Qu’est – ce que c’est qu’être Camerounais ? C'est le titre d’un appel à contribution lancé par un groupe de Camerounais sur un forum d’échanges sur internet.La finalité de cet appel est de recenser tous ceux qui, interpellés par la question de fond posée en titre de ce document, se proposeront de rejoindre le panel des contributeurs.Après la publication de cet appel à communication sur cette thématique, la rédaction de camer.be a, dans un souci de vulgarisation, interviewé Thierry AMOUGOU,l'un des initiateurs de cet appel.
Comment situez-vous la question qu’est-ce être Camerounais par rapport aux « Grandes Réalisations » du Renouveau National ?
Déjà bonjour à vous et à vos lecteurs. Merci une fois de plus de me passer la parole. C’est un honneur sans cesse renouvelé que de dialoguer avec les compatriotes. Cependant, je tiens, avant toute chose, à faire une précision avant de répondre à votre question.
Je ne suis pas seul à l’initiative de ce projet. Il est porté par un groupe de travail composé pour le moment de Mme Lydie SELEU, Directrice & Fondatrice du PACC (Pan. African Cultural Center), de Messieurs. Moïse ESSO ETIA, Membre du Comité Directeur de l'UPC (dite "des Fidèles"), Secrétaire Exécutif du CODE, Guy Simon NGAKAM, Homme politique, Bonaventure TCHUCHAM, Chercheur associé, Université Duisburg-Essen Allemagne, René Emeh ELONG, Homme politique, Président section UPC de France, Représentant du CODE à Paris, Cyrille EKWALA NGANDO, Journaliste - Chroniqueur politique, Editeur du site d'analyses et de débats njanguipress.com, Serges BAYONGEN, Chroniqueur politique et Alex Gustave AZEBAZE, Journaliste indépendant-publiciste, Consultant Médias & Droits Humains, Douala, Cameroun.
Répondre à la question est-ce être Camerounais est donc un projet collectif. Le « je », sans nier son importance pour un pays qui a besoin de leaders n’a pas à disparaître et n’est pas à proscrire dans ce projet. Il est à rendre modeste en l’appuyant sur une exaltation du « nous », c'est-à-dire des choses qui nous tiennent ensemble et qu’il faut renforcer pour que celles qui nous divisent perdent pieds.
Merci pour cette présentation mais vous n’avez pas encore répondu à notre question de départ. Comment situez-vous la question qu’est-ce être Camerounais par rapport aux « Grandes Réalisations » du Renouveau National ?
Vous savez, la vie politique camerounaise est à un tel point concentrée entre les mains d’un seul homme et son régime depuis plus de trente ans que les uns et les autres, non sans raisons, pensent que nous commençons notre jogging le matin en pensant à Paul Biya et à son Renouveau National. Contrairement à Sarkozy qui se rasait chaque matin en pensant prendre la place de Jacques Chirac, je ne fais pas mon jogging le matin en pensant à Paul Biya et ce thème de recherche n’a pas été défini par rapport au Renouveau National qui, ainsi que je le dis chaque fois, est juste un évènement passager dans la vie politique
camerounaise. Le Renouveau National est quelque chose de négligeable dans la longue marche d’un peuple d’une génération à une autre vers sa liberté. Il n’est qu’une articulation des multiples centres d’intérêts de notre recherche puisqu’il gère le Cameroun depuis plus d’un quart de siècle déjà et qu’il a, de ce fait, façonné ce que le Cameroun est actuellement.
En conséquence, au moment où "les Grandes Réalisations" du Cameroun se conjuguent uniquement en poses de premières pierres sans un volet conséquent sur les questions relatives aux Droits de l'Homme, à la démocratie et à l'idéal républicain, il semble important de se poser la question de savoir ce que signifie être Camerounais au 21ème siècle et plus spécifiquement sous le Renouveau National. Une telle problématique permet, non seulement de s'attaquer aux problèmes de fond qui minent la société camerounaise dans sa cohésion d'ensemble, mais aussi de se focaliser moins sur 2035 comme fin de l'histoire de l'émergence, que sur le temps quotidien comme moment de vie réelle d’hommes, de femmes et d’enfants camerounais. C'est améliorer la vie au quotidien pour tous qui prend dès lors la place des "Grandes Réalisations", simple affichage rhétorique pour accompagner « le Biyaïsme crépusculaire ». La souffrance sociale, les entorses aux Droits de l’Homme et les multiples pratiques au service du reflux démocratique n’attendent pas 2035 pour affecter négativement la vie des Camerounais : sans cette réflexion préalable, l’émergence dont parle le Renouveau National se transforme en un plafond de verre pour plusieurs Camerounais. Et le principe du plafond de verre est que vous voyez ce qu’il y a au-delà sans pouvoir y accéder. C’est en se focalisant sur les expériences présentes des Camerounais et des Camerounaises que devrait se penser une émergence crédible et légitime dans l’avenir : l’émergence du Cameroun ne peut se penser et se construire de façon informée sans questionner en profondeur ce que signifie aujourd’hui être Camerounais dans sa diversité. Les objectifs de long terme ne se pensent pas la tête dans les nuages mais bien les pieds sur terre. Un groupe de Camerounais souhaite travailler dans ce sens et vous propose, en guise d’invitation à la réflexion critique et constructive, cet appel à contribution. C’est donc un projet de recherche qui nous permet de nous lever chaque matin en pensant au Cameroun et à son destin et non au Renouveau National qui ne peut en tenir lieu au regard de ses résultats.
Qu’est-ce être Camerounais ? Pour quelles autres raisons mettez-vous au devant de la scène cette problématique ?
Il y a plusieurs raisons bien détaillées dans l’appel à contribution. En voici quelques autres.Il est désolant de se rendre compte que la pensée de connivence développée par les intellectuels organiques du Renouveau National est en train de lobotomiser le cerveau des Camerounais par des publications absurdes, médiocres et sans objet comme « Paul Biya, l’appel du peuple ». Qu’est-ce que c’est qu’un peuple ? Les Camerounais en sont-ils un ? Quelle forme peut prendre son appel afin qu’il soit crédible ? Les zélotes du conservatisme politique et du créationnisme au service de la théocratie au sein du régime camerounais actuel sont dans une dynamique qui tend à répondre que le peuple camerounais est assimilable aux motions de soutien et son appel à la voix de ministres, directeurs et cadres du parti au pouvoir. Esquisser des réponses aux questions que fuient les adeptes de la propagande et donc de la facilité, permet de rompre avec l’abêtissement généralisée que visent les zélotes du Renouveau National.
En outre, sans remonter très loin, il y a une recrudescence d’un discours primordialiste au Cameroun depuis le retour du multipartisme en 1990. Il s’est accompagné de conflits ouverts dans certaines localités comme Ebolowa, Douala, l’extrême Nord ? Ces derniers temps l’affaire Vanessa Tchatchou, la note statistique de l’UCAC de Mgr. Mbakot, les sénatoriales, les municipales et bien d’autres discours et publications ont entériné la dérive tribale des postures au sein de la société camerounaise. Nous pensons qu’il faut sortir des dérives qui excellent dans le nivellement de la pensée vers le bas en négligeant, malgré la réalité de plusieurs faits, ce qui fait l’excellence d’une aventure politique, c'est-à-dire le haut de la problématique, soit la citoyenneté camerounaise. Cela ne veut pas dire que nous négligeons les problèmes du bas mais tout simplement que le meilleur remède à ceux-ci est de chercher à en sortir plus par le haut que par un populisme tribal à des fins politiques égoïstes et irresponsables à terme. L’une des hypothèses que nous posons est que le problème global est celui des Camerounais exclus face à une minorité qui contrôle tout et jouit de tous les privilèges sans avoir aucun devoir. Nous comptons y remédier par l’analyse sans avoir la prétention ni d’être parfait ni d’épuiser le sujet mais juste l’ambition de le traiter de façon non lénifiante et non éthérée.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous allez réactiver le tribalisme au Cameroun avec ce thème ?
Certains de nos compatriotes doivent avoir un cerveau si entièrement tribalisé par certains évènements malheureux qu’ils voient le ferment du tribalisme à tout coin de rue, dans toute idée et au sein de toute interrogation. C’est aussi pour eux qu’il faut faire ce travail car le travail de fond permet de faire tomber certains préjugés.
La meilleure façon de désamorcer les fondements réels et factices de la prégnance ethnique dans notre pays est non de taire les problèmes, mais d’en parler afin d’éviter la sédimentation de mauvaises pratiques que peut entraîner la politique de l’autruche.
La meilleure façon de bâtir la nation camerounaise commence par se poser la question de savoir ce que signifie être Camerounais dans le vécu, la pratique et les espoirs. Cela doit être fait par chaque génération de Camerounais afin de renouveler le projet politique de façon incessante. Je suis donc surpris que des gens normaux puissent avoir peur de ce type de question alors qu’ils sont Camerounais. Être Camerounais est ce qui tient les femmes, les enfants et les hommes de ce pays ensemble. Mais alors qu’est-ce factuellement ?
Je suis convaincu qu’une telle question aurait été posée en Côte-d’Ivoire que personne n’aurait dit à l’autre qu’il est moins Ivoirien car l’analyse rend humble par la démonstration que l’Afrique n’est qu’un bout du monde issue de la dérive des continents, et les peuples actuels, une photographie contemporaine des multiples migrations millénaires des humains d’un endroit à un autre. Le tribalisme n’est donc pas à cacher car il est là et réel au Cameroun où il fait des victimes pas toujours capables de se plaindre. Ce qu’il faut c’est renforcer l’Etat de droit et la république en ligaturant ses centres nerveux tribaux par dénonciation sans ambages de tout ce qui triture la citoyenneté camerounaise.
Ne peut-on pas parler d’anachronisme lorsque vous posez la question qu’est-ce être Camerounais en pleine mondialisation économique ?
La mondialisation, si je m’en tiens à la façon dont elle est mise en place, est un bal global des identités économiques, politiques et culturelles des nations. Lorsque nous achetons des produits made in China, made in USA, made in India ou made in Germany, nous achetons l’identité de ces pays-là dans tous les domaines. Celui qui pense donc que le règne du marché concurrentiel est dépouillé des identités remarquables des Etats et de leurs peuples se trompe bougrement car lorsqu’il boit du coca-cola, il boit de l’identité américaine. Un produit commercial n’est rien d’autre qu’un imaginaire culturel matérialisé en produit marchand. Il faut donc être capable, si on veut tirer son épingle du jeu de la mondialisation, de donner aux autres cultures et de recevoir aussi des autres cultures. Savoir ce qu’on peut donner et ce qu’on doit recevoir dépend de la réponse qu’on donne à la question qu’est-ce être Camerounais ?
Quels résultats concrets peuvent attendre les Camerounais de cette étude ?
Nous visons plusieurs résultats :
Que les Camerounais s’emparent de la question et y répondent chez eux, dans leurs bureaux, dans leurs écoles ou leurs champs.
Que l’étude montre les multiples failles qui érodent et flétrissent la citoyenneté camerounaise.Que des propositions concrètes pour un meilleur Cameroun soient inventées et faites par les contributeurs.Que le Cameroun s’enrichisse de nouvelles idées fédératrices et porteuses de prospérité.
A qui s’dresse l’appel à contribution ?
A tous les Camerounais du dedans et du dehors, tous les Africains, tous les Occidentaux et tous les Asiatiques de tous les sexes qui ont des choses à dire par rapport à la question qu’est-ce être Camerounais ? Même les zélotes du Renouveau National sont conviés.
Un dernier mot ?
Comment conclure si ce n’est en disant que qu’est-ce être Camerounais pose aussi la question de la citoyenneté camerounaise comme ressource collective à renforcer par un pouvoir politique qui devrait être utilisé comme un bien collectif. Ce que montrent l’Opération Epervier et les séjours interminables à Genève c’est que le pouvoir est privatisé pour l’accumulation de ressources privées. Dans ces conditions bâtir une nation devient semblable à gravir en sens inverse un escalier roulant. Suivant la distribution actuelle du pouvoir, cela mène certains à Genève, d’autres à la prison centrale de Yaoundé et place les Camerounais dans le temps vide et immobile d’une chambre funéraire d’un pharaon égyptien.