Ouverture du procès Marafa Hamidou Yaya, poses des premières pierres, indigènes diplômés, achat d’avions chinois, axe lourd Yaoundé-Douala, limogeage des recteurs d’universités d'Etat, étudiants membres de l'ADDEC incarcérés,libérés puis traduits en justice, L'Union Africaine... Thierry AMOUGOU, Président de la Fondation Moumié répond aux questions de camer.be avec clairvoyance, perspicacité et originalité comme à son habitude
Votre dernier papier sur les indigènes diplômés et le déclin du Cameroun a fait couler beaucoup d’eau sous les ponts. Qu’entendez-vous exactement par indigènes diplômés ?
Déjà, bonjour à tous et à toutes et bonnes
vacances à ceux qui en ont ou en prennent.Merci à vous de me permettre
de causer avec les compatriotes et d’autres Africains sur l’actualité du
Cameroun. C’est chaque fois un plaisir intact pour moi que d’échanger
avec les autres certains de mes avis et analyses.
Un indigène diplômé, c’est très simple. Je pense que la difficulté de
compréhension, si difficulté il y a, peut provenir du fait que plusieurs
personnes ont une définition erronée de ce que c’est qu’un indigène.
Cela est lié au fait que plusieurs Africains pensent l’indigène via le
tristement célèbre code de l’indigénat au point de ne concevoir
l’indigène que sous ce prisme-là : c’est une aliénation de la pensée par
la violence coloniale. Un indigène est tout simplement celui qui
appartient à une ethnie habitant un espace physique et humain avant sa
colonisation interne ou externe. Donc, le citoyen camerounais, produit
de multiples combinatoires dont certaines coloniales, est moins
authentique qu’un indigène camerounais. En conséquence, un indigène
diplômé est tout simplement un Africain, un Américain, un
Latino-Américain ou en particulier un Camerounais diplômé mais restant
indigène parce que issu des ethnies précoloniales qui composent
actuellement l’Etat postcolonial dont il le citoyen.
Pourquoi sont-ils responsables du déclin du Cameroun selon vous ?
Dans le cas spécifique du Cameroun, le Biyaïsme a été présenté au monde entier et au peuple comme étant synonyme de l’arrivée au pouvoir de la matière grise camerounaise. Elle allait tout faire mille fois mieux que les pragmatiques qui, jusque-là, avaient tenu les rênes du pouvoir. Si on examine les CV et cursus de ceux qui se sont succédés aux affaires dans les différents gouvernements du Renouveau National, ils sont tous très hauts diplômés. D’où le paradoxe que j’évoque car en sciences économiques, il est dit que le capital humain, c’est-à-dire les connaissances et les compétences qu’on peut imputer à un individu au sein d’une société, est un facteur de développement et même de croissance endogène. Aujourd’hui on parle de plus en plus de l’économie de la connaissance. Elle montre aussi que le savoir est au centre de l’innovation et de la recherche développement. Il est donc paradoxal de constater que le Cameroun de Biya est le contre-exemple de tout cela, étant donné que ce sont les gens les plus diplômés du pays qui l’ont transformé en une truanderie subsaharienne de réputation internationale. C’est à croire que l’indigène diplômé camerounais a fait des études pour apprendre comment mieux détourner les deniers publics et détruire l’Etat, que pour améliorer la gestion de cet Etat. C’est à croire qu’il a accumulé ses diplômes, non pour éclairer les masses par l’explication et la compréhension des choses, mais pour en faire des instruments de domination sociale et de promotion des pratiques à rebours de l’esprit républicain. Quand on regarde les malversations faites au Cameroun depuis 1982 autant que la crise civique, la crise sociale et la (dé)civilisation des mœurs qui en sont les corollaires, l’indigène diplômé devient une arme de destruction massive du pays.
Dès lors, examiner les causes du sous-développement africain en général, et camerounais en particulier, implique aussi automatiquement de questionner sans tabous ce que les indigènes diplômés ont fait du pouvoir politique depuis plus de 50 ans d’indépendance. Ont-ils, en dehors de quelques exceptions, été capables d’imiter le travail des Lumières ou d’en tirer quelque chose d’originale pour l’Afrique, son développement et l’émancipation des masses populaires ?
Ayant lu votre dernier livre, nous remarquons que plusieurs des propositions faites sont évoquées sans que ceux qui en parlent prennent la peine de citer les sources. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas très grave. Une fois que les idées sont émises et placées sur la place publique, le citoyen peut s’en saisir, les transformer, les compléter et même les critiquer pour en produire du nouveau. Les trente positions que j’ai faites sont offertes aux Camerounais et dépendent d’eux. Ceux qui utilisent mes publications dans le milieu académique les citent. Là, les règles sont strictes car le plagiat est réprimandé et même condamnable pour celui qui s’y adonne avec assiduité et délectation. Il faut être plus indulgent sur le net même s’il serait quand même préférable de citer les sources le cas échéant.
Vous parlez dans ce livre de revoir le statut pénal du chef de l’Etat camerounais. Que voulez-vous dire par là ? Pour qu’elle effet escomptés ?
L’idée m’est venue de trois choses : notre Constitution qui dit que le chef de l’Etat n’est pas responsable de ses actes pendant ses mandats et après ceux-ci ; les pouvoirs extra ordinaires dudit chef de l’Etat qui peut ordonner des tirs à balles réelles sur les manifestants comme en février 2008 ; et l’exigence de protection des ressources collectives quand on voit ce que les indigènes diplômés en font au Cameroun. Ce n’est donc pas une précarisation ou une vulnérabilité de la fonction présidentielle que je cherche en demandant de rendre le chef de l’Etat pénalement responsable de ses actes, mais sa responsabilisation de telle façon que la loi qui protège cette fonction présidentielle soit aussi la même qui en limite le pouvoir par définition claire des droits et devoirs du Président de la République. On ne peut avoir tous les pouvoirs et être irresponsable de ses actes. C’est la porte ouverte aux abus de pouvoir de toutes sortes au détriment du pays et de ses populations. Lorsqu’il y a sanction, l’économie expérimentale montre que l’usage des ressources communes est meilleur dans la société car les « passagers clandestins » n’ont pas de chances alors que cet usage est toujours détourné des intérêts collectifs lorsqu’aucune sanction n’est prévue. Aussi, rendre le chef de l’Etat pénalement responsable revient à la fois à le protéger lui-même contre un pouvoir sans limites et à protéger le pays et les citoyens contre le même pouvoir sans limites.
Le pouvoir en place parle aussi en ce moment d’évaluation des ministres. C’est aussi une des propositions de votre livre. Pouvez-vous nous en parler plus largement ?
C’est amusant de l’entendre car on ne se réveille pas un matin pour évaluer en cours de route et après trente ans sans avoir, non seulement instauré une culture d’évaluation, mais aussi défini un mécanisme d’évaluation. Un projet politique c’est, grosso modo, quatre choses : des valeurs, des objectifs, des instruments pour atteindre les objectifs et un mécanisme de monitoring et d’évaluation périodique. Le Renouveau National a posé des valeurs sans définir ni les instruments, ni les objectifs et encore moins les mécanismes d’évaluation et leur périodicité. Ce que nous avons constaté est plutôt un chassé-croisé rhétorique transformant la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements en grandes ambitions et les grandes ambitions en grandes réalisations. Quels sont les liens entre ces projets ? Leurs instruments et leurs objectifs ? Quel est le mécanisme d’évaluation mis en place en 1982 ? Sa périodicité ? Les projets eux-mêmes ont-ils été évalués avant d’évaluer les ministres ?
Rien n’a été fait dans ce sens car on l’aurait fait que les faits dont traite l’opération Epervier n’existeraient pas ou auraient été réduits à leur dimension congrue. On met en place de tels mécanismes parce qu’on ne peut faire confiance à la vertu des hommes, étant donné qu’il n’y en a point de saints et qu’aucun de nous ne possède la vertu de façon innée. On met en place des instruments et des mécanismes pour surveiller cette vertu, la contrôler, la susciter, l’inciter et l’exalter par des bonus promotionnels. Ne pas l’avoir fait est une faute grave à imputer au régime actuel qui se targue de vouloir remédier à ce qu’il a construit lui-même de façon volontariste depuis trente ans. Faire confiance à la vertu des Hommes c’est leur demander de devenir tous des héros face à la tentation. Or ceux-ci ne courent pas les rues, loin s’en faut. Ce manque de stratégie, de méthode et de politique claires est le grand talon d’Achille du Biyaïsme.
Le procès Marafa a démarré. Commentaires ?
Une des grandes régressions républicaines qu’instaure l’Opération Epervier et les procès qui en résultent, est qu’ils installent le Cameroun dans la politique événementielle alors que le pays a besoin de réforme de structures pouvant assainir ses fondements moraux, civiques et politiques. L’évènement n’affecte jamais la structure des choses : il est fugace et superficielle, c’est une poussière. Il laisse intacte la structure et les mêmes causes vont continuer à produire les mêmes effets.
Le procès de Marafa est donc de l’événementiel qui place le pays dans le registre du bégaiement politique et institutionnel. C’est un procès sans objet pour la reconstruction du pays à la dimension qu’exige son état actuel de délabrement moral, civique et institutionnel. Il ne peut servir même à Marafa qui, selon moi, ne peut donner sa version des faits et en tirer bénéfice que s’il est appelé à la barre au même moment que tous les protagonistes du dossier Albatros. Si un seul manque à l’appel en l’occurrence le chef de l’Etat lui-même, le Procès est déjà faussé car nous n’aurons qu’une part de la vérité, celle de ceux qui sont incarcérés.
C’est aussi un procès sans objet parce qu’il ne peut être exemplaire. Il souffre des mêmes carences que l’opération Epervier. Ces carences qui en entament l’exemplarité sont : le règne du deux poids deux mesures ; l’absence de réciprocité et de réflexivité de la loi républicaine par rapport au chef de l’Etat et à son entourage plus ou moins proche maintes fois cités par des inculpés ; le caractère politique des procès et le non-respect de la séparation des pouvoirs, principe sacro-saint de la République. En conséquence, le temps de la politique et devenu le temps de la justice républicaine et le temps de la justice républicaine est désormais celui du politique dont la respiration est calquée sur l’Opération Epervier. Il n’y a rien à espérer d’une telle justice mise au pas des agendas politiques du pouvoir. C’est la justice d’un renard qui se glisse sous le poulailler et accuse l’Epervier qui plane en faisant croire que cet Epervier n’est pas de même nature que lui pour la volaille. Un pouvoir ne peut être impartial dans des affaires où il est juge et partie. Nous le croirions que nous ignorerions notre connaissance parcellaire de ces dossiers qui puent à la fois le délit d’initier et l’éviction du droit de punir par le pouvoir de punir. C’est une justice qui veut nous faire croire que seuls les incarcérés sont des fripouilles quand « le roi » lui est bon et ferra justice une fois au courant.
Quel est votre avis sur les étudiants de l’ADDEC incarcérés, libérés, traduits en justice et les recteur limogés ?
Incarcérer les étudiants de l’ADDEC était un cache sexe pour le régime dont la politique universitaire est un fiasco mémorable comme tout le reste. Ils vont comparaître libres de leurs mouvements et nous sommes certains qu’ils seront acquittés complètement par un régime qui adopte une stratégie dilatoire afin de ne pas perdre totalement la face en disant tout de suite qu’ils sont innocents. D’ailleurs le pouvoir en place a donné raisons aux dénonciations de ces étudiants en révoquant les recteurs des
Universités de Yaoundé et de Douala. On ne peut les garder en prison en leur ayant donné gain de cause. Telle est la position de la Fondation Moumié.
Tout est lié. Nous retrouvons ici le rapport entre les indigènes diplômés, le monde estudiantin et le rôle de l’Université dans le développement du pays. On aurait pu s’attendre à ce que le Biyaïsme entraîne l’épanouissement de l’étudiant camerounais désormais sous un régime d’intellectuels. Au contraire, les descentes punitives des forces de l’ordre dans les universités camerounaises depuis 1982 n’ont rien à envier au régime Ahidjo. C’est même pire car le discours affiché est en total décalage avec la réalité.
S’agissant de l’Université, on ne peut aller plus loin avec des recteurs d’universités transformés en hommes d’affaires et en hommes politiques parce que respectivement mus par « la libido accumulative » et nommés par le Président de la République. Une façon de sortir de cela est peut-être que les recteurs soient élus par leurs pairs au sein des universités et présentent des rapports d’évaluation de leur travail tous les ans devant ceux-ci comme cela se fait ailleurs où l’Université est un lieu d’innovation, de production des compétences et du savoir. Si nous voulons avoir des recteurs pas obligés de mobiliser toutes les voitures de l’Université lorsque le RDPC est en campagne, il faut aller vers ce qui marche mieux ailleurs.
En outre, celui qui accepte le travail d’universitaire ou de chercheur doit savoir que l’Université n’est pas l’endroit pour satisfaire sa « libido accumulative ». Ce n’est pas l’endroit où il deviendra milliardaire mais le lieu de la formation des esprits, des citoyens, de la découverte, de l’innovation de la compréhension et de l’explication des choses et des phénomènes. Ce qu’un recteur et un universitaire doivent revendiquer ce sont des salaires décents et des moyens pour faire la recherche et faire de l’université un lieu d’excellence et d’innovation. Nous retrouvons l’absence de cohérence dont je parle par rapport à un régime qui laisse des recteurs en place pendant dix ans sans aucune évaluation puis les révoque subitement alors que ceux-ci se croyant intouchables s’étaient tout permis.
ll faut donc aussi une loi sur le financement des partis politiques pour éviter que l’Université camerounaise finance le RDPC ?
C’est une évidence car tous les caciques du pouvoir aujourd’hui en prison et les recteurs révoqués ont financé les campagnes politiques du RDPC. En supposant que ce parti politique ait gagné ces campagnes quelle crédibilité ces victoires ? N’est-ce pas un financement d’un parti politique avec le détournement de deniers publics ? N’est-ce pas de la part du RDPC du recel et de l’abus de biens collectifs ? Ceux qui parlent d’exemplarité doivent savoir qu’elle consiste à clarifier et à fixer une fois pour toutes ces choses qui puent les conflits d’intérêts et les mélanges de genres. L’Etat camerounais ne peut pas être exemplaire s’il n’existe aux yeux des populations que pour incarner le droit du plus fort via un militantisme civique qui sonne creux tellement il est téléphoné et contre-nature par rapport à ce que le régime a fait depuis 1982.
Les grandes ambitions ont quand même démarré avec la pose des premières pierres, l’axe-lourd Yaoundé Douala et l’achat de nouveaux avions chinois
C’est très grave pour nous tous car il devient normal qu’on parle de grandes réalisations lorsqu’on pose une première pierre après trente ans de pouvoir. Aucune première pierre, même si on tapisse tout le pays de premières pierres, ne peut sortir le pays de la défaite morale, de la crise sociale et de la crise civique où il est plongé. Que pèsent sur la balance les travaux sur l’axe-lourd Yaoundé-Douala par rapport aux milliers de Camerounais enterrés depuis trente ans par cette route de la mort du bas peuple ? Il faut plus que cela. Il faut un changement total de politique et d’hommes à la tête de ce pays. En outre, même si je reconnais que les Chinois font de gros progrès dans l’aviation, j’espère que ce ne sont pas les Africains et les Camerounais qui vont être les cobayes de ces avions à la réputation de fiabilité encore à faire. Pourquoi le Président n’a pas commandé son Albatros en Chine mais vers des compagnies à la réputation déjà installée en matière de fiabilité ? Et puis l’achat de ces avions chinois montre aussi qu’on peut acheter normalement un avion lorsqu’on le veut même si on parle déjà de surfacturation…
L’omniprésence des Chinois alors ?
Les Chinois sont là pour eux et grâce à eux car ils développent leur pays et se donnent ainsi les moyens de conquérir le monde. L’Opération Epervier entérine la réputation de mal gouvernance du Cameroun à l’échelle internationale en augmentant le risque-pays pour les investisseurs. Qui plus est, en période de crise économique, seule la Chine, dictature détentrice d’énormes réserves de change peut prendre le risque d’investir dans une autre dictature. Mais en situation presque de monopoleur, les Chinois vont nous faire avaler des couleuvres car ils sont-là pour leur business et non pour les grandes réalisations. Mieux, les grandes réalisations sont une affaire juteuse pour eux autant qu’une aubaine politique pour leur discours pro-tiers-mondiste.
Je n’ai pas besoin d’être content quand justice est faite à la femme africaine cheville ouvrière de la vie réelle au sein de ce continent. L’Afrique n’a aucun espoir d’émancipation politique et économique si la femme africaine n’est pas placée à la place qu’elle mérite au sein des politiques publiques et de développement. Je souhaite bon vent à la nouvelle Présidente de l’UA en espérant que les adeptes du pouvoir machiste et patriarcal ne lui mettront pas trop les bâtons dans les roues.
Pour le dernier ouvrage de Thierry AMOUGOU voir http://ebook.cultura.com/ebooks/le-biyaisme-le-cameroun-au-piege-de-la-mediocrite-politique-de-la-libido-accumulative-et-de-la-de-civilisation-des-moeurs-9782296468184_9782296468184_4.html