Thermomètre: La fièvre du remaniement
YAOUNDE - 05 JUILLET 2010
© Cédric Mbida et Michel Tafou | La Météo
Le remaniement ministériel refait parler de lui. La polémique enfle et ravive les débats. Ceux qui scrutent les faits et gestes du président de la République sont unanimes: "Quelque chose se prépare".
Retranché depuis quelques semaines dans sa résidence de Mvomeka'a, son village natal, le chef de l'Etat y abat, selon nos sources, un travail de titan. Paul Biya consulte et passe certains dossiers au peigne fin. Et, l'immense activité observée ces derniers jours entre Yaoundé et Mvomeka'a à travers la liaison courrier de son état-major particulier, laisse présager un «tsunami». En fin de semaine dernière, un aéronef bourré de parapheurs décollait de la base militaire de Yaoundé pour Mvomeka'a. Depuis lors, les commentaires fusent davantage dans tous les sens. Dans les salons huppés et chaumières de la capitale, l'on s'accorde sur un fait: "Le chef de l'Etat s'apprête à frapper un grand coup". Un informateur proche du sérail indique à cet effet que "Le remaniement ministériel est inévitable, c'est une question de temps". Selon la même source, Paul Biya cogite sur une nouvelle équipe, qui va l'accompagner jusqu'en octobre 2011, date à laquelle se tient en principe l'élection présidentielle ou il entend être candidat à sa propre succession. "Le gouvernement qu'il compte mettre en place sera très politique. La plupart des ministres qui ont respecté leur feuille de route et qui peuvent mobiliser les foules seront maintenus. Ceux qui en ont été incapables et qui traînent des dossiers sales seront remerciés. C'est sur cette base que le prince travaille". Plus d'efficacité et plus d'ouverture, certes, mais un réel souci de verrouillage. Telle est la lecture que l'on fait du prochain attelage que l'on attend, soit avant le départ du chef de l'Etat pour Paris où il prendra part avec ses autres pairs africains aux festivités du 14 juillet, soit après son retour. La montagne risque d'accoucher d'une souris. Les barons du régime garderont certainement leur poste.
Jeux de chaises musicales
Tout laisse à penser que nous n'allons pas assister à une véritable reconfiguration de la carte politique. Avec un nordiste à la Primature et un anglophone à l'Assemblée nationale, selon une certaine conception camerounaise de la dévolution du pouvoir, qui tient compte des données sociologiques telles que l'équilibre régional ou le fameux axe Nord-Sud. Cavaye Yeguié Djibril tient de manière ferme, les rênes du pouvoir législatif. Il pourrait donc devenir le cheval de Troie d'un jeu politique dont Biya seul détient les règles, avec en ligne de mire, le retour du pouvoir dans le grand nord. De même, dans la partie anglophone du Cameroun, aucun leader ne sort véritablement du lot. Paul Atanga Nji, malgré sa proximité suspecte avec les cimes du pouvoir, n'a visiblement pas d'étoffe. Bien plus, il traîne avec lui des casseroles assez retentissantes. Autant dire qu'un nouveau bail, mieux, un sursis sera certainement accordé à Philemon Yang. Paul Biya sait que, politiquement, il serait trop risque de changer de Premier ministre, à quelques mois d'une élection capitale. Le faire serait créer de nouveaux frustrés. Personnalité lisse et sans aspérités connues, le Premier ministre camerounais se contente d'être le premier des ministres, laissant certains membres de son cabinet comme Jules Doret Ndongo et Emmanuel Nganou Djoumessi occuper le devant de la scène, non sans commettre des gaffes. Paul Biya pourra par contre les virer.
Amadou Ali gardera certainement le portefeuille de la Justice. Le chef de l'Etat aura tout le mal de se déjuger, en écartant du gouvernement celui qui est considéré, à tort ou à raison, comme le porte étendard de l'opération Epervier. Est-ce pour mettre Paul Biya dos au mur qu'Amadou Ali a annoncé une nouvelle liste de cinquante personnalités concernées par l'opération Epervier ? En marge du séminaire sur l'harmonisation des techniques de lutte contre la corruption, le 15 juin dernier à Yaoundé, le Garde des sceaux a déclaré "L'Opération Epervier n'est pas morte; elle est une opération purement judiciaire et non politique; cette opération est en marche et ne s'est pas arrêtée. Une cinquantaine de dossiers est en cours..."
En février dernier, alors que Marafa Hamidou Yaya est en tournée d'installation des gouverneurs des régions, il est frappé d'une mesure d'interdiction de sortie du Cameroun. La décision sera levée quelques jours après. Le fait que l'intéressé soit toujours en fonction et son statut de ministre d'Etat auraient milité en faveur de cette décision. Il se disait au ministère de la Justice que tout ceci n'était que partie remise et que le dossier pouvait rebondir à tout moment. Après une rencontre avec Paul Biya, le chef de l'Etat lui renouvellera toute sa confiance. Le ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale reste utile à Paul Biya. Ses jours sont donc loin d'être comptés au gouvernement.
Issa Tchiroma Bakary pourra également dormir de son bon sommeil, ou changer de portefeuille. Le ministre de la Communication a certainement laissé des plumes, dans la gestion de l'affaire Bibi Ngota. Bien avant, il n'a pas hésité à contester son collègue de la Justice, créant ainsi une certaine cacophonie gouvernementale. Toutefois, Paul Biya sait pouvoir compter sur le président du Front national pour le salut du Cameroun (Fsnc) Le destin politique d'Issa Tchiroma Bakary est pour le moment, lié à celui de Paul Biya. Le chef de l'Etat le sait trop bien. Il voudrait être considéré comme le seul maître à bord. C'est pour cela qu'il ne répondra pas à tous ceux qui demandent avec véhémence la destitution de Laurent Marie Esso. Le ministre d'Etat secrétaire général de la présidence de la République ne traîne pas des salissures comme certains collaborateurs du chef de l'Etat, malgré l'affaire Bibi Ngota dont le dossier est loin d'être clos. Ce qui pourra fâcher Bernard Messengue Avom qui lorgnerait avec insistance le précieux poste, et qui est las d'attendre. Son entourage estime que l'homme de Minta, secrétaire général d'une association ésotérique puissante, est l'homme qu'il faut en ce moment au Secrétariat général de la présidence de la République. Paul Biya aime rester maître du calendrier. C'est ainsi qu'il évitera de jeter Michel Zoah en pâture. La prestation des Lions indomptables au Mondial sud africain est certes au dessous de la médiocrité, mais nul ne saurait oublier que, le ministre des Sports et de l'Education physique a su apporter une sérénité provisoire dans les rapports entre le ministère et les fédérations sportives nationales, non sans contribuer à la qualification des Lions indomptables à la Can et le Mondial 2010 à un moment où plus d'un observateur ne croyait plus aux chances du Cameroun.
Malgré les critiques acerbes des opérateurs économiques, des prestataires de service et autres détracteurs du ministre des Finances, l'entourage du chef de l'Etat soutient mordicus qu'Essimi Menye reste l'homme de la situation. Les caisses publiques restent difficilement vides depuis l'arrivé de l'homme de Nkomtou.
A l'inverse, le sursis accordé à Jean Pierre Biyiti bi Essam pour service rendu est certainement arrivé à son terme. Après l'affaire liée au détournement de l'argent de la visite du pape, l'ancien ministre de la Communication avait habilement sauté sur l'occasion en défendant le couple présidentiel. Il avait été, à la surprise générale, y compris lui-même, muté. Jean Pierre Biyiti bi Essam s'était en effet en 2009, illustré en défendant d'une part le prince dans les attaques du Comité catholique contre la faim qui s'interrogeait alors sur la fortune de Paul Biya, et d'autre part dans la publication de «les mauvaises fréquentations de Chantal Biya» par le journal de Pius Njawé en 2009.
Jean Nkueté qui semble dépassé par les évènements, à défaut d'être muté, pourra se voir virer par son «propre ami».
Edgar Alain Mebe Ngo'o, malgré les rapports accablants qui tombent à un rythme infernal sur la table du décideur ces jours, lesquels font état de ses colossales fortunes, le fils de Zoétélé ne devrait pas pour autant s'inquiéter. Bien au contraire, le Mindef bénéficie encore de la confiance du grand patron.
Le travail d'André Mama Fouda au ministère de la Santé est perceptible. Les nombreux tracts rédigés par ses détracteurs, et qui dénoncent sa gestion lorsqu'il était à la Maetur, ne semblent pas pour le moment convaincre le chef de l'Etat.
Le président Paul Biya avait prescrit au gouvernement Yang I, la marche à suivre
La question d'un remaniement ministériel se pose généralement dès la promulgation d'une nouvelle equipe gouvernementale. Des rumeurs alimentées par la rancœur des recalés, des oubliés et des renvoyés et par les ambitions des jeunes espoirs permettent ainsi de consacrer quelques pages ou minutes dans les medias.
Depuis l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême, on pourrait dire qu'au Cameroun, on assiste à un remaniement tous les 16 mois. En 28 ans de magistère, le président de la République a formé 34 gouvernements. Sont compris dans cette série assimilable à un jeu de rotation "sur place", ce qu'on a souvent appelé réajustements ministériels, dans le jargon des milieux du pouvoir de Yaoundé.
Le 30 juin 2009, le président Paul Biya procédait au 34ème réaménagement de l'équipe gouvernementale. Vendredi 3 juillet 2009, au Palais de l'Unité, Paul Biya rencontrait le tout nouveau gouvernement conduit par Yang Yundji Philemon. C'était au cours d'un conseil de ministres, avec comme seul point à l'ordre du jour, la communication spéciale du chef de l'Etat. Le président de la République a très vite indiqué les motivations qui l'ont conduit à réajuster l'équipe gouvernementale: "Mon ambition n'a pas changé. Il s'agit, à travers la politique des "grandes ambitions" définie au début du septennat, d'assurer le développement de notre pays et d'améliorer les conditions d'existence de notre population." Parlant du bilan du gouvernement Inoni, mis en place en décembre 2004, le jugement de Paul Biya envers son ancien Premier ministre sera plus que sévère. "Les résultats obtenus n'ont pas été à la hauteur de toutes nos attentes... L'inertie que j'ai souvent dénoncée a repris le dessus...Trop de temps a été perdu. Trop d'efforts dépensés dans de pures pertes". Que proposera donc, Paul Biya au gouvernement Yang ? Quelques prescriptions: "Nous devons mettre en œuvre un programme de développement énergétique qui répond à nos potentialités. (...) Les responsables de ce secteur devront dans les six mois rendre compte des actions entreprises."
Sur le plan de l'agriculture et de l'élevage, le président de la République demandera au gouvernement de réveiller "Les grands projets agro-industriels qui dorment dans les cartons depuis des années". Et, il préviendra, "là aussi, j'attends des décisions, j'attends des résultats. Non seulement nous pourrions être pour des générations à l'abri d'une crise alimentaire, mais nous serions aussi en mesure de satisfaire la demande des pays voisins". Le chef de l'Etat poursuivra en formulant un souhait fondamental: "J'attends de ce gouvernement réaménagé qu'il donne un nouvel élan à notre action, en particulier dans les secteurs où une certaine forme de routine ou d'inefficacité paraît s'être installée. J'attends aussi de lui qu'il remette en vigueur l'usage des feuilles de route qui paraît être tombé en désuétude. J'attends enfin qu'il manifeste dans son action une réelle cohésion et une véritable solidarité qui sont les gages du succès."
Le gouvernement Yang a-t-il été à la mesure des attentes du chef de l'Etat camerounais ? Pour répondre à cette question, un vox pop réalisé par notre rédaction a travers les dix régions du pays et publié dans notre édition de la semaine dernière, est plutôt des plus amères. Evidemment, la dénonciation seule ne suffit pas lorsqu'on a le pouvoir de sanctionner. Certes, quelques ministres sont entre temps passés dans les serres de l'Epervier. Mais à l'évidence, il ne s'agit en fait que du menu fretin ou à tout le moins, de la portion congrue puisque le président lui-même avoue que le mal gangrène toujours l’administration.
L'équipe du Premier ministre Yang, ne fait aucunement miroiter aux Camerounais des lendemains meilleurs.
Un énième remaniement est un non événement. Il est loin d'être le dernier. Comme par le passé, le changement de l'équipe gouvernementale ne rétablira pas de l'espoir dans les foyers camerounais, malgré les promesses permanentes du politique. Loin de là. Dans les pays où les institutions fonctionnent normalement, le remaniement est une exception. Sous Paul Biya, c'est la règle générale, car tout se fait à l’envers: les priorités sont reléguées au second plan, les futilités passent avant tout. On fait la promotion des médiocres, on gracie les criminels économique, on convie les siens au festin, on «chie» même sur le drapeau et les institutions de la République, en confiant les destinées d'un peuple souverain à ceux qui n'ont jamais été confrontés aux réalités du peuple. Une retouche du gouvernement relèvera du "foutage de gueule", étant donné que ceux qui se sont agrippés aux entrailles de la République, sont prêts à tout pour y rester et iront jusqu'au bout pour sucer le contribuable jusqu'à la moelle épinière.
Comment organiser un remaniement que la pudeur rhétorique de la no?langue politicienne présentera comme un remaniement technique. Drôle de confusion dans la tête des gens. Un remaniement technique devrait avoir comme raison d'être des causes techniques, par exemple un ministre se révélant incompétent, un autre ayant décidé de changer de carrière, ou alors étant nommé sur un emploi incompatible avec une fonction ministérielle ou même parfois, des raisons de santé. Voilà les motifs rationnels d'un remaniement technique. On a découvert des incompétences ministérielles à certains qui, par un de ces hasards très étranges, se trouvent être les ministres récompensés par une gamelle d'or, autrement dit, la palme de la plus belle baffe, en étalant au grand jour, leur incompétence.
Remaniement technique alors ? Et si on parlait de technique de gouvernements, de psychotechnique à visée populaire et thérapeutique administrée en Valium médiatique sous forme de communiqué sans protocole, merci les chercheurs de la galénique de communication politicienne qui savent comment conditionner le suppositoire calmant pour les masses. Au palais de l'Unité, on ne conçoit pas de feindre l'indifférence et de donner l'impression de faire la sourde oreille aux longs sanglots et cris de colères lancés par les Camerounais, en pleine détresse sociale au bord de la crise de nerfs. Il faut montrer à l'opinion que le gouvernement entend la colère et le mécontentement. Il y a encore des réformes à faire, des promesses de ruptures faites lors de la dernière présidentielle, des crises à gérer. C’est pour les mois qui suivent. Aujourd’hui il y a une seule urgence, calmer le sentiment négatif de l’opinion. C’est un peu comme un procès, les parties civiles sont fébriles avant que le verdict ne tombe. Ici, la partie civile, c’est l’opinion. Le coupable, c’est la politique du gouvernement. Alors, pour rendre moins fébrile les Camerounais, rien de tel qu’un verdict proposé comme un remaniement technique. La peine de prison étant remplacée par la peine de sortie. C’est là la seule différence.
Un remaniement technique est en fin de compte parfaitement dans la ligne psycho politique de Paul Biya, notre président très connu pour son tempérament, son caractère vengeur. Punir fait partie de son programme. Ces évictions ressemblent à de la punition, côté pile, et côté face, populaire, c'est un châtiment infligé à quelques désignés coupables pour calmer un peu l'opinion publique. Une pratique tout à fait conforme à notre démocratie d'émotions. Qui sera le fusible cette fois-ci, le bouc émissaire ? On comprend la discrétion sur le sujet, comme si le gouvernement avait honte, telle une cohorte de notables pris sur le fait en sortant d'une maison close. Mais telle est la politique. Et à ce jeu de chaises musicales, la caste sait quand même préserver ses intérêts et faire corps. Gageons que nous verrons les personnalités remerciées à des postes de responsabilité censés les dédommager du caprice présidentiel, la présidence des conseils d'administration.
Le chef de l'Etat écarte-t-il systématiquement tous ceux qui sont accusés à tord ou à raison de lorgner le fauteuil présidentiel ?
La dernière fois que le gouvernement camerounais a connue une secousse d'une amplitude considérable, c'était le 7 septembre 2007. Des figures importantes, parfois «fideles» du président de la République et titulaires de postes-cles quittaient brutalement leur poste, notamment trois ministres d'Etat: Jean Marie Atangana Mebara (Relations extérieures), Augustin Frédéric Kodock (Planification) et Ferdinand Léopold Oyono (Culture). Les ministres des Transports Dakolé Daïssala, de l'Economie et des Finances Polycarpe Abah Abah, de la Santé publique Urbain Olanguena Awono, de l'Industrie Charles Salé, des Affaires foncières Louis Marie Abogo Nkono ou de la Communication Ebénézer Njoh Mouellé faisaient également les frais de ce remaniement ministériel. Selon la presse, ces personnalités payaient pour la plupart, leurs ambitions présidentielles affichées pour 2011, scrutin que la constitution interdisait à l'époque à Paul Biya de se représenter. Paul Biya n'aime pas les collaborateurs pressés. Avec lui, il faut savoir donner les gages de loyauté.
Le 27 avril 2001, Paul Biya remaniait son gouvernement comme la presse le subodorait quelques semaines avant. Léger peut-être, mais significatif puisque le remaniement voyait le départ de quelques piliers de l’équipe sortante. Ainsi, le ministre d Etat à l'Economie et aux Finances Edouard Akame Mfoumou cédait son fauteuil à Michel Meva'a Meboutou dont c'était le grand retour au gouvernement.
Deuxième victime de taille, Augustin Kontchou Kouomegni qui partait des Relations extérieures au profit de François-Xavier Ngoubeyou. Amadou Ali, jusqu’a lors ministre délégué à la présidence chargé de la Défense était remplacé par Laurent Esso qui lui même quittait la Santé. Amadou Ali devenait ministre de la Justice où il remplaçait Robert Mbella Mbappé. Urbain Olanguena Awono revenait aux affaires à travers le poste de ministre de la Santé. Joseph Tsanga Abanda cédait le poste de ministre des Transports à Nsahlai Christopher, plus de dix ans après son départ. Aux Postes et aux Télécommunications, un nouveau venu, NKoué Nkongo Maximin en remplacement de Issac Njiémoun. A la Condition féminine, Bakang Mbock Catherine. Njiémoun Mama devenait ministre délégué à la présidence chargé du Contrôle de l'Etat en remplacement de Lucy Gwanmesia. Marafa Hamidou Yaya demeurait secrétaire général de la présidence de la République, mais était nommé ministre d'Etat. Voilà pour le texte. Personne ne pouvait avec certitude établir les raisons de la disgrâce du tout puissant ministre de l'Economie et des Finances Edouard Akame Mfoumou. Quelques années avant, l'homme était accusé d'être au centre d'une affaire de tracts circulant à Yaoundé et à Douala et le désignant comme le meilleur successeur à Paul Biya. En tout état de cause, l'on soutenait dans les salons que l'ancien ministre avait pris trop d'envergure et commençait à faire ombrage au président Biya. Pour ce qui concerne Amadou Ali, l'on s'attendait plutôt à son limogeage après l'affaire de la poudrière et les exactions du Commandement opérationnel. Son déplacement pour la Justice tenait plutôt à conforter l'idée selon laquelle le pouvoir a besoin de cet homme originaire de la région de l'Extrême-Nord, alors considérée comme la plus peuplée du pays et la plus pourvoyeuse en suffrages. Le natif de Kolofata n'était pas dangereux pour Paul Biya. L'est-il devenu entre temps ? En d'autres temps, Paul Biya s'était débarrassé des proches collaborateurs de feu le président Ahidjo avec la même brutalité. Victor Ayissi Mvodo, Samuel Eboua et Sadou Daoudou étaient accusés de manœuvrer dans l'ombre pour faire revenir l'ancien chef de l'Etat.
Les ministères bruissent de nouvelles prétentions et la presse en fait ses choux gras.
Dans ce tourbillon de supputations, le nom de Mohamadou Badjika Ahidjo est de plus en plus présent. Des observateurs de divers bords politiques affirment mordicus que le fils d'Ahmadou Ahidjo a été d'ores et déjà consulté et qu'une enquête de moralité a été diligentée sur sa personne. Paul Biya, apprend-on, aurait fait de l'entrée au gouvernement du fils de son illustre prédécesseur un "impératif”. Sur le plateau de France 24, en 2008, le locataire du palais d'Etoudi n'avait-il pas cité stratégiquement le nom du fils d'Ahidjo pour prouver que l'apaisement politique n'est pas un leurre au Cameroun ? "Je dois dire que le fils de mon prédécesseur est député... ", avait-il indiqué.
Selon une source crédible, c'est depuis les législatives 2007 (qui ont vu l’entrée de Mohamadou Ahidjo au Parlement) que le sommet de l'Etat s'active pour faire accéder Badjika au gouvernement. A l'époque, l'intéressé n'aurait pas manifesté un grand appétit pour un poste ministériel. Ce d'autant plus que l'affaire du rapatriement de la dépouille de son feu père gisait dans les oubliettes. D'autres sources voient derrière ces calculs politiciens une volonté de fragiliser Bello Bouba (déclaré candidat à la prochaine élection présidentielle) et surtout de rallier les suffrages du Nord aux prochaines consultations électorales. Badjika est considéré comme celui qui tient le parti debout à Garoua.
Le remaniement consiste également à puiser dans le vivier carriériste et pouvoiriste des élites gouvernantes assoiffées de puissance ministérielle. L'activisme de Joseph Le ne trompe plus personne. C'est à dessein que la presse nationale a médiatisé sa descente sur le terrain à Kribi, le 15 juin 2010. Sur fond de campagne médiatique, un confrère a considéré le passage de Joseph Anderson Le dans la cité balnéaire comme "Le tournant définitif qui allait sonner la réconciliation des militants du Rdpc dans le département de l'Océan, à l'occasion de la cérémonie de remise d'une aide spéciale de 27 millions de francs du chef de l'Etat à la cinquantaine de sinistrés du marché de Nkolbiteng." Personne n'est dupe. Le directeur adjoint du cabinet civil semble vouloir ménager sa monture. Il n'est pas arrivé les bras vides à Kribi. Il a annoncé l'instruction de Paul Biya au directeur général du Feicom pour la construction d'un marché moderne dans la ville de Kribi. Joseph Anderson Le a pour cela informé que l'institution chargée du financement des projets communaux devait faire une provision de 400 millions de francs Cfa pour faire face à cette instruction du chef de l'Etat. En véritable papa Noël, lors du dernier conseil d'administration de la Sopecam, Joseph Anderson Le a annoncé l'acquisition d'une nouvelle rotative par la Société de presse et d'édition du Cameroun.
On a du mal à voir dans les remaniements ministériels opérés par Paul Biya, une manœuvre de restructuration ou de redynamisation managériales de l'action gouvernante. On ne saurait oublier l'attaque virulente du chef de l'Etat lui-même à l'endroit du gouvernement Inoni, lors du conseil des ministres du 7 mars 2008. C'était au lendemain des émeutes de février 2008. Les Camerounais s'attendaient alors à un véritable Big Bang, une sorte d'onde de choc. Pourtant, à l'occasion du remaniement ministériel du 30 juin 2009, seules deux personnalités de premier rang quitteront le gouvernement: le Premier ministre sortant Ephraïm lnoni et le ministre délégué à la présidence de la République, chargé de la Défense, Rémy Ze Meka. Autant dire que le dernier remaniement ministériel a été "une routine présidentialiste de recyclage conservateur, conformiste, immobiliste et clientéliste des positions gouvernementales" pour reprendre l'expression de Mathias Eric Owona Nguini. Sur le principe, on ne peut pas contester au président Paul Biya de procéder à des remaniements ministériels. Toutefois, c'est la frénésie avec laquelle cela s'opère qui pose problème et relève du tâtonnement. Paul Biya ne se départit pas de l'idée que sa position doit être utilisée pour des intérêts particuliers. Un remaniement ministériel est un jeu de chaises musicales, destiné à s'accaparer du pouvoir.
Les Camerounais ont les yeux braqués sur le président de la République. Il est le seul à pouvoir éviter une descente aux enfers du Cameroun, en procédant (et le plus tôt sera le mieux) à un remaniement ministériel. Ce changement s'impose aujourd'hui, au regard des tares et autres insuffisances que traînent bien de ses ministres. Des ministres qui ont du mal à convaincre mêmes leurs plus proches collaborateurs, à plus forte raison les Camerounais. L'architecture (la composition) gouvernementale actuelle ne correspond pas (en tout cas plus) aux attentes et aspirations du peuple, selon de nombreux citoyens. Si le Premier ministre est aujourd'hui "toléré", peut-on dire, de par son rôle qui est de conduire et coordonner l'action gouvernementale, il n'en est guère de même pour des ministres en charge de départements dont les missions ne correspondent en rien avec leurs savoirs et compétences. Aussi, dans un contexte économique difficile (tel que nous la vivons en ce moment), il s'avère urgent de faire appel à des technocrates, des économistes et des spécialistes en questions de développement. Cela est d'autant plus fondé qu'il serait honteux, sinon scandaleux, que le Cameroun fêtât les 50 ans de son indépendance en grande pompe, alors que "le pays ressemble encore à une grosse bourgade", aux dires d'un Camerounais, et que les citoyens constatent que "le Camerounais n'a pas encore de quoi être fier", selon certains parents et grands parents qui ont vécu la période coloniale, l'Indépendance et nos jours.
Pour effectuer sa transformation de pays sous-développé en pays développé, la Chine n'a pas mis 50 ans. Comparaison n'est souvent pas raison ; et le Cameroun n'est certes pas la Chine. Mais personne n'osera croire que le quotient intellectuel du Camerounais est en dessous de celui du Chinois. C'est dire que le Cameroun peut bel et bien lui aussi, être au même niveau que n'importe quel pays avancé, pour peu qu'il exploite réellement, efficacement et judicieusement ses potentialités physiques, économiques, naturelles, et humaines, entre autres.
Dans le cadre de la liturgie gouvernante, un remaniement ministériel n'a un sens politique que si des barons-ministres sont offerts en victimes propitiatoires et boucs émissaires par le président de la République en sacrifice au peuple. Pour que celui-ci dirige son ressentiment contre les barons et non contre le chef de l'Etat. Le président Paul Biya sait jeter ses anciens collaborateurs dans la fosse aux lions, pour le plaisir du peuple frustré. Cela montrera que le chef de l'Etat n'a plus d'arguments. C'est de la diversion pour que les Camerounais oublient les vrais problèmes. Avec un autre remaniement ministériel, Paul Biya se positionnera déjà, pour 2011. Et, il faudra qu'il s'entoure des personnes qui croient en lui. Des personnalités capables de donner formes à son projet de société contrairement à ceux qui soutiennent partout qu'ils ne sont là que pour accompagner Paul Biya. Vivement: "Les gens qu'il faut à la place qu'il faut".
© Cédric Mbida et Michel Tafou | La Météo
Le remaniement ministériel refait parler de lui. La polémique enfle et ravive les débats. Ceux qui scrutent les faits et gestes du président de la République sont unanimes: "Quelque chose se prépare".
Retranché depuis quelques semaines dans sa résidence de Mvomeka'a, son village natal, le chef de l'Etat y abat, selon nos sources, un travail de titan. Paul Biya consulte et passe certains dossiers au peigne fin. Et, l'immense activité observée ces derniers jours entre Yaoundé et Mvomeka'a à travers la liaison courrier de son état-major particulier, laisse présager un «tsunami». En fin de semaine dernière, un aéronef bourré de parapheurs décollait de la base militaire de Yaoundé pour Mvomeka'a. Depuis lors, les commentaires fusent davantage dans tous les sens. Dans les salons huppés et chaumières de la capitale, l'on s'accorde sur un fait: "Le chef de l'Etat s'apprête à frapper un grand coup". Un informateur proche du sérail indique à cet effet que "Le remaniement ministériel est inévitable, c'est une question de temps". Selon la même source, Paul Biya cogite sur une nouvelle équipe, qui va l'accompagner jusqu'en octobre 2011, date à laquelle se tient en principe l'élection présidentielle ou il entend être candidat à sa propre succession. "Le gouvernement qu'il compte mettre en place sera très politique. La plupart des ministres qui ont respecté leur feuille de route et qui peuvent mobiliser les foules seront maintenus. Ceux qui en ont été incapables et qui traînent des dossiers sales seront remerciés. C'est sur cette base que le prince travaille". Plus d'efficacité et plus d'ouverture, certes, mais un réel souci de verrouillage. Telle est la lecture que l'on fait du prochain attelage que l'on attend, soit avant le départ du chef de l'Etat pour Paris où il prendra part avec ses autres pairs africains aux festivités du 14 juillet, soit après son retour. La montagne risque d'accoucher d'une souris. Les barons du régime garderont certainement leur poste.
Jeux de chaises musicales
Tout laisse à penser que nous n'allons pas assister à une véritable reconfiguration de la carte politique. Avec un nordiste à la Primature et un anglophone à l'Assemblée nationale, selon une certaine conception camerounaise de la dévolution du pouvoir, qui tient compte des données sociologiques telles que l'équilibre régional ou le fameux axe Nord-Sud. Cavaye Yeguié Djibril tient de manière ferme, les rênes du pouvoir législatif. Il pourrait donc devenir le cheval de Troie d'un jeu politique dont Biya seul détient les règles, avec en ligne de mire, le retour du pouvoir dans le grand nord. De même, dans la partie anglophone du Cameroun, aucun leader ne sort véritablement du lot. Paul Atanga Nji, malgré sa proximité suspecte avec les cimes du pouvoir, n'a visiblement pas d'étoffe. Bien plus, il traîne avec lui des casseroles assez retentissantes. Autant dire qu'un nouveau bail, mieux, un sursis sera certainement accordé à Philemon Yang. Paul Biya sait que, politiquement, il serait trop risque de changer de Premier ministre, à quelques mois d'une élection capitale. Le faire serait créer de nouveaux frustrés. Personnalité lisse et sans aspérités connues, le Premier ministre camerounais se contente d'être le premier des ministres, laissant certains membres de son cabinet comme Jules Doret Ndongo et Emmanuel Nganou Djoumessi occuper le devant de la scène, non sans commettre des gaffes. Paul Biya pourra par contre les virer.
Amadou Ali gardera certainement le portefeuille de la Justice. Le chef de l'Etat aura tout le mal de se déjuger, en écartant du gouvernement celui qui est considéré, à tort ou à raison, comme le porte étendard de l'opération Epervier. Est-ce pour mettre Paul Biya dos au mur qu'Amadou Ali a annoncé une nouvelle liste de cinquante personnalités concernées par l'opération Epervier ? En marge du séminaire sur l'harmonisation des techniques de lutte contre la corruption, le 15 juin dernier à Yaoundé, le Garde des sceaux a déclaré "L'Opération Epervier n'est pas morte; elle est une opération purement judiciaire et non politique; cette opération est en marche et ne s'est pas arrêtée. Une cinquantaine de dossiers est en cours..."
En février dernier, alors que Marafa Hamidou Yaya est en tournée d'installation des gouverneurs des régions, il est frappé d'une mesure d'interdiction de sortie du Cameroun. La décision sera levée quelques jours après. Le fait que l'intéressé soit toujours en fonction et son statut de ministre d'Etat auraient milité en faveur de cette décision. Il se disait au ministère de la Justice que tout ceci n'était que partie remise et que le dossier pouvait rebondir à tout moment. Après une rencontre avec Paul Biya, le chef de l'Etat lui renouvellera toute sa confiance. Le ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale reste utile à Paul Biya. Ses jours sont donc loin d'être comptés au gouvernement.
Issa Tchiroma Bakary pourra également dormir de son bon sommeil, ou changer de portefeuille. Le ministre de la Communication a certainement laissé des plumes, dans la gestion de l'affaire Bibi Ngota. Bien avant, il n'a pas hésité à contester son collègue de la Justice, créant ainsi une certaine cacophonie gouvernementale. Toutefois, Paul Biya sait pouvoir compter sur le président du Front national pour le salut du Cameroun (Fsnc) Le destin politique d'Issa Tchiroma Bakary est pour le moment, lié à celui de Paul Biya. Le chef de l'Etat le sait trop bien. Il voudrait être considéré comme le seul maître à bord. C'est pour cela qu'il ne répondra pas à tous ceux qui demandent avec véhémence la destitution de Laurent Marie Esso. Le ministre d'Etat secrétaire général de la présidence de la République ne traîne pas des salissures comme certains collaborateurs du chef de l'Etat, malgré l'affaire Bibi Ngota dont le dossier est loin d'être clos. Ce qui pourra fâcher Bernard Messengue Avom qui lorgnerait avec insistance le précieux poste, et qui est las d'attendre. Son entourage estime que l'homme de Minta, secrétaire général d'une association ésotérique puissante, est l'homme qu'il faut en ce moment au Secrétariat général de la présidence de la République. Paul Biya aime rester maître du calendrier. C'est ainsi qu'il évitera de jeter Michel Zoah en pâture. La prestation des Lions indomptables au Mondial sud africain est certes au dessous de la médiocrité, mais nul ne saurait oublier que, le ministre des Sports et de l'Education physique a su apporter une sérénité provisoire dans les rapports entre le ministère et les fédérations sportives nationales, non sans contribuer à la qualification des Lions indomptables à la Can et le Mondial 2010 à un moment où plus d'un observateur ne croyait plus aux chances du Cameroun.
Malgré les critiques acerbes des opérateurs économiques, des prestataires de service et autres détracteurs du ministre des Finances, l'entourage du chef de l'Etat soutient mordicus qu'Essimi Menye reste l'homme de la situation. Les caisses publiques restent difficilement vides depuis l'arrivé de l'homme de Nkomtou.
A l'inverse, le sursis accordé à Jean Pierre Biyiti bi Essam pour service rendu est certainement arrivé à son terme. Après l'affaire liée au détournement de l'argent de la visite du pape, l'ancien ministre de la Communication avait habilement sauté sur l'occasion en défendant le couple présidentiel. Il avait été, à la surprise générale, y compris lui-même, muté. Jean Pierre Biyiti bi Essam s'était en effet en 2009, illustré en défendant d'une part le prince dans les attaques du Comité catholique contre la faim qui s'interrogeait alors sur la fortune de Paul Biya, et d'autre part dans la publication de «les mauvaises fréquentations de Chantal Biya» par le journal de Pius Njawé en 2009.
Jean Nkueté qui semble dépassé par les évènements, à défaut d'être muté, pourra se voir virer par son «propre ami».
Edgar Alain Mebe Ngo'o, malgré les rapports accablants qui tombent à un rythme infernal sur la table du décideur ces jours, lesquels font état de ses colossales fortunes, le fils de Zoétélé ne devrait pas pour autant s'inquiéter. Bien au contraire, le Mindef bénéficie encore de la confiance du grand patron.
Le travail d'André Mama Fouda au ministère de la Santé est perceptible. Les nombreux tracts rédigés par ses détracteurs, et qui dénoncent sa gestion lorsqu'il était à la Maetur, ne semblent pas pour le moment convaincre le chef de l'Etat.
La feuille de route
Le président Paul Biya avait prescrit au gouvernement Yang I, la marche à suivre
La question d'un remaniement ministériel se pose généralement dès la promulgation d'une nouvelle equipe gouvernementale. Des rumeurs alimentées par la rancœur des recalés, des oubliés et des renvoyés et par les ambitions des jeunes espoirs permettent ainsi de consacrer quelques pages ou minutes dans les medias.
Depuis l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême, on pourrait dire qu'au Cameroun, on assiste à un remaniement tous les 16 mois. En 28 ans de magistère, le président de la République a formé 34 gouvernements. Sont compris dans cette série assimilable à un jeu de rotation "sur place", ce qu'on a souvent appelé réajustements ministériels, dans le jargon des milieux du pouvoir de Yaoundé.
Le 30 juin 2009, le président Paul Biya procédait au 34ème réaménagement de l'équipe gouvernementale. Vendredi 3 juillet 2009, au Palais de l'Unité, Paul Biya rencontrait le tout nouveau gouvernement conduit par Yang Yundji Philemon. C'était au cours d'un conseil de ministres, avec comme seul point à l'ordre du jour, la communication spéciale du chef de l'Etat. Le président de la République a très vite indiqué les motivations qui l'ont conduit à réajuster l'équipe gouvernementale: "Mon ambition n'a pas changé. Il s'agit, à travers la politique des "grandes ambitions" définie au début du septennat, d'assurer le développement de notre pays et d'améliorer les conditions d'existence de notre population." Parlant du bilan du gouvernement Inoni, mis en place en décembre 2004, le jugement de Paul Biya envers son ancien Premier ministre sera plus que sévère. "Les résultats obtenus n'ont pas été à la hauteur de toutes nos attentes... L'inertie que j'ai souvent dénoncée a repris le dessus...Trop de temps a été perdu. Trop d'efforts dépensés dans de pures pertes". Que proposera donc, Paul Biya au gouvernement Yang ? Quelques prescriptions: "Nous devons mettre en œuvre un programme de développement énergétique qui répond à nos potentialités. (...) Les responsables de ce secteur devront dans les six mois rendre compte des actions entreprises."
Sur le plan de l'agriculture et de l'élevage, le président de la République demandera au gouvernement de réveiller "Les grands projets agro-industriels qui dorment dans les cartons depuis des années". Et, il préviendra, "là aussi, j'attends des décisions, j'attends des résultats. Non seulement nous pourrions être pour des générations à l'abri d'une crise alimentaire, mais nous serions aussi en mesure de satisfaire la demande des pays voisins". Le chef de l'Etat poursuivra en formulant un souhait fondamental: "J'attends de ce gouvernement réaménagé qu'il donne un nouvel élan à notre action, en particulier dans les secteurs où une certaine forme de routine ou d'inefficacité paraît s'être installée. J'attends aussi de lui qu'il remette en vigueur l'usage des feuilles de route qui paraît être tombé en désuétude. J'attends enfin qu'il manifeste dans son action une réelle cohésion et une véritable solidarité qui sont les gages du succès."
Le gouvernement Yang a-t-il été à la mesure des attentes du chef de l'Etat camerounais ? Pour répondre à cette question, un vox pop réalisé par notre rédaction a travers les dix régions du pays et publié dans notre édition de la semaine dernière, est plutôt des plus amères. Evidemment, la dénonciation seule ne suffit pas lorsqu'on a le pouvoir de sanctionner. Certes, quelques ministres sont entre temps passés dans les serres de l'Epervier. Mais à l'évidence, il ne s'agit en fait que du menu fretin ou à tout le moins, de la portion congrue puisque le président lui-même avoue que le mal gangrène toujours l’administration.
Une affaire technique
L'équipe du Premier ministre Yang, ne fait aucunement miroiter aux Camerounais des lendemains meilleurs.
Un énième remaniement est un non événement. Il est loin d'être le dernier. Comme par le passé, le changement de l'équipe gouvernementale ne rétablira pas de l'espoir dans les foyers camerounais, malgré les promesses permanentes du politique. Loin de là. Dans les pays où les institutions fonctionnent normalement, le remaniement est une exception. Sous Paul Biya, c'est la règle générale, car tout se fait à l’envers: les priorités sont reléguées au second plan, les futilités passent avant tout. On fait la promotion des médiocres, on gracie les criminels économique, on convie les siens au festin, on «chie» même sur le drapeau et les institutions de la République, en confiant les destinées d'un peuple souverain à ceux qui n'ont jamais été confrontés aux réalités du peuple. Une retouche du gouvernement relèvera du "foutage de gueule", étant donné que ceux qui se sont agrippés aux entrailles de la République, sont prêts à tout pour y rester et iront jusqu'au bout pour sucer le contribuable jusqu'à la moelle épinière.
Comment organiser un remaniement que la pudeur rhétorique de la no?langue politicienne présentera comme un remaniement technique. Drôle de confusion dans la tête des gens. Un remaniement technique devrait avoir comme raison d'être des causes techniques, par exemple un ministre se révélant incompétent, un autre ayant décidé de changer de carrière, ou alors étant nommé sur un emploi incompatible avec une fonction ministérielle ou même parfois, des raisons de santé. Voilà les motifs rationnels d'un remaniement technique. On a découvert des incompétences ministérielles à certains qui, par un de ces hasards très étranges, se trouvent être les ministres récompensés par une gamelle d'or, autrement dit, la palme de la plus belle baffe, en étalant au grand jour, leur incompétence.
Remaniement technique alors ? Et si on parlait de technique de gouvernements, de psychotechnique à visée populaire et thérapeutique administrée en Valium médiatique sous forme de communiqué sans protocole, merci les chercheurs de la galénique de communication politicienne qui savent comment conditionner le suppositoire calmant pour les masses. Au palais de l'Unité, on ne conçoit pas de feindre l'indifférence et de donner l'impression de faire la sourde oreille aux longs sanglots et cris de colères lancés par les Camerounais, en pleine détresse sociale au bord de la crise de nerfs. Il faut montrer à l'opinion que le gouvernement entend la colère et le mécontentement. Il y a encore des réformes à faire, des promesses de ruptures faites lors de la dernière présidentielle, des crises à gérer. C’est pour les mois qui suivent. Aujourd’hui il y a une seule urgence, calmer le sentiment négatif de l’opinion. C’est un peu comme un procès, les parties civiles sont fébriles avant que le verdict ne tombe. Ici, la partie civile, c’est l’opinion. Le coupable, c’est la politique du gouvernement. Alors, pour rendre moins fébrile les Camerounais, rien de tel qu’un verdict proposé comme un remaniement technique. La peine de prison étant remplacée par la peine de sortie. C’est là la seule différence.
Un remaniement technique est en fin de compte parfaitement dans la ligne psycho politique de Paul Biya, notre président très connu pour son tempérament, son caractère vengeur. Punir fait partie de son programme. Ces évictions ressemblent à de la punition, côté pile, et côté face, populaire, c'est un châtiment infligé à quelques désignés coupables pour calmer un peu l'opinion publique. Une pratique tout à fait conforme à notre démocratie d'émotions. Qui sera le fusible cette fois-ci, le bouc émissaire ? On comprend la discrétion sur le sujet, comme si le gouvernement avait honte, telle une cohorte de notables pris sur le fait en sortant d'une maison close. Mais telle est la politique. Et à ce jeu de chaises musicales, la caste sait quand même préserver ses intérêts et faire corps. Gageons que nous verrons les personnalités remerciées à des postes de responsabilité censés les dédommager du caprice présidentiel, la présidence des conseils d'administration.
Délit d'ambition
Le chef de l'Etat écarte-t-il systématiquement tous ceux qui sont accusés à tord ou à raison de lorgner le fauteuil présidentiel ?
La dernière fois que le gouvernement camerounais a connue une secousse d'une amplitude considérable, c'était le 7 septembre 2007. Des figures importantes, parfois «fideles» du président de la République et titulaires de postes-cles quittaient brutalement leur poste, notamment trois ministres d'Etat: Jean Marie Atangana Mebara (Relations extérieures), Augustin Frédéric Kodock (Planification) et Ferdinand Léopold Oyono (Culture). Les ministres des Transports Dakolé Daïssala, de l'Economie et des Finances Polycarpe Abah Abah, de la Santé publique Urbain Olanguena Awono, de l'Industrie Charles Salé, des Affaires foncières Louis Marie Abogo Nkono ou de la Communication Ebénézer Njoh Mouellé faisaient également les frais de ce remaniement ministériel. Selon la presse, ces personnalités payaient pour la plupart, leurs ambitions présidentielles affichées pour 2011, scrutin que la constitution interdisait à l'époque à Paul Biya de se représenter. Paul Biya n'aime pas les collaborateurs pressés. Avec lui, il faut savoir donner les gages de loyauté.
Le 27 avril 2001, Paul Biya remaniait son gouvernement comme la presse le subodorait quelques semaines avant. Léger peut-être, mais significatif puisque le remaniement voyait le départ de quelques piliers de l’équipe sortante. Ainsi, le ministre d Etat à l'Economie et aux Finances Edouard Akame Mfoumou cédait son fauteuil à Michel Meva'a Meboutou dont c'était le grand retour au gouvernement.
Deuxième victime de taille, Augustin Kontchou Kouomegni qui partait des Relations extérieures au profit de François-Xavier Ngoubeyou. Amadou Ali, jusqu’a lors ministre délégué à la présidence chargé de la Défense était remplacé par Laurent Esso qui lui même quittait la Santé. Amadou Ali devenait ministre de la Justice où il remplaçait Robert Mbella Mbappé. Urbain Olanguena Awono revenait aux affaires à travers le poste de ministre de la Santé. Joseph Tsanga Abanda cédait le poste de ministre des Transports à Nsahlai Christopher, plus de dix ans après son départ. Aux Postes et aux Télécommunications, un nouveau venu, NKoué Nkongo Maximin en remplacement de Issac Njiémoun. A la Condition féminine, Bakang Mbock Catherine. Njiémoun Mama devenait ministre délégué à la présidence chargé du Contrôle de l'Etat en remplacement de Lucy Gwanmesia. Marafa Hamidou Yaya demeurait secrétaire général de la présidence de la République, mais était nommé ministre d'Etat. Voilà pour le texte. Personne ne pouvait avec certitude établir les raisons de la disgrâce du tout puissant ministre de l'Economie et des Finances Edouard Akame Mfoumou. Quelques années avant, l'homme était accusé d'être au centre d'une affaire de tracts circulant à Yaoundé et à Douala et le désignant comme le meilleur successeur à Paul Biya. En tout état de cause, l'on soutenait dans les salons que l'ancien ministre avait pris trop d'envergure et commençait à faire ombrage au président Biya. Pour ce qui concerne Amadou Ali, l'on s'attendait plutôt à son limogeage après l'affaire de la poudrière et les exactions du Commandement opérationnel. Son déplacement pour la Justice tenait plutôt à conforter l'idée selon laquelle le pouvoir a besoin de cet homme originaire de la région de l'Extrême-Nord, alors considérée comme la plus peuplée du pays et la plus pourvoyeuse en suffrages. Le natif de Kolofata n'était pas dangereux pour Paul Biya. L'est-il devenu entre temps ? En d'autres temps, Paul Biya s'était débarrassé des proches collaborateurs de feu le président Ahidjo avec la même brutalité. Victor Ayissi Mvodo, Samuel Eboua et Sadou Daoudou étaient accusés de manœuvrer dans l'ombre pour faire revenir l'ancien chef de l'Etat.
Ils piaffent d'impatience
Les ministères bruissent de nouvelles prétentions et la presse en fait ses choux gras.
Dans ce tourbillon de supputations, le nom de Mohamadou Badjika Ahidjo est de plus en plus présent. Des observateurs de divers bords politiques affirment mordicus que le fils d'Ahmadou Ahidjo a été d'ores et déjà consulté et qu'une enquête de moralité a été diligentée sur sa personne. Paul Biya, apprend-on, aurait fait de l'entrée au gouvernement du fils de son illustre prédécesseur un "impératif”. Sur le plateau de France 24, en 2008, le locataire du palais d'Etoudi n'avait-il pas cité stratégiquement le nom du fils d'Ahidjo pour prouver que l'apaisement politique n'est pas un leurre au Cameroun ? "Je dois dire que le fils de mon prédécesseur est député... ", avait-il indiqué.
Selon une source crédible, c'est depuis les législatives 2007 (qui ont vu l’entrée de Mohamadou Ahidjo au Parlement) que le sommet de l'Etat s'active pour faire accéder Badjika au gouvernement. A l'époque, l'intéressé n'aurait pas manifesté un grand appétit pour un poste ministériel. Ce d'autant plus que l'affaire du rapatriement de la dépouille de son feu père gisait dans les oubliettes. D'autres sources voient derrière ces calculs politiciens une volonté de fragiliser Bello Bouba (déclaré candidat à la prochaine élection présidentielle) et surtout de rallier les suffrages du Nord aux prochaines consultations électorales. Badjika est considéré comme celui qui tient le parti debout à Garoua.
Le remaniement consiste également à puiser dans le vivier carriériste et pouvoiriste des élites gouvernantes assoiffées de puissance ministérielle. L'activisme de Joseph Le ne trompe plus personne. C'est à dessein que la presse nationale a médiatisé sa descente sur le terrain à Kribi, le 15 juin 2010. Sur fond de campagne médiatique, un confrère a considéré le passage de Joseph Anderson Le dans la cité balnéaire comme "Le tournant définitif qui allait sonner la réconciliation des militants du Rdpc dans le département de l'Océan, à l'occasion de la cérémonie de remise d'une aide spéciale de 27 millions de francs du chef de l'Etat à la cinquantaine de sinistrés du marché de Nkolbiteng." Personne n'est dupe. Le directeur adjoint du cabinet civil semble vouloir ménager sa monture. Il n'est pas arrivé les bras vides à Kribi. Il a annoncé l'instruction de Paul Biya au directeur général du Feicom pour la construction d'un marché moderne dans la ville de Kribi. Joseph Anderson Le a pour cela informé que l'institution chargée du financement des projets communaux devait faire une provision de 400 millions de francs Cfa pour faire face à cette instruction du chef de l'Etat. En véritable papa Noël, lors du dernier conseil d'administration de la Sopecam, Joseph Anderson Le a annoncé l'acquisition d'une nouvelle rotative par la Société de presse et d'édition du Cameroun.
L'enfer du décor
On a du mal à voir dans les remaniements ministériels opérés par Paul Biya, une manœuvre de restructuration ou de redynamisation managériales de l'action gouvernante. On ne saurait oublier l'attaque virulente du chef de l'Etat lui-même à l'endroit du gouvernement Inoni, lors du conseil des ministres du 7 mars 2008. C'était au lendemain des émeutes de février 2008. Les Camerounais s'attendaient alors à un véritable Big Bang, une sorte d'onde de choc. Pourtant, à l'occasion du remaniement ministériel du 30 juin 2009, seules deux personnalités de premier rang quitteront le gouvernement: le Premier ministre sortant Ephraïm lnoni et le ministre délégué à la présidence de la République, chargé de la Défense, Rémy Ze Meka. Autant dire que le dernier remaniement ministériel a été "une routine présidentialiste de recyclage conservateur, conformiste, immobiliste et clientéliste des positions gouvernementales" pour reprendre l'expression de Mathias Eric Owona Nguini. Sur le principe, on ne peut pas contester au président Paul Biya de procéder à des remaniements ministériels. Toutefois, c'est la frénésie avec laquelle cela s'opère qui pose problème et relève du tâtonnement. Paul Biya ne se départit pas de l'idée que sa position doit être utilisée pour des intérêts particuliers. Un remaniement ministériel est un jeu de chaises musicales, destiné à s'accaparer du pouvoir.
POST-SCRIPTUM: Changer ou périr
Les Camerounais ont les yeux braqués sur le président de la République. Il est le seul à pouvoir éviter une descente aux enfers du Cameroun, en procédant (et le plus tôt sera le mieux) à un remaniement ministériel. Ce changement s'impose aujourd'hui, au regard des tares et autres insuffisances que traînent bien de ses ministres. Des ministres qui ont du mal à convaincre mêmes leurs plus proches collaborateurs, à plus forte raison les Camerounais. L'architecture (la composition) gouvernementale actuelle ne correspond pas (en tout cas plus) aux attentes et aspirations du peuple, selon de nombreux citoyens. Si le Premier ministre est aujourd'hui "toléré", peut-on dire, de par son rôle qui est de conduire et coordonner l'action gouvernementale, il n'en est guère de même pour des ministres en charge de départements dont les missions ne correspondent en rien avec leurs savoirs et compétences. Aussi, dans un contexte économique difficile (tel que nous la vivons en ce moment), il s'avère urgent de faire appel à des technocrates, des économistes et des spécialistes en questions de développement. Cela est d'autant plus fondé qu'il serait honteux, sinon scandaleux, que le Cameroun fêtât les 50 ans de son indépendance en grande pompe, alors que "le pays ressemble encore à une grosse bourgade", aux dires d'un Camerounais, et que les citoyens constatent que "le Camerounais n'a pas encore de quoi être fier", selon certains parents et grands parents qui ont vécu la période coloniale, l'Indépendance et nos jours.
Pour effectuer sa transformation de pays sous-développé en pays développé, la Chine n'a pas mis 50 ans. Comparaison n'est souvent pas raison ; et le Cameroun n'est certes pas la Chine. Mais personne n'osera croire que le quotient intellectuel du Camerounais est en dessous de celui du Chinois. C'est dire que le Cameroun peut bel et bien lui aussi, être au même niveau que n'importe quel pays avancé, pour peu qu'il exploite réellement, efficacement et judicieusement ses potentialités physiques, économiques, naturelles, et humaines, entre autres.
Dans le cadre de la liturgie gouvernante, un remaniement ministériel n'a un sens politique que si des barons-ministres sont offerts en victimes propitiatoires et boucs émissaires par le président de la République en sacrifice au peuple. Pour que celui-ci dirige son ressentiment contre les barons et non contre le chef de l'Etat. Le président Paul Biya sait jeter ses anciens collaborateurs dans la fosse aux lions, pour le plaisir du peuple frustré. Cela montrera que le chef de l'Etat n'a plus d'arguments. C'est de la diversion pour que les Camerounais oublient les vrais problèmes. Avec un autre remaniement ministériel, Paul Biya se positionnera déjà, pour 2011. Et, il faudra qu'il s'entoure des personnes qui croient en lui. Des personnalités capables de donner formes à son projet de société contrairement à ceux qui soutiennent partout qu'ils ne sont là que pour accompagner Paul Biya. Vivement: "Les gens qu'il faut à la place qu'il faut".