du discours soupçonne ce politicien affûté de savoir par cœur toutes les entrées du Larousse des synonymes. Son «imperturbabilité» apparente lui donne un côté bon papa, qui le rend passablement sympathique auprès des étudiants (dont il est le Ministre de l’enseignement supérieur), sans en faire un ministre populaire.
Sa dernière sortie médiatique avait des allures d’exécution publique. A sa décharge pourrait-on dire, il s’agissait de légitime défense. En réponse aux outrages de son meilleur ennemi: Marafa Hamidou Yaya. Sa lettre a été reprise par le journal «officiel» du RDPC (L’Action) et par le journal «officieux» du RDPC (Cameroon Tribune).
C’est avec des encyclopédies que les chroniqueurs et éditorialistes se sont mis au décryptage de sa savante prose, son «décodage textuel» (sic). Il y cite un grand principe qu’il qualifie d’«aristotélicien»: «le principe du tiers exclu», en vertu duquel on ne saurait à la fois être et ne pas être.
Ce principe, qui n’est qu’un principe et non pas un dogme catholique, auquel on peut du reste opposer le principe du tiers inclus, ce principe donc est convoqué pour nous dire que Marafa Hamidou Yaya n’est plus membre du RDPC. Au terme d’une démonstration où il établit pourtant que l’ancien ministre est encore membre du RDPC.
Si le principe du tiers exclu devait être appliqué dans l’affaire Marafa, la disjonction opérée par le juge d’instruction ne serait-elle pas une hérésie à la doctrine de Jacques, le dernier des Mohicans, qui défendra Paul Biya de la justice même du Ciel s’il en a jamais l’opportunité?
A force de raisonner à coups de citations étourdissantes d’auteurs que l’on serait bien en peine d’épeler correctement (Madame De Sévigné, Pierre Choderlos de Laclos, etc.), il ne réussit tout au plus qu’à prêcher les convertis du RDPC. Dans ce parti politique, on est comme en religion, on a la haine de l’idée et de toute forme de culture explicative.
8 - Marafa Hamidou Yaya
Il a lui décidé de faire appel de sa mise en détention provisoire auprès du peuple camerounais, au nom duquel il croit avoir été arrêté. Sans jamais se départir de sa morgue, il bidonne la réalité pour les besoins de son image, et annonce du fin fond de sa prison qu’il a un grand projet pour le Cameroun. Il est de la trempe de ceux qui croient que tout leur est dû, ceux qui croient que, s’ils sont au-devant de la scène, c’est parce qu’ils sont meilleurs que tout le monde, s’ils sont plus riches, c’est parce qu’ils ont su le mériter.
Les Camerounais sont un peu voyeurs, ils s’intéressent à ses lettres, à ce que Marafa a dans le ventre, pas à ce qu’il peut représenter politiquement. On le juge «intéressant» éventuellement, «dangereux» incontestablement. Son meilleur ennemi? Issa Tchiroma Bakary: entre frères fulfuldes la haine a bien meilleur enjeu!
7 - Issa Tchiroma Bakary
Voilà un vrai original. En politique camerounaise, plus ils sont impopulaires, mieux ça vaut pour Paul Biya et moins facilement il pourra se défaire d’eux. Le ministre de la Communication est plutôt marrant, mais ne fait pas toujours rire les Camerounais. Chacune de ses interventions ressemble à une lutte pour sa survie et sa longévité dans le gouvernement de Paul Biya, auquel il se sent obligé de claironner sa loyauté du lever au coucher du soleil.
6 - Amadou Ali
L’ancien ministre de la Justice a été «déclassé» lors du dernier remaniement ministériel. Ses propos anti bamiléké (le plus important des groupes ethniques du Cameroun, ndlr) l’ont disqualifié comme interlocuteur sérieux de la scène politique et ont choqué l’opinion publique. Il n’est plus qu’un fonctionnaire auquel monsieur Biya a donné des titres et un rang.
5 - Tawamba Céléstin
On le disait très proche de Polycarpe Abah Abah, Yves Michel Fotso l’a récemment cité dans une sortie médiatique où il semblait le dénoncer comme l’un des fossoyeurs de la Commercial Bank Cameroun (CBC). C’est dire s’il choisit ses amis et ses ennemis avec un égal art.
On le sait un travailleur, mais sa personnalité «impulsive», son enrichissement fulgurant en font un milliardaire que l’on se plait à détester en ce moment. Ses amis ne clament pas bien haut qu’ils sont ses amis et ses défenseurs se recrutent surtout parmi ses proches.
Son meilleur ennemi? Yves Michel Fosto: entre milliardaires, on se déteste mieux.
4 - Fotso Yves Michel
Il est perçu par l’opinion publique camerounaise comme un enfant gâté, qui a dépensé sans compter les richesses de son père, et s’est embourbé dans des affaires de montages financiers, alors qu’il n’en avait nul besoin. Il aurait engagé des luttes pour la succession dans le clan Fotso et en dehors, alors qu’il était l’héritier putatif de son illustre père.
Il aurait d’ailleurs songé à attaquer son père en justice et a d’abord refusé de voir celui-ci, quand il a été incarcéré, avant de revenir à de meilleurs sentiments… Au moment de sa mise en détention provisoire, les Camerounais de l’Ouest ont été solidaires de son père plutôt que de lui-même. Son impopularité n’a d’égale que la popularité de son père. Au-delà en effet de la concurrence que lui vouent les autres milliardaires de sa région, Victor Fotso est une icône et c’est par rapport à lui que l’on se positionne. Son «enfant prodigue» a réussi le tour de force d’entrer en politique par la porte de la prison.
3 - Ntsimi Antoine
Il ne vit presque pas au Cameroun, toujours entre deux avions. Mais Jeune Afrique, dont il a été l’homme à abattre dans deux éditions au moins, semble s’être spécialisé dans le journalisme à charge. Son procès a été fait par l’hebdomadaire parisien, son nom a été traîné dans la boue, à grands renforts de méthodes inquisitoriales…
A l’occasion de ses démêlés avec le président centrafricain, François Bozizé, c’est chaque camerounais qui y est allé de sa petite anecdote sur ce «mégalo» auquel il est fait le procès d’être le meilleur à son poste depuis la création de la CEMAC (Commission de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale, ndlr). Il est peut-être la preuve que l’on peut être impopulaire, sans avoir à faire quoi que ce soit pour cela.
Malgré les attaques, le président de la Commission de la CEMAC , ancien député et ancien ministre des Finances, s’est emmuré dans l’indifférence et le silence. Et c’est dans le silence qu’il a eu raison de ses ennemis les uns à la suite des autres. Le président centrafricain qui l’avait expulsé manu militari a été contraint de l’accueillir à nouveau en son sol.
2 - Fru Ndi John
Il est accusé de faire du biyatisme à l’envers. Absent partout, sauf à chaque échéance électorale présidentielle. Son costume de leader de l’opposition est taillé sur mesure et il n’entend pas le céder à quiconque, estimant qu’il est l’opposant historique de Biya. Il n’est juste pas question qu’il cède la place aux jeunes loups de son parti. On zappe naturellement en le voyant sur le plateau d’une chaîne de télé, plus naturellement que l’on ne le ferait pour Kah Walla ou Albert Dzongang par exemple. Pourtant il est bien le leader de l’opposition!
Mais celui qui bat tous les records d’impopularité, c’est jusqu'à preuve du contraire…
1 - Lya Mohammed
Il est le président de la FECAFOOT (Fédération Camerounaise de Football) depuis 14 ans. Il n’y a pas un Camerounais qui n’ait une idée bien originale et bien à lui concernant la manière dont on pourrait le pendre. Et c’est à peine si l’on exagère. Tant et si bien que la rumeur l’a plusieurs fois annoncé au porte de la prison pour des faits de détournements de fonds publics. Mais non, il se paie le luxe d’être libre et peut-être «clean».
Mieux, il se met à dos des icônes camerounaises (d’abord Samuel Eto’o, maintenant Roger Milla). En dépit du tollé dans les milieux sportifs et dans la presse nationale, il a imposé son copain, Denis Lavagne, à la tête des Lions Indomptables, visiblement sa propriété personnelle.
On peut parler d’une sortie de scène ratée pour le président Biya, sa fin de règne est d’ores et déjà un échec. Mais peut-être ce pourrissement est-il délibéré et assumé par ses stratèges. Les boules puantes que lui et ses collaborateurs lancent dans l’air n’en finissent pas d’empuantir l’environnement. Au point que des éditorialistes inspirés se croient à présent fondés à prédire que Paul Biya lui-même n’échappera pas à la déliquescence de son régime et au procès qu’il en a lui-même instruit.
Au total, c’est parmi les membres du Gouvernement que l’on dénombre le plus de personnalités impopulaires. Pour être ministre au Cameroun, point n’est besoin d’avoir une légitimité populaire.
Les personnalités les plus impopulaires sont celles qui clivent le plus la société camerounaise. Elles se détestent, c’est leur droit. Mais elles outrepassent ce droit et montent les Camerounais les uns contre les autres : elles sont renvoyées dos à dos dans l’opinion publique qui n’est pas dupe et qui a soif de sang et a faim de pain.
Eric Essono Tsimi, Ecrivain camerounais