Trajectoire: Le dernier combat de Marafa Hamidou Yaya

DOUALA - 15 Février 2012
© Dominique Mbassi | Repères

L’ex-ministre d’Etat, dans le viseur de l’opération épervier, n’entend pas se laisser happer. Sachant que les jeux sont faits et que l'inaction conduit au même destin, l'ex-ministre d'Etat n'entend pas être habité le moment venu par le remords qui serait aujourd'hui le lot de ceux qui se sont laissé happer sans opposer la moindre résistance.


Marafa Hamidou Yaya
Photo: © Archives
En ce moment, il doit sans doute se dire que l'heure du sacrifice n'est plus lointaine. Que le Président s'est déjà fait sa religion sur son sort. Sans doute est-il au parfum de cette confidence de M. Paul Biya à un proche collaborateur: «Tous vont y passer, y compris ceux qui se prévalent des soutiens français». Sans le nommer, le Président désigne là M. Marafa Hamidou Yaya, qui n'a jamais fait mystère de sa proximité avec le président français Nicolas Sarkozy. A telle enseigne que son nom, fut-ce de manière voilée, a souvent fait irruption dans les conversations tenues à l'Elysée sur l'alternance au Cameroun.

M. Marafa n'ignore pas que sa relation privilégiée avec les milieux d'influence français incommode M. Biya. L'ex-ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale et de la décentralisation, qui a quitté le gouvernement le 9 décembre 2011, n'a jamais, en son for intérieur, perdu de vue sa responsabilité dans l'acquisition de l'avion présidentiel. Un dossier qui a déjà expédié MM. Jean-Marie Atangana Mebara, Gérôme Mendouga, Yves Michel Fotso, Hubert Otélé et autres dans l'enfer de Kondengui. M. Marafa n'a pas oublié qu'il doit au seul Président d'être encore en liberté, personnellement intervenu pour que soit levée la mesure d'interdiction de sortir du Cameroun prise à son encontre par le juge d'instruction Pascal Magnaguémabé qui avait déjà programmé son inculpation. Muni de toutes ces clés d'analyse, et d'autres que confèrent sa longue collaboration avec M. Biya, M. Marafa n'en interprète que plus lucidement la confidence présidentielle sus citée: il est dans la ligne de mire de l'opération Epervier.

Bien conscient du rapport des forces, le membre du bureau politique du Rdpc semble cependant déterminé à rompre avec les habitudes du passé. Désormais, susurre son entourage, il refuse de continuer à cultiver la discrétion et de se laisser entrainer par l'Histoire. Sachant que les jeux sont faits et que l'inaction conduit au même destin, l'ex-ministre d'Etat n'entend pas être habité le moment venu par le remords qui serait aujourd'hui le lot de ceux qui se sont laissé happer sans opposer la moindre résistance. «Il veut se battre et, au besoin, tomber sur le champ de bataille», consent un acteur très introduit auprès de l'élite du Grand-Nord. «A la différence de beaucoup, le, ministre d'Etat Marafa est bien plus qu'un haut commis de l'Etat qui a gravi tous les paliers de la haute administration. Observez que c'est le seul qui assume sa convoitise du pouvoir suprême. Alors cette stature d'homme d'Etat n'autorise pas la passivité et la lâcheté», intervient un obligé.

C'est le sens donné à sa visite à Garoua le 9 février. Une visite soigneusement planifiée qui ne laissait pas de place au hasard. A la descente d'avion à Maroua-Salak, sa présence éclipse celle de M. Cavaye Yéguié Djibril, le président de l'Assemblée nationale, qui a pris place à Yaoundé à bord du même vol Camair-Co. Sur le tarmac, il y a des autorités traditionnelles et politiques, élus locaux, militants du Rdpc, de l'Undp et de l'ADD, venus accueillir non la 2è personnalité de la République, mais le ministre nouvellement déchu. L'hebdomadaire L'Œil du Sahel, dans sa livraison du 13 février, parle d'un accueil princier.

C'est la liesse populaire à Garoua, le sol natal de l'ingénieur en pétrochimie. A en croire L'Œil du Sahel, entre 7000 et 5000 partisans, dont des députés et des conseillers municipaux du Rdpc, un maire Undp de Ngaoundéré et d'autres élus du parti de Bello Bouba ont accouru à l'aéroport pour faire allégeance à celui qui, pour la circonstance, se plait plus que d'ordinaire dans une posture présidentielle. Dans sa résidence, près de 4000 personnes sont massées. Selon l'auteur du reportage, de mémoire de journaliste jamais homme politique n'a mobilisé autant. Surtout en franchissant les frontières politiques. Témoins conviés à cette véritable démonstration de force qu'il n'a jamais faite même du temps de sa splendeur, des équipes des télévisions étrangères.

Du coup une inquiétude se fait jour: et si le grand Nord était déjà en train de se réunir autour de son champion dans l'optique d'une alternance ou de lui offrir sa protection. Panique dans le sérail. Allié traditionnel et inconditionnel de M. Biya, le président national de l'Undp, visiblement, ne voudrait pas être associé à une telle démarche. En séjour à Garoua au moment où M. Marafa arrive dans la capitale régionale du Nord, M. Bello Bouba quitte plus tôt que prévu la ville. Des sources internes au parti annoncent la traduction devant les instances appropriées de tous les responsables de l'Undp allés à la rencontre de l'ex-ministre d'Etat. Sans doute une mesure pour donner des gages de sa non-collusion.

Même au sein du Rdpc, c'est le même branle-bas. Non seulement à l'idée que M. Marafa fédère autant de cadres du parti au pouvoir qui pour certains abattent un travail de fourmi dans l'ombre, mais surtout qu'il semble déterminé à se construire contre vents et marées une nouvelle trajectoire politique. «S'il conduit la liste Rdpc aux prochaines élections législatives dans notre circonscription de Bénoué-Ouest, aucun doute que celle-ci triomphera. Nous allons demander aux militants de faire pression sur lui pour qu'il accepte de nous conduire aux législatives». Propos d'un commerçant et responsable politique de Garoua rapportés par L'Œil du Sahel.

Mais selon des confidences, il ne s'agirait plus d'une simple proposition. D'après les mêmes indiscrétions, une telle option serait déjà prise. Une manière de pousser les instances du parti, qui pourraient être tentées d'invalider son investiture par la base, à la faute. Un ministre originaire du Grand-Nord, cité par L'Œil du sahel, n'est pas loin de cette hypothèse : «Pour moi, Marafa Hamidou Yaya joue simplement sa survie politique, son avenir et peut-être même sa liberté. Ce qui s'est passé est d'abord et avant tout un message politique fort que les uns et les autres doivent bien décrypter».

Une lecture entre les lignes décidément hors de portée de certains services spécialisés de l'Etat qui s'illustrent encore par des méthodes dignes de l'époque Fochivé. Dès sa sortie du gouvernement, des éléments des Renseignements généraux et de la direction générale de la Recherche extérieure (Dgre) ont campé devant sa résidence du lac à Yaoundé pour filtrer toutes les entrées et sorties. Depuis quelques semaines, les antennes Dgre soumettent inutilement les proches de l'ex-ministre d'Etat à des interrogatoires. «La hiérarchie ne comprend pas que ces méthodes proches de la théâtralisation jettent le discrédit sur une action future et sont au contraire de nature à servir la stratégie Marafa», s'énerve un haut gradé de l'armée.





15/02/2012
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