Tractations: Biya rencontrera Hollande à Bamako
Yaoundé, 02 Septembre 2013
© FÉLIX C EBOLE BOLA ET BORIS BERTOLT | Mutations
Le Chef de l'Etat a conditionné sa présence, le 04 septembre prochain l'investiture du Président malien, à une entrevue avec le Chef de l'Etat français.
C'est vendredi dernier que les choses se sont dénouées, apprend-on de sources introduites. De sa villégiature de Baden Baden (Suisse), Paul Biya a reçu un coup de fil de son homologue ivoirien Alassane Ouattara. Son correspondant a, pendant de longues minutes, tenté et réussi de convaincre le Chef de l'Etat camerounais que l'Afrique subsaharienne devait, en masse, aller soutenir la transition politique malienne ayant abouti, le 11 août 2013, à l'élection d'Ibrahim Boubacar Keita à la magistrature suprême.
Capricieux, M. Biya s'est d'abord fait prier avant de donner son accord pour ce déplacement. Il a en cela été encouragé par la promesse ferme, de son correspondant et Président en exercice de la Communauté des Etats d'Afrique de l'ouest (Cedeao), qu'un temps sera aménagé pour lui permettre de s'entretenir, seul à seul, avec le Président français François Hollande, dont la venue dans la capitale malienne n'est plus un mystère. Un autre appel téléphonique, intervenu plus tard, du Congolais Denis Sassou Nguesso, qui préside aussi actuellement aux destinées de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), a fini par rassurer le locataire d'Etoudi qu'il avait tout à gagner dans ce déplacement.
Initialement prévu pour le 19 septembre, la passation du pouvoir entre le gouvernement sortant et l'entrant au Mali aura finalement lieu le 4 septembre au Centre international et de conférences de Bamako. Une bonne brochette de chefs d'Etats sont attendus. La presse malienne évoque les chiffres de 25 à 30 Présidents de la République à cette cérémonie d'investiture. Des noms circulent dans la presse malienne, naturellement celui de François Hollande, annoncé paries services de presse de l'Elysée. Outre donc le Chef de l'Etat français et Alassane Ouattara de la Côte d'Ivoire, fera également le déplacement, Macky Sall du Sénégal qui aurait lui aussi passé un coup de file.
Paul Biya, et c'est un doux euphémisme, éprouve aujourd'hui le plus grand mal du monde à revenir en grâce auprès des autorités hexagonales. Après les douloureuses bouderies du régime Sarkozy, c'est le 13 octobre 2012, à Kinshasa (République démocratique du Congo), à l'occasion du 14ème sommet de la Francophonie, qu'il a pu obtenir, au forceps, son premier échange - quoique aigre-doux avec le nouveau maître de l'Elysée. Le 30 janvier suivant, il était reçu au palais présidentiel français dans une ambiance tout aussi glaciale.
Et les sujets qui fâchent ne manquent pas, dans les relations actuelles entre la France et le Cameroun. Si notre pays se sent particulièrement échaudé par l'insistance de son partenaire au sujet des droits des homosexuels, la France, de son côté, n'a cessé de dénoncer les insuffisances de son ancienne colonie dans les domaines aussi sensibles que la démocratie, le système judiciaire, la sécurité des personnes et des biens, la gouvernance ou encore les droits de l'Homme.
Climat des affaires
Sur un autre plan, celui tout aussi sensible de la sécurité des investissements, l'Ambassadeur (en fin de séjour) de France au Cameroun, Bruno Gain, interrogé par votre journal voici quelques jours, n'y est pas allé du dos de la cuiller: «Le climat des affaires laisse encore à désirer. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les paramètres établis par des instituts publics ou privés, comme la Banque mondiale ou Transparency international, Il est clair que le classement du Cameroun nous laisse sur notre faim: 168ème rang sur 183 pays dans l'indice Doing Business, 52,4% des dirigeants d'entreprises qui manifestent une opinion défavorable dans le Business Climate Survey, etc. Il n'y a pas de quoi pavoiser!».
Dans la même veine, le dossier judiciaire du Français d'origine camerounaise Michel Thierry Atangana continue d'empoisonner les relations la fois politiques et économiques. Le 3 octobre 1997, le président du Comité de suivi et de pilotage des projets de construction des axes routiers Yaoundé-Kribi et Ayos-Bertoua (Copisupr) avait écopé de 15 ans d'emprisonnement ferme pour «détourne¬ment de deniers publics, tentative de détournement et trafic d'influence en conviction». Le 4 octobre dernier, il était de nouveau condamné à 20 ans de prison, 5 ans de contrainte par corps alors que la mesure de blocage de ses comptes bancaires était maintenue. Ses avocats ont formé un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, qui tarde à ouvrir les débats.
Paul Biya avait, lors de son audience parisienne avec François Hollande, fermement promis que ce dossier allait connaître une issue à la fois rapide et heureuse. Rien n'est venu. « (...) 17 ans après sa mise en détention, Thierry Michel Atangana est toujours incarcéré, dans des conditions que nous jugeons très difficiles et nous souhaitons qu'il recouvre la liberté le plus vite possible pour des raisons humanitaires: 17 ans, c'est une peine d'une durée considérable», insistait Bruno Gain dans l'entretien sus-évoqué.
«Ce n'est faire injure à personne que de se demander, avait-il ajouté, si le principe classique de la procédure pénale "non bis in idem" (on ne peut être poursuivi ou deux fois condamné pour les mêmes faits) n'aurait pas pu trou¬ver à s'appliquer en l'espèce. Ce principe est une composante essentielle des droits fondamentaux de la personne humaine». C'est dire si Biya et Hollande ont des comptes à régler.