Le Sénat prévu dans la Constitution depuis 1996 est enfin là. Au-delà du temps pris pour sa mise en place, les débats sur sa nécessité dans les Institutions nationales et le contexte dans lequel Paul Biya a insisté pour son installation demeurent, plus ou moins. Mais en perspective, il faut se demander, d’une part, quel sera son apport en termes d’implémentation législative et d’autre part au vue de la configuration géo ethnique de la scène politique, s’interroger à quelles ambitions (calculs) politiques se livreraient Paul Biya et sa direction du Sénat pour l’avenir politique du Kamerun, en cas de vacance de pouvoir?
Toutes les manœuvres politiques auxquelles nous avons assistées lors des sénatoriales, même reléguées aujourd’hui dans le passé, nous ont suffisamment renseignées, malgré les dénégations des uns, sur la réalité profonde de notre scène politique. Aujourd’hui, le sénat est là, seul son apport dans la vie parlementaire et ses perspectives dans l’avenir politique de notre pays importe.
Dans la loi le Sénat représente les collectivités territoriales décentralisées, il concoure à l’initiative des lois, il participe à l’examen des projets et des propositions de loi et il contrôle l’action gouvernementale. Il peut apporter des amendements ou rejeter tout ou partie des textes soumis à son examen. Mais en cas de rejet (par une majorité de la chambre haute) d’une proposition ou d’un projet de loi, le président de la République peut :
- soit demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement ;
- soit de déclarer caduc le projet ou la proposition de loi. (1)
Dans ces circonstances où la prédominance législative appartient à l’Assemblée nationale, ne serions nous pas tentés d’affirmer qu’en dehors de son rôle de modération, et de sa représentation des collectivités territoriales décentralisées, encore à déterminer exactement, l’importance effective du Sénat kamerunais que cherchent à comprendre certains compatriotes, se retrouve aussi dans le questionnement de l’ancien Haut commissaire du Royaume Uni au Kamerun, Bharat Joshi : « Nous attendons de voir quel sera son rôle. Parce qu’en ce qui nous concerne, jusqu’à maintenant, rien n’est très clair à ce sujet. Qu’est ce que le Sénat va faire et comment ça va être différent de ce que fait l’Assemblée nationale ou les autres institutions du pays ? (…) », et il continue : « Le conseil est celui d’avoir un rôle très clair pour le Sénat qui montre vraiment que celui-ci est très important et positif. Qu’il va ajouter voire améliorer la gouvernance du pays et non freiner le développement. C’est là quelque chose que nous attendons. » (2).
Ce questionnement prend toute son amplitude, lorsque nous savons le forcing de Paul Biya pour son installation, au vue du contexte de non existence des Conseils régionaux et des conseillers municipaux dont le mandat électif était déjà périmé. Et surtout du coût financier que le Sénat va engendrer dans le budget national.
La pertinence de ce questionnement taraude même le très gouvernemental « Cameroon Tribune », sous la plume de Marie-Claire Nnana : «Les sénateurs auront donc à démontrer l’utilité du Sénat, à travers la perception qu’ils auront eux-mêmes de leur
fonction, la plus-value que celle-ci apportera, ou non, au fonctionnement démocratique» (3).
Non, ce n’est point une question de mise en valeur personnelle, puisque ce n’est pas par une perception individuelle qu’ils sont devenus sénateurs. Mais par des textes constitutionnels qui demeurent, malheureusement, moins clairs et utilitaires…
Mais la controverse sur la nécessité et l’importance du Sénat a été éclipsée un moment, seule la recherche personne qui siègera à sa présidence fut significative. Sachant de par la loi que cette personne est la deuxième personnalité de l’Etat et qu’en cas de vacance de pouvoir le président du Sénat devient le président intérimaire de l’Etat kamerunais.
Modification de la géopolitique nationale et capacités réelles du président du sénat.
La disqualification des listes du Rdpc, dans les régions de l’Adamaoua et de l’Ouest a amené certains analystes politiques à penser que cette situation : «Tout au moins, affecte-t-elle les possibilités de redistribution des positions de pouvoir essentiellement sous le label du Rdpc avec ce que cela comporte comme conséquence sur la mobilisation des militants pour les échéances à venir de même que pour le recrutement des alliés pour des batailles locales. Concrètement cela voudrait dire qu’il devient difficile d’attribuer la présidence du sénat à une région confinée à vivre dans l’opposition sans gâcher la possibilité de le faire avec une autre région qui valoriserait mieux cette position du pouvoir par le biais d’une base politique conséquente, et prête aux offensives politiques. A mon humble avis, le retour d’investissement politique dans une terre hostile est difficile à articuler » (4).
Paradoxalement, le président du Sénat sortira de la région de l’Ouest, en la personne de Niat Njifenji Marcel.
Ce choix qui a déjoué plusieurs analyses, souscrit apparemment à la nature politique déroutante de Paul Biya. Mais cette fois-ci, Biya risque (encore) de déjouer les analystes si nous nous arrêtons à cette forme imprévisible de sa pratique politique. Car tout porte à croire à une grande tactique politicienne. Après les Sénatoriales, l’absence des listes du Rdpc dans la Région de l’Ouest et celle de l’Adamaoua pour des raisons connues jadis, peut être considérée, aujourd’hui, avec l’étalement au grand jour des manœuvres obscures des leaders du Rdpc et du Sdf ; comme une vie relationnelle des coquins ! Puisque nous avions compris qu’il aurait fallu que Jacques Fame Ndongo précise fermement que la consigne de voter le sdf, aux sénatoriales à l’Ouest, vient de Paul Biya en personne, afin que tous les caciques du Rdpc de cette Région se rangent finalement. Ce qui a crée effectivement des remous de sorte que Jean Kuété, le secrétaire général du Rdpc a été dépêché plus tard dans la région pour calmer l’agitation (5).
Ainsi la nomination de Niat Njifenji Marcel comme sénateur ensuite président du Sénat, pour Paul Biya, clôture le règlement de cette agitation ; permet aux populations de l’Ouest-Kamerun de croire que le président du Rdpc se rappelle et concrétise sa déclaration : « Le Kamerun se fera avec l’Ouest ou ne se fera pas » ; au même moment, ces populations croient se positionner au centre du pouvoir et pourquoi pas, pouvoir mieux conquérir (posséder), le cas échéant !
Pour Paul Biya, quelle aubaine ! D’autant plus que, pendant que la plupart des Kamerunais pensent à l’alternance, les élites de l’Ouest-kamerun souhaitent déjà un nouveau mandat présidentiel à Paul Biya en 2018. Le Laakam a souhaité remettre cette nomination à sa juste valeur (6).
Mais, nous tous savons ce qui se parle en pleine nuit et ce qui dit dans la journée…
La « nomination » du président Niat Njifensi Marcel ne remet nullement en question l’axe politique Nord-Centre-Sud, même si : «l’axe Nord-Sud perd tendanciellement de sa pertinence » selon Alawadi Zelao (7). L’ «Empereur » Paul Biya n’élargit que ses zones d’allégeance politique pour continuer à régenter le Kamerun.
Ainsi se croyant au centre du pouvoir ou détentrices (aussi) d’une parcelle «importante» du pouvoir, ces populations de l’Ouest-Kamerun avec certaines de leurs élites, ne se sentiront-elles pas à l’aise de s’adresser directement à l’«Empereur» lors des législatives et municipales prochaine ?
Mais, la présidence du Sénat et son bureau sont élus (se négocient) chaque année parlementaire (8), l’ « Empereur » aussi peut renégocier ces alliances…
Pour l’axe Nord-Sud, après un passage de Jean Kueté à Garoua, L’Action a pompeusement déclaré « Le Rdpc garde le Nord» (9). Nul n’est dupe, car en mondovision, nous avons vu la bagarre générale (10) entre les militants Rdpc pro et anti-marafa devant les autorités traditionnelles et politiques Rdpc, lors de cette visite.
Enfin, nous sommes d’accord avec Aboya Manassé Endong qu’ « il n’y a pas de remise en cause de l’axe Nord-Sud. Paul Biya n’a pas de soucis sur le plan électoral avec ces deux ensembles qui peuvent lui gagner une élection.. C’est cette configuration au plan politique et le monopole qu’il a sur cette région qui lui ont facilité l’absorption de Bello Bouba, Issa Tchiroma, et les autres. Il ne que reste Garga Haman Adji. Par ailleurs, l’axe Nord-Sud reste également de mise parce que le premier vice-président du Sénat est du Nord. » (11).
La loi dit clairement qu’ «en cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) au moins et cent vingt jours (120) jours après l’ouverture de la vacance.
L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat(..)»(12).
Alors, il n’est point question, comme le dit certains, ni de «successeur constitutionnel » (13), ni de «dauphin constitutionnel » (14) et difficilement d’un « faiseur de Roi »(15)
Le Président intérimaire a des limites constitutionnelles dans l’exercice de son court mandat, mais il peut (par ailleurs) changer la préfectorale. Et nous savons, malgré Elecam, l’influence encore puissante de la préfectorale dans le cours des élections surtout face aux agents d’Elecam non déterminés et plus dans les villages. Mais, nous ne sommes pas
d’accord avec Hilaire Kamga, qui dit qu’’«En tous cas le Président par intérim sera le faiseur de roi si M. Biya Paul décide comme nous le croyons, de partir avant 2018 » (16).
En cas de vacance de pouvoir, le Kamerun sera dans une situation sociopolitique très brouillée ; au-delà de toutes les conjectures ou des propos lénifiants des thuriféraires du Rdpc. Le Rdpc parti administratif au pouvoir subira les secousses inimaginables en son sein. L’image des investitures pour le double scrutin du 30 septembre 2013, en n’est une illustration indicative à petite échelle. Même, le Sdf n’est point éloigné, Fru Ndi a déclaré « J’ai reçu des insultes des disqualifiés mais j’avance avec ce que je crois juste » (17).
Les forces obscurantistes internes et externes sont depuis dans leurs salles d’exercices, mais qu’elles ne rêvent point; elles trouveront sur leur chemin les forces populaires pour une bataille féroce et libératrice. Mais la défaite des forces populaires plongera encore, notre Nation dans un autre cinquantenaire des chaînes.
-1- La Constitution de la République du Cameroun. Art. 30, alinéa 3, c (2)
-2- Nadège Christelle Bowa, Bharat Joshi « Le Sénat doit améliorer la gouvernance et non freiner le développement ». Le Messager n° 3852. Jeudi 6 juin 2013. P, 5
-3- Marie-Claire Nnana, Au-delà de l’élection. Cameroon Tribune du mardi 30 avril 2013. P, 3
-4- Georges Alain Boyomo, Manassé Aboya Endong « Le président du Sénat viendra difficilement de l’Ouest ou de l’Adamaoua ». Mutations n° 3371. Mardi 02 avril 3013. P, 5
-5- Michel Ferdinand, Ouest. Jean Kuété prône la réconciliation. Mutations. N° 3144. Mardi 14 avril 2013. P, 4
-6- Jean De Dieu Bidias, Présidentielles 2018. Le Laakam contre une candidature de Paul Biya. Mutations. N° 3426. Vendredi 21 juin 2013. P, 6
-7- Serge Lionel Nnanga, Alawadi Zelao « L’axe Nord-sud perd tendanciellement de sa pertinence ». La Nouvelle Expression n° 3502 du vendredi 14 juin 2013. P, 6
-8- La Constitution de la République du Cameroun. Art. 21-2
-9- L’Action n° 856 du 25 juillet 2012. P, 1
-10- Adolarc Lamissia, Bagarre générale entre pro et anti-marafa. Le Jour n°1200 du lundi 04 juin 2012.P,4
-11- Boris Bertolt, Aboya Manassé Endong « L’élection de Niat ne remet pas en cause l’axe Nord-Sud » Mutations n°3421. Vendredi 14 juin 2013. P, 6
-12- La Constitution de la République du Cameroun. Art.6-4
-13- Georges Dougueli, Cameroun. Biya face au Nord. Jeune Afrique. N° 2739. Du 7 au 13 juillet 2013. PP, 36-37
-15-Richard Makon, L’élément clé dans la transition ne sera pas l’élément ethnique. Emergence n°144. P 8
-16- Dr Hilaire Kamga, « Je ne suis pas extrémiste, mais je postule que le sang va couler au Cameroun » in Emergence n° 144 du 21 au 26 mai 2013. P, 6