Tête-à-tête : les révélations de John Fru Ndi
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Tête-à-tête : les révélations de John Fru Ndi(Camer.be 28/12/2010)
« nous avons discuté des questions concernant Elecam et j’ai maintenu ma position selon laquelle Elecam n’est pas un organe crédible ».
« Je voudrais remercier le gouverneur de la région du Nord-Ouest qui a diligenté cette rencontre ».
Au lendemain de la rencontre historique entre le président de la République et le leader de l’opposition, La Nouvelle Expression a adressé un protocole d’interview au Chairman du Social Democratic Front, pour tenter de lui arracher certains détails de son tête-à-tête avec son rival de toujours. Tout en n’esquivant pas la question relative à la situation en Côte d’Ivoire, le leader du principal parti de l’opposition reste laconique sur les détails de ce qu’il a discuté avec Paul Biya.
Vous avez été reçu par le président de la République le 10 décembre dernier, à Bamenda. Cette rencontre, attendue et espérée de longues dates, semblait même à certains moments menacée par tous ceux qui n’en voulaient pas. Comment les choses se sont-elles débloquées? A partir de quel moment avez-vous compris que le processus était irréversible, peut-être dès qu’il est apparu que le président de la République avait décidé de prolonger son séjour de 24 h à Bamenda?
Je conviens avec vous que nous avons mis beaucoup de temps pour nous rencontrer, néanmoins cela devait arriver pour l’intérêt supérieur et pour l’amour de notre pays. J’ai toujours demandé à rencontrer le président de la République. Je lui avais adressé une demande d’audience en 2008 avant la crise de Février, à laquelle je n’avais reçu aucune réponse. Grâce à la célébration du cinquantenaire des forces armées tenue à Bamenda, il appartenait au chef de l’Etat de répondre à cette demande d’audience et aussi à mon invitation à déjeuner ou à dîner dans ma résidence pour laquelle je m’étais préparée.
Si vous aviez à exprimer votre gratitude à quelques personnes qui ont joué un rôle décisif dans ce dossier, vers qui irait-elle?
Je voudrais d’abord remercier Monsieur le gouverneur de la région du Nord-Ouest qui, en sa qualité de président du comité d’organisation de cette manifestation, a diligenté cette rencontre. Le paradoxe aujourd’hui est que certaines personnes qui avaient engagées des hostilités contre moi, en me traitant de vagabond et promettant de m’arrêter s’ils me trouvaient sur leur chemin, affirment sans honte qu’ils étaient les principaux organisateurs de cette rencontre. J’espère sincèrement qu’après cette rencontre, Monsieur Biya se fera une autre idée sur la moralité de certaines personnes dans son entourage.
Vous aviez toujours dit que vous ne rencontreriez pas le président Biya sans la présence d’un témoin. Cette option a-t-elle évolué. Pourquoi ?
Ma position n’a pas changé car les Camerounais constituaient cette tierce partie que j’avais toujours souhaitée lors de ma rencontre avec le chef de l’Etat.
Vous lui avez glissé une chemise aux couleurs de votre parti. S’agissait-il d’un mémorandum?
Non, il n’y avait aucun mémorandum. Néanmoins, cette rencontre peut être considérée comme une ouverture. Par contre j’ai remis à Monsieur Biya une copie des points sur lesquels nous avons discuté. Il est vrai que nous avons discuté des questions concernant Elecam et j’ai maintenu ma position selon laquelle Elecam n’est pas un organe crédible. La rencontre avec le chef de l’Etat ne peut ni changer, ni influencer la stratégie et les activités politiques du Sdf. Ainsi nos procédures devant la Cour suprême et devant la Commission des droits de l’homme vont continuer. Cette rencontre était un tête-à-tête et nous avons convenu de nous revoir.
Vous avez demandé pour la première fois l’audience au président Biya en 2008. Mais c’est deux ans plus tard, de passage à Bamenda, votre ville de résidence, qu’il vous invite, alors que les personnalités de votre rang sont reçues à la présidence de la République à Yaoundé. Vous êtes-vous dit tout simplement “ mieux vaut tard que jamais”?
Pendant cette visite du chef de l’Etat, Bamenda était devenue la capitale du Cameroun car toutes les forces armées et l’administration camerounaises étaient présentes. Le chef de l’Etat devait s’adresser à toute la Nation et prendre des décisions concernant la vie des Camerounais à partir de Bamenda. Notre rencontre s’est alors tenue à la présidence à Bamenda qui est la résidence officielle du chef de l’Etat dans le Nord-Ouest.
Certains estiment que le président Biya qui est le « candidat naturel » du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) à l’élection présidentielle de 2011, a voulu exploiter l’audience qu’il vous a accordée pour s’attirer la sympathie des populations du Nord-Ouest où vous êtes très populaire. C’est de bonne guerre, non?
Je suis un leader populaire jouissant d’une assise nationale et Monsieur Biya ne pouvait faire que ce qu’il avait à faire, c’est-à-dire me recevoir dans cette magnifique capitale.
Que diriez-vous à ceux qui pensent que tous les actes que le président Biya a posés dans le Nord-Ouest rentrent dans une logique de campagne électorale?
Comme chaque politicien, Monsieur Biya est continuellement en campagne, mais malheureusement, il serait regrettable si ses engagements devant les populations du Nord-Ouest relèvent simplement de la rhétorique politicienne.
Moins d’une semaine après l’annonce de la création d’une université d’Etat à Bamenda, le chef de l’Etat a signé des textes consacrant le fonctionnement effectif de cette institution. Est-ce un soulagement pour le Nord-Ouest?
L’université était due depuis longtemps au Nord-Ouest, car elle était prévue depuis 1960 quand le gouvernement américain avait apporté les équipements à cet effet. J’attends tout simplement de voir mettre en place les infrastructures et les équipements nécessaires. Ainsi donc, je crois que ce serait un grand soulagement pour tout le peuple camerounais.
Quels problèmes éventuellement n’ont pas fait l’objet d’une attention du président de la République lors de son discours de circonstance?
Il est vrai que Monsieur Biya ne pouvait pas citer toutes les actions de développement dans son discours, mais il a manqué de mentionner des actions majeures qu’attendaient le peuple camerounais, notamment le programme national de développement concernant chaque secteur, par exemple, le président a parlé de l’hôpital de référence en étude pour le Nord-Ouest, mais malheureusement il n’a pas indiqué ce que l’Etat entend faire pour combattre le choléra et la méningite qui sévissent dans plusieurs régions du pays. Est-ce que ces régions doivent attendre la visite du chef de l’Etat pour savoir qu’elle est la politique de l’Etat en matière de santé?
A qui finalement profite la rencontre Biya-Fru Ndi à Bamenda, dans le contexte politique actuel?
Indéniablement au peuple camerounais.
Quels espoirs peut susciter ce tête-à-tête dit historique entre les deux principaux leaders politiques du Cameroun, à la veille d’une échéance capitale comme l’élection présidentielle de 2011?
L’espoir que le chef de l’Etat va s’occuper des questions liées à l’organisation des élections dans ce pays comme l’a relevé le Sdf à travers ses onze propositions.
Des sceptiques pensent qu’avec cette rencontre avec le président Biya, John Fru Ndi sera désormais plus compréhensif vis-à-vis du régime de Yaoundé. En clair, il se dit que le Sdf sera désormais mal placé pour user des méthodes fortes pour se faire entendre. Est-ce la fin du cycle “insurrectionnel”?
Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, cette visite ne va pas changer les stratégies politiques du Sdf. Nous souhaitons tout simplement que la situation politique soit mieux appréciée par le régime au pouvoir à travers la position du Sdf qui incarne les aspirations du peuple camerounais.
A propos justement d’élections, de paix, d’apaisement. La situation en Côte d’Ivoire anime la controverse. Peut-on se contenter de dire que c’est la démocratie qui sort vaincue des élections ivoiriennes?
La démocratie n’est pas totalement vaincue en Côte d’Ivoire, les pays occidentaux en collusion avec les Nations unies ont décidé d’ignorer la légalité et se déclarent champions des dogmes démocratiques.
Bien sûr, en 1992, je m’étais soumis aux dispositions constitutionnelles. Quand la Cour suprême avait déclaré Monsieur Biya vainqueur parce que leurs mains étaient liées, je l’avais accepté pour sauver la paix et cette communauté internationale et même la France n’avaient pas réagi. Dans la même lignée, le code électoral ivoirien dispose que les résultats définitifs des élections seront proclamés par le Conseil constitutionnel après examen de tous les cas de litige. Ce qui a été exactement fait. D’où notre consternation vis-à-vis de la communauté internationale qui a décidé d’ignorer la légalité.
© La Nouvelle Expression : Propos recueillis par Valentin Siméon ZINGA et David Nouwou
Paru le Lundi 27-12-2010
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