Tribunal Criminel Spécial : le grand malentendu
Les procès se sont accélérés avec la parution du livre d’Urbain Olanguena, ancien ministre de la santé. Le mouvement a connu comme un raidissement et une montée en force avec la double condamnation à vie d’Yves Michel Fotso. Pour le premier, alors qu’il était au départ inculpé pour la somme 14,8 milliards, ce montant a été ramené à 414 millions après enquêtes. Il n’en a pas moins écopé d’un emprisonnement de 15 ans. Son livre, « Mensonges d’Etat » a été perçu comme un brulot. Et a provoqué une fouille en profondeur des cellules de la prison centrale de Kondengui.
Pour le second, Michel Fotso, les avocats mal informés de la gravité des charges émises à l’encontre du fils du milliardaire, ont juré de battre campagne contre le tribunal Criminel Spécial qui était apparu, à leurs yeux, comme une machine de mise à mort systématique ou d’acharnement judiciaire. Dans le même temps, son co-accusé, dans l’affaire distincte de l’avion présidentiel qui n’a jamais été livré, Marafa Hamidou Yaya, a vu sa peine ramenée à vingt ans.
Cinq de moins que sa première peine de vingt-cinq ans. On multiplie les exemples de verdicts à contestation, Polycarpe Abah Abah, l’ex-ministre des Finances, Yen Eyoum Lydienne ou quelques autres encore. Pourquoi l’ex-ministre des Finances attend toujours de sauter le pas et de servir à l’opinion les grandes révélations qui feraient sauter la République ? Tous ses compagnons d’infortune déploient leurs talents d’écrivains et livrent leurs belles proses massacrantes.
Mais lui n’est pas encore résolu. Lui aussi ne dira pas qu’il n’a rien à se reprocher. Il a eu tout le temps de décrocher lui aussi la plume.
Les magistrats crient leur indignation
Face à tous ces procès qui ont pour but de remettre en question la légitimité même du tribunal, avec des cas de suspicion légitime, les magistrats sont accusés de dispenser une justice aux ordres, et même à gages au service d’un pouvoir politique en pleine crise de succession, ceux-ci bottent en touche : s’ils devaient être aux ordres, ça se verrait aux émoluments exceptionnels qu’ils recevraient en guise de récompense. A la vérité des faits, il n’en est rien.
Le plus indigné encore se trouve être Laurent Esso, le ministre d’Etat, ministre de la Justice. Il se fait très souvent le devoir de rappeler les magistrats à l’ordre de la déontologie. A propos des magistrats du TCS, il s’est voulu plus clair et net : « vous n’avez qu’un seul article, l’Article 184 du Code Pénal, et un seul alinéa auquel vous devez vous en tenir : lorsque le détournement de fonds publics porte sur un montant de plus de 500 mille francs, c’est l’emprisonnement à perpétuité ». C’était la seule leçon à retenir du ministre d’Etat en charge de la Justice lors de la séance inaugurale de la magistrature le 9 octobre 2012.
En dépit de cette disposition du Code pénal, un code peut-être obsolète, des magistrats ont pu prendre des libertés. Par exemple, lorsque Gérard Ondo Ndong, ex-directeur du FEICOM, a été condamné à une peine de 40 ans. Cette loi a pourtant prévu que la peine est de vingt ans, ou à vie. Il n’y est pas prévu de peine à trente ou quarante ans. Lors de la révision du procès, la peine a été ramenée à vingt ans. La juste proportion. Laurent Esso a aussi objectivement des raisons d’être outré. Les avocats qui mènent la campagne contre le TCS ont tôt fait d’oublier qu’il a été celui quoi, contre toute attente, avait fait retarder la mise aux arrêts de Michel Fotso.
Il était alors SGPR, et il avait déjà été par deux fois titulaire du portefeuille de la Justice. C’est l’homme qui connait le mieux la maison, ses problèmes et ses écueils. Alors qu’Amadou Ali tenait à «entretenir» l’opinion en théâtralisant l’arrestation de Fotso, Laurent Esso s’était insurgé : le dossier n’était pas encore mûr. C’est cependant avec le même Laurent Esso que le fils du richissime homme d’affaires va prendre la peine maximum. Deux fois plutôt qu’une seule.
Laurent Esso, le dernier mot
La rengaine, assaisonnée à toutes les sauces, a fini par être éculée et saumâtre. L’opération épervier serait une opération à tête chercheuse, une manœuvre d’élimination des successeurs improbables. On sait aujourd’hui que l’accusation est un peu facile. Le cas Bapès- Bapès est là pour le démontrer. Quelqu’un s’était amusé à danser plus vite que la musique et embastillé l’ancien ministre, sans tenir compte de la coutume qui veut qu’au Cameroun, un ministre jouit d’une immunité qui n’est inscrite nulle part dans les textes.
Comme disait encore Joseph Owona, le ministre tient son pouvoir du Président de la République, il bénéficie donc par dénivellation par jouir de cette immunité de fait. La loi créant et instituant le TCS au Cameroun a bien fait les choses. Pour des délits de plus de cinquante millions, l’accusé peut négocier l’arrêt des poursuites, à condition qu’il consente à rembourser le corps du délit. L’arrêt des poursuites est décidé en dernier ressort par le ministre de la Justice, après une lettre motivée du procureur ou du juge.
Une seule victime de l’opération Epervier a pu bénéficier de cette mesure. L’ex-ministre de l’Education de Base, Haman Adama. Preuve, s’il en est, que l’opération épervier a tout prévu. Mais il est aussi constant que les inculpés ne consentent jamais à rembourser le corps du délit. Michel Fotso avait trouvé l’astuce d’un protocole d’accord signé à la hussarde avec le liquidateur de la Cameroon Airlines.
Ce qui en faisait deux volets du même dossier de la Cameroon Airlines, en dehors du pan de l’avion présidentiel. L’homme n’a donc jamais rien remboursé. Laurent Esso n’a pas usurpé sa réputation d’homme rigoureux. Il rend froidement la justice. Et, lorsque la loi est imparfaite, il dit la vérité. Il est à peu près normal qu’il détienne le dernier mot sur les affaires instruites par le TCS. On n’est donc pas surpris de l’élargissement de certains prisonniers, tel Etonde Ekoto et quelques autres inculpés du scandale du Port autonome de Douala. Ou même dans l’affaire de l’emprunt obligataire de la Communauté Urbaine de Douala.