(Suite à la chute de Ben Ali): Thierry Amougou " Quand le peuple sort de ses gongs parce qu’il en a ras le bol"

(Suite à la chute de Ben Ali): Thierry Amougou " Quand le peuple sort de ses gongs parce qu’il en a ras le bol"

Amougou Thierry:Camer.beDepuis samedi dernier, date de la fuite de Ben Ali qui a dirigé la Tunisie pendant 23 ans, beaucoup d'observateurs avertis de la scène politique mondiale saluent le courage du peuple tunisien.Au Cameroun,l'effervescence a également emporté des leaders aussi bien de la société civile que politique.Idem pour la diaspora camerounaise. Thierry Amougou qui a accepté de répondre à nos questions est macro économiste, maître de conférences à l’Université Catholique de Louvain la neuve (UCL) en Belgique, président de la Fondation Moumié. selon lui, "le peuple doit toujours se trouver au début et la fin de toute action politique"

Monsieur Thierry Amougou, la pression de la rue a contraint Ben Ali à l'abandon du pouvoir le 14 janvier 2011 après 23 ans de règne en Tunisie. Comment avez-vous appris la nouvelle et quelle est votre réaction à chaud ?

Déjà bonjour et une très bonne année 2011, tant à la rédaction de camer.be qu’à toute l’Afrique. Je souhaite le meilleur à tout le monde dans tous les domaines. Une mention spéciale aux Camerounais qui espèrent beaucoup de cette année 2011 où une élection présidentielle aura lieu au sein du triangle national. Même si c’est parfois la vie qui nous mène où elle veut bien le faire, il est important de garder ce rêve heureux de pouvoir faire son trou sur terre comme on le souhaite. Ce n’est que lorsqu’on le garde présent à l’esprit qu’on devient un acteur de l’histoire. C’est lorsqu’on y croit fermement qu’on s’emploie aussi à mettre la main à la pâte, et que le peuple peut triompher comme il l’a fait en Tunisie.
C’est chez moi vendredi 14 vers 19 heures que j’ai appris la nouvelle en regardant le journal de la RTBF. J’ai d’abord cru à une galéjade du journaliste au point ou j’ai demandé à ma femme si elle avait entendu la même chose que moi. Il a fallu qu’elle me dise oui pour que je revienne sur terre, tellement j’étais en extase, stupéfait et même un temps éberlué devant la scène et la nouvelle. Voir le peuple victorieux et en liesse, est un événement rarissime dans les pays du Sud. Personnellement, ces images m’ont procuré une joie ineffable, étant donné qu’elles traduisent ce qu’on lit souvent dans l’histoire des révolutions réussies alors que nous n’étions pas encore nés. Vendredi dernier, j’avais devant mes yeux, non seulement une simple révolution, mais une révolution africaine réussie au 21ème siècle. C’est, avec les images de la foule défonçant le Mur de Berlin en 1989 sous les regards médusés des militaires russes, la deuxième image forte de la concrétisation de l’espoir d’un peuple. Je pense que les gens de ma génération ont désormais de quoi raconter à leurs enfants avec preuves à l’appui. Qui plus est, ce qui est arrivé en Tunisie va en droite ligne des idées et combats qui me motivent : le peuple doit toujours se trouver au début et la fin de toute action politique. Ben Ali a eu une sanction et a connu une sentence proportionnelles à l’ensemble de son œuvre macabre. Les autres dictateurs doivent maintenant confesser leurs péchés car la démocratie c’est le « peuple Dieu ». Ceux qui sont en poste dans des régimes analogues doivent donc commencer à s’organiser un autodafé.

Au-delà de la fin d’une atroce et infâme dictature que les Africains épris de liberté ne peuvent regretter, la colère et la révolte du peuple tunisien réactualise la place de l’insurrection populaire dans la marche de l’histoire, notamment dans la conquête des libertés individuelles et collectives en Afrique. Le cas tunisien montre que le pouvoir réel est détenu par le peuple et vient de lui. Autrement dit, quand le peuple sort de ses gongs parce qu’il en a ras le bol, l’histoire prend une nouvelle direction. Et aucune autre force, fût-elle celle des forces armées tirant à balles réelles et faisant des dizaines de morts, ne peuvent résister à l’estocade du peuple. Les images que j’ai vues prouvent qu’un peuple en colère, en furie, en révolte et déterminé, emporte tout sur son passage comme le ferait un véritable tsunami. Le cas tunisien est une démonstration en temps réel que toutes les dictatures sont en sursis parce que le peuple peut, à tout moment, reprendre ses droits par tous les moyens. Puisse l’exemple tunisien faire tache d’huile en Afrique et ébranler les autres dictatures qui font subir un sort tragique aux populations. Il a juste fallu un mois de révolte pour, si vous me permettez l’expression, mettre un coup de pied au cul à la dictature de Ben Ali.

Je ne peux clôturer la réponse à cette question sans souligner le fait que qui veut la liberté doit accepter d’en payer le prix. Plusieurs Tunisiens sont tombés en martyrs pour que cette victoire soit possible. J’ai une pensée particulière pour tous ces morts et pour le jeune homme qui s’est immolé par le feu et a mis tout le pays en branle. C’est sûrement une épreuve très dure pour sa famille mais il a été, par son sacrifice, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Son sang versé a fertilisé le sol de la révolution tunisienne et montre tout le caractère mystique du sacrifice humain pour la continuation de la vie et la renaissance du monde. Ce jeune Tunisien est entré dans l’histoire de la Tunisie et des révolutions africaines comme celui qui, le premier, donna sa vie et son sang pour que sonne le glas de la dictature Ben Ali. C’est un sang versé pour que le sort de ceux qui resteront en vie puisse être meilleur que le sien. C’est pratiquement tout le lien spirituel entre la violence et le sacré qui agit à travers son immolation aux flammes.

Comprenez-vous ce type d'alternance au pouvoir au sein de votre parti politique ?

Je suis le Président d’une association panafricaine, la Fondation Moumié. Je n’ai pas de parti politique et je ne possède aucune carte d’un quelconque parti politique. Je n’en ai jamais eu depuis ma naissance. La Fondation Moumié, quoique ne faisant pas de la politique au sens classique de ce terme, pose chaque année des actes qui ont un impact politique certain. Notre association se situe donc dans le champ de la société civile internationale. Elle vise des objectifs nobles et essentiels au développement de l’Afrique. Objectifs que le caractère corrompu de la politique classique ne peut atteindre parce qu’elle est constamment impure dans ses motivations de conquête du pouvoir. J’aimerai en outre faire une autre précision. Je m’exprime ici en mon nom propre et pas au nom de la Fondation Moumié. Celle-ci a une cellule de communication avec laquelle je travaille en étroite collaboration quand la Fondation veut donner son avis sur un problème. Ici c’est moi et moi seule qui parle pas elle. Il ne faut donc pas faire d’amalgames entre Thierry Amougou, citoyen camerounais libre et maître de ses analyses, et la Fondation Moumié, institution panafricaine constituée d’une multitude de membres et de sympathisants. Assimiler ce que pense l’individu Thierry Amougou à ce que pense la Fondation Moumié, montre comment plusieurs Africains sont eux-mêmes des arguments des dictatures qu’ils dénoncent en donnant pratiquement un statut de synonymes du Cameroun, du Tchad et du Gabon aux paroles d’un Paul Biya, d’un Idriss Déby ou d’un Ali Bongo.
Ceci étant dit, le type d’alternance qu’il y’a eu en Tunisie a pour nous une grande portée dans la conception de la démocratie et du pouvoir politique. Premièrement, un peuple opprimé a le droit de mettre fin à son oppression par tous les moyens possibles à sa disposition. Dans l’histoire mondiale de la conquête des libertés, l’alternance par la révolution est fortement documentée. C’est un droit d’action que nul ne peut contester à un peuple quand il décide de l’utiliser car le peuple est souverain et a toujours raison. La démocratie c’est le peuple souverain, le peuple surveillant et le peuple veto. Les Tunisiens n’ont rien fait d’autres qu’appliquer ça. Deuxièmement, il faut signaler que le peuple arrive au choix de l’insurrection populaire comme moyen d’alternance au pouvoir, lorsque ceux qui ont été mis au pouvoir ne font pas le poids, ne font plus le poids ou sont à l’origine de fautes gravissimes.
Lorsque les dirigeants trahissent les aspirations et ne respectent pas les droits les plus légitimes du peuple, celui-ci a en retour le droit d’utiliser tous les moyens pour extirper « le Mal » qu’il subit. Tout se passe comme si le peuple reprenait juste le pouvoir qu’il a confié à son employé car un Président de la république n’est rien d’autre qu’un employé du peuple à qui il doit rendre compte. C’est le peuple le patron et il fait ce que fait un chef d’entreprise quand son employé n’est pas efficace : il le met à la porte et cherche un autre employé qui mérite le salaire qu’on lui paie.
Troisièmement, l’alternance par la rue envoie un message à ceux qui sont au pouvoir en Afrique et ne font qu’à leurs têtes. Ils doivent mériter le pouvoir politique à eux confié par un peuple qui, à tout moment, peut le retirer s’il le souhaite franchement. Il suffit de lire les messages des pancartes brandies par les manifestants. J’y ai lu, entre autres : « Dégage » ; « Tunisie libre, Ben Ali dehors ». C’est ce qui s’est réalisé car c’était des demandes franches, profondes, non négociables et impératives. Quand le patron décide, l’employé fait ce que celui-ci a décidé.
Quatrièmement, cette forme d’alternance est la quintessence même de l’idée démocratique telle que conçue par ses pères fondateurs. C’est tout le peuple tunisien qui l’a voulue et non une simple majorité comme c’est le cas dans la démocratie moderne. L’exigence fonctionnelle de la démocratie a fait que « tout le peuple » est devenu « une partie du peuple » et « tout le temps » est devenu par « moments » (le vote). Nous venons de vivre en grandeur nature le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple dans cette révolution tunisienne.
3- Le désormais ex-président Ben Ali a pourtant tenu un discours d’apaisement jeudi avant de démissionner précipitamment vendredi dans des circonstances non encore élucidées. Le scénario vous surprend-il au vu des derniers développements de l'actualité dans ce pays du Maghreb ω
Franchement, le scénario m’a surpris et cette surprise implique plusieurs choses positives dans mon esprit. La rapidité de la faillite du régime Ben Ali me surprend. Je ne savais pas que cette dictature qui, 23 ans durant, avait tenu le peuple tunisien en laisse comme un chien en muselant tout le monde par l’instauration d’un État policier, pouvait si vite mordre la poussière. Quand Ben Ali a senti la fureur et la clameur du peuple monter jusqu’au palais, il a voulu faire ce que font de nombreux hommes politiques pour désamorcer une bombe sociale. Le « je vous ai compris » du Général De Gaules que Ben Ali a emprunté dans son discours de la dernière chance, n’a servi à rien. Le peuple tunisien ne croyait plus en la parole d’un individu qui avait grillé son capital crédibilité en promettant, dès 1987, qu’il y’aurait la démocratie et pas de présidence à vie. Il a fait complètement tout le contraire de ses promesses de départ. Alors, 23 ans après, dire à ce même peuple « je vous ai compris », équivaut à se foutre de sa gueule car il n’y a pas eu un seul rayon de démocratie et Ben Ali s’était déjà programmé pour une présidence à vie en modifiant la Constitution. Ça ressemble étrangement au « vous souffrez j’en suis conscient » que Paul Biya a adressé aux Camerounais il y’a quelques années. 27 ans plus tard, le peuple camerounais souffre toujours. Le président est toujours conscient de sa souffrance sans rien faire de mieux que modifier la constitution pour prolonger ladite souffrance.
Cela dit, la surprise qui m’habite devant la rapidité avec laquelle le pouvoir a été mis en déroute et en débandade, me rassure sur la force du peuple. Celui de Tunisie vient de me démontrer qu’il est une force d’action extrêmement rapide et redoutable une fois qu’il est franchement mis en branle. En outre, la faillite de la dictature Ben Ali démontre aussi que toutes les dictatures fondent elles-mêmes les éléments et les ferments fondamentaux de leur déroute future. En effet, lorsqu’un clan s’accapare de toutes les richesses alors que le reste de la population traîne pratiquement « le cul par terre », alors le pouvoir en place constitue en face de lui une force sociale dont le statut de laissés-pour-compte est fortement mobilisateur. Lorsqu’un régime musèle tout le monde, il entraîne une sédimentation des rancœurs et d’inimitiés qui, lorsqu’elles décident d’exploser, font l’effet d’un volcan qui embrase et emporte tout sur son passage. Lorsqu’un individu pense qu’il est une fin alors qu’il n’est un employé du peuple, ce peuple lui rappelle sa place en remettant les pendules à l’heure et chaque chose à sa place. Effectivement, on ne peut tromper tout le peuple tout le temps comme le dit le philosophe.
4- La révolution tunisienne pourrait-elle influencer d’autres pays d’Afrique et notamment le Cameroun qui se prépare à vivre une année 2011 sous fond d’élection présidentielle ω Mieux, faut-il craindre désormais l'effet d'entraînement sur le continent noir ω
Les événements de Tunisie ne peuvent rien de grand pour l’Afrique toute entière si nous n’en faisons pas une lecture qui puisse éclairer d’autres situations au sein du Continent Noir. Voici quelques remarques avant de répondre directement à vos questions sur le Cameroun.
A mon avis, le vent de la liberté qui s’est levée en Afrique dans les années nonante, suite à des dynamiques à la fois endogènes et exogènes, ne s’arrêtera plus. Nous constatons par moment quelques reflux démocratiques qui sont pour moi les derniers spasmes d’une bête assommée, atteinte de façon mortelle dans ses organes vitaux et s’exprimant désormais en mode pratiquement épileptique. L’arrivée au pouvoir au Gabon, en RDC et au Togo de ceux j’appelle les « papa m’a dit », les modifications constitutionnelles en séries et le banditisme néo-nationaliste naissant, n’y pourront rien car l’histoire de la liberté est sortie de ses gongs et tout y trépassera. Ces derniers temps, la Guinéens ont mis au pouvoir un opposant historique, les Camerounais sont allés dans la rue en 2008, les Algériens contestent, le président nigérien a été déposé parce qu’il voulait s’éterniser au pouvoir, le peule ivoirien a voté pour un opposant et les Sénégalais contestent déjà la dynastie que WADE veut construire à son tour. Ce n’est pas la fin des dictatures mais le virus de la liberté a piqué les Africains depuis les luttes d’indépendance et d’autres révoltes anti-coloniales. C’est un beau virus qu’on traîne toute sa vie car il n’a pas de vaccin et n’en aura jamais.
Bien sûr, tous ces peuples sont différents, non seulement dans leur structure interne, mais aussi entre eux, mais ils partageaient, avant le début de cette année, une même situation. Celle de connaître la souffrance, le chômage, la faim, des échecs de gouvernements, des constitutions malmenées et la misère au sein des dictatures qui, depuis des décennies, ne pensent qu’à se reproduire à long terme. Ce qui me touche aussi dans cette Afrique en mouvement vers la liberté, est la multiplicité des formes d’expressions du peuple. C’est parfois la rue contre la force des armes comme au Cameroun en Algérie et en Tunisie. C’est parfois le vote comme en Guinée Conakry. Et c’est parfois aussi un mélange de rue et de vote comme en Côte-d’Ivoire. Les peuples triompheront à travers l’Afrique car le désespoir est très mobilisateur et la liberté un droit naturel inaliénable.
Concernant le Cameroun, la situation est un peu différente. La Tunisie était une pure dictature et les choses étaient claires chez Ben Ali. Pas d’opposition, pas de liberté de presse, pas d’autres coqs qui chantent en dehors de ceux de la basse cour de Ben Ali. Ce genre de dictature nette et claire est plus facile à déverrouiller par le peuple car c’est tout le peuple contre Ben Ali et sa cour restreinte. Ben Ali a traité les jeunes Tunisiens de voleurs et de délinquants quand Paul Biya avait traité les jeunes Camerounais de 2008 de casseurs et d’apprentis sorciers. On voit que le mode opératoire est le même : décrédibiliser le mouvement social et le réprimer durement dans le sang.
Cependant, quoique le régime en place au Cameroun soit aussi une dictature, le cas du Cameroun me semble différent au moins sur quatre plans : le mode de gouvernance ; le rôle et la place des forces armées ; la liberté d’expression et la nature de l’opposition. Dans un premier temps, le mode de gouvernance par le système de « la mangeoire nationale » est plus (re)distributeur de ressources et stabilisateur du régime qu’on ne le pense d’habitude. Le clientélisme qu’il instaure fait que le peuple camerounais est divisé entre ceux qui sont dans le saint des saints, ce qui sont à côté de celui-ci et ceux qui en profitent à distance. Toux ceux-là reçoivent des ressources et font plus ou moins corps et équipe avec ceux qui sont situés à mille lieues de la mangeoire nationale. Reste alors ceux qu’on peut appeler les « Camerounais hors mangeoire nationale » parce qu’ils reçoivent zéro ressources du gâteau national. Cela fait un peuple camerounais éclaté et fissuré car mis à des degrés de souffrance différents. C’est ce que j’appelle la mangeoire nationale comme système partisan en lieu et place de l’ancien parti unique. Quand les Camerounais hors mangeoire se plaignent parce qu’ils meurent de faims, ceux qui sont situé à mille lieues de la mangeoire se plaignent parce qu’ils ont beaucoup maigri et ceux qui sont  dans l’environnement immédiat de la mangeoire se plaignent de ne plus avoir leur table aussi garnies qu’avant. L’unanimité mobilisatrice qu’il y’a eu en Tunisie est donc difficile car les têtes de pont de « la mangeoire nationale» sont de petits présidents chacun chez lui. Ils veulent le rester en distribuant dans leur entourage pour que le système qui a fait d’eux « les Baos du coin » perdure.
Dans un deuxième temps, l’armée tunisienne, notamment les militaires ont joué un rôle central dans cette révolution libératrice. Contrairement aux policiers brutaux à souhait, les militaires se sont situés du côté de la population tunisienne et ont refusé de réprimer la révolte sociale dans le sang. Au Cameroun, les forces armées sont dans la poche du Président depuis que celui-ci a fait du soldat l’homme le plus important du Cameroun. Les centaines de jeunes qui sont descendus dans la rue au Cameroun en 2008 pour contester la modification constitutionnelle et crier leur mauvaise vie, ont été liquidés sans ménagement par cette armée sous les ordres de son chef suprême qu’est le Président camerounais. Celui-ci a tout donné à l’armée camerounaise. En retour, cette armée a signé une sorte d’union sacrée avec le Renouveau National.
Dans un troisième plan, la liberté d’expression est développée au Cameroun dans une politique qui consiste à dire courez toujours, parlez toujours ça vous défoule mais ça ne change rien tant que ça évite l’explosion de la marmite. L’erreur qu’a faite Ben Ali est qu’il a muselé complètement tout le monde et la marmite s’est mise en ébullition à un tel degré qu’elle a explosé d’un coup et avec une violence inouïe. Au Cameroun, le régime laisse  parler, il tue quelques journalistes, embastille d’autres mais laisse encore parler au point où l’illusion de liberté l’emporte.
Enfin, la nature de l’opposition. En Tunisie, elle était complètement piétinée et éteinte au point où c’était le candidat unique Ben Ali en concurrence électorale avec lui-même. Au Cameroun, l’opposition est appâtée par « la mangeoire nationale » et participe au pouvoir en devenant son envers en fondant ainsi sa légitimité. Cela désamorce la fronde du peuple car il ne voit pas de figure crédible dans ceux qui disent s’opposer, étant donné qu’ils ne le font que le temps que dure ce que les économistes appellent leur chômage frictionnel. C’est à dire, le moment qui s’écoule entre le temps où ils critiquent le pouvoir, et celui où ils deviennent, grâce à leur capacité de nuisance, un des membres de « la mangeoire nationale ». Bouba Beilo et Tchiroma en sont des cas d’école.
Nous avons donc affaire au Cameroun à un système plus dangereux que celui de Ben Ali. Car face à une dictature pure et claire à la Ben Ali, le peuple fait corps et se lève comme un seul homme pour abattre le monstre. Ce qui n’est pas le cas au Cameroun où nous avons ce que je peux appeler une dictature impure qui opère en mode accordéon et endort le peuple à la fois par sa mélodie modernisatrice, que par ses changements de rythme et de phases entre resserrements et desserrements de l’accordéoniste en chef Paul Biya. Elle est démobilisatrice car divise le peuple et affaiblit sa capacité de mobilisation que ce soit dans la superstructure de l’État ou alors au ras des pâquerettes.
Je veux dire qu’un régime hybride parce que ni démocratie, ni dictature pure, est plus dangereux pour la force du peuple et sa mobilisation qu’une dictature pure. Au Cameroun nous avons une dictature qui avance masquée donc plus meurtrière et plus difficile à combattre. Cependant, la dictature en mode accordéon dont je parle n’a pas anesthésié la flamme de la révolte au sein du peuple camerounais. Les Camerounais exsangues, laissés-pour-compte et ceux qui sont situés à mille lieues de « la mangeoire nationale », sont majoritaires et peuvent sanctionner négativement ce régime dans un vote réglementaire en 2011. En outre, l’opération épervier a fissuré l’union sacrée au sein de « la mangeoire nationale » au point où les réseaux de ceux qui sont en prison attendent aussi ce scrutin pour en découdre avec le Renouveau National. Le seul hiatus est que nous n’avons pas une commission électorale indépendante et le tableau des candidatures est le même. Et les mêmes conditions électorales appliquées aux mêmes candidats vont automatiquement produire les mêmes effets, c’est à dire le même vainqueur.
Malgré ce constat alarmant, absolument rien n’est perdu car le Cameroun ne s’arrête pas en 2011. Ben Ali a bien été élu mais le peuple a décidé d’écouter un mandat qui allait jusqu’en 2014. Ce qu’enseigne aussi cet épisode tunisien est que le peuple n’a pas de calendrier précis pour sa révolte. Il peut se soulever avant un vote, il peut se soulever lors de ce vote ou même longtemps après l’élection. Un régime inique qui se ferait réélire au Cameroun par tricherie ne sera pas en sécurité car le peuple peut décider de reprendre ses droits n’importe quand. Ce que je dis ne veut pas dire que le cas tunisien va se reproduire au Cameroun. Je dis qu’il peut ne pas se produire et qu’il peut aussi se produire à tout moment. C’est le peuple qui décide pas moi. C’est ça la grande leçon de la révolte tunisienne. Quand le peuple décide d’accorder son logiciel de révolte, il ne demande l’avis de personne et il n’attend aucune programmation de quiconque de la feuille de route à suivre. Le peuple tunisien s’est autoprogrammé pour la révolte et la victoire. C’est une condition essentielle de la réussite d’une insurrection populaire. La question du quand, du comment et du pourquoi ne sont pas faciles à traiter car c’est depuis 1956, sous Bourguiba, que les Tunisiens sont trahis par leurs dirigeants. Ce n’est qu’en 2011 qu’ils disent de dire non ça suffit ! Ce qui veut dire que l’actuelle dictature camerounaise est peut-être avec la précédente, en train de préparer ce que subira le régime qui succèdera à Biya si rien ne change. C’est une alchimie complexe de choses qui déclenche ce genre de mouvement. Le Cameroun n’est nullement à l’abri car la corruption, les modifications constitutionnelles, les élections truquées, le chômage, l’enrichissement illicite des membres du pouvoir et la pauvreté de la masse, sont les mêmes phénomènes que dénoncent les Tunisiens.

Quel rôle l’armée nationale doit-elle jouer en de pareilles circonstances et comment voyez-vous l’avenir proche de la Tunisie ?

Les militaires tunisiens ont eu un geste patriotique à souligner en refusant de réprimer les manifestants comme l’ont fait les policiers et la garde présidentielle de Ben Ali. C’est aussi cette garde présidentielle qui se bat actuellement contre les militaires car elle veut semer la zizanie parce qu’elle n’a plus le pouvoir qui était le sien du temps de Ben Ali. C’est une grande leçon de responsabilité que les militaires tunisiens donnent aux armées africaines. Lorsqu’une révolte atteint un tel niveau, les armées doivent protéger les populations et être de leur côté car ne pas le faire reviendrait à faire un bain de sang en participant ainsi à la répression du peuple. Je pense aussi que quand une révolte populaire atteint un certain seuil critique, l’armée est obligée de se mettre du côté du peuple et de désobéir aux ordres irresponsables d’un régime aux abois et prêt à tout pour se sauver.

Le rôle de l’armée dans le processus démocratique africain est ambigu. Cette armée africaine apparaît tantôt comme très répressive et complice des pouvoirs en place qui la transforment carrément en milices. Le cas du Cameroun est là pour le démontrer. Tantôt aussi, cette armée agit pour mettre fin à des dictatures et relancer le processus démocratique. C’est le cas au Niger et récemment en Guinée. Je pense que l’heure est venue pour que l’Afrique ait des armées intelligentes professionnalisées uniquement dans l’offre de sécurité aux citoyens et aux pays. Si la Tunisie a ce type d’armée, son rôle est de rétablir la sécurité pour que la transition politique se fasse en paix. J’ai cependant une petite inquiétude c’est celle selon laquelle Ben Ali s’est sûrement enfuit en laissant en place des réseaux locaux qui ont encore un certain pouvoir de nuisance. Je souhaite que ceux qui assurent la transition et que ceux qui gagneront les élections ne tombent pas, grisés par le pouvoir, dans les mêmes travers que Ben Ali.

Alors que les Africains sont divisés sur le rôle que joue la communauté internationale en Côte d'Ivoire actuellement, c’est la rue qui décide en Tunisie. Comment appréciez-vous ces deux situations ? Sont-elles complémentaires ou tout à fait contradictoires à votre avis?

De prime abord que les Africains soient divisés sur une affaire n’est pas une mauvaise chose en soi pour moi. Je préfère des Africains qui ont un avis à ceux qui n’en possèdent pas du tout. La société démocratique que je défends jusqu’au bout est faite d’avis contraires qui s’affrontent et montrent divers aspects d’un même problème. Tout ce qu’il y’a à déplorer ce sont ces gens qui pensent qu’en devenant grossiers leurs arguments sont plus intelligents. C’est tout le contraire car parler plus fort ou insulter son contradicteur, ne rend pas plus intelligent. C’est plutôt le signe d’un manque d’arguments sérieux.

Sans verser dans la logorrhée, je vais essayer d’être clair et précis sur la mise en résonance des cas tunisien ivoirien. Je vous ai dit au début de cet entretien que le peuple doit être au début et à la fin de toute action politique. Je suis donc intraitable, inflexible et conséquent sur la défense des valeurs démocratiques et de la démocratie. Ce qu’il faut au préalable souligner dans le cas ivoirien, ce sont à la fois des amalgames mortels et des incohérences dirimantes dans certaines positions. Moi j’essaie de respecter l’exigence de cohérence sans laquelle tout combat devient flou, illisible et donc inefficace au bout du compte.
De nombreux Africains sont dans ce que j’ai appelé, dans un récent papier, une position schizophrénique. Elle consiste à vouloir une chose et son contraire à la fois. Pour ne citer que quelques exemples, celui qui veut la démocratie doit savoir que la société démocratique est une société où les enfants ont des associations de défense des droits de l’enfant et qu’il n’élèvera plus jamais ses enfants comme le fit son arrière grand père. Celui qui veut la démocratie doit savoir qu’elle implique des associations féministes qui vont défendre les femmes et combattre certaines valeurs traditionnelles africaines comme la polygamie. Celui qui veut la démocratie doit savoir que c’est une forme de société où les homosexuels ont des droits qu’il le veuille ou non. Obama vient d’autoriser la déclaration de l’homosexualité dans l’armée américaine, non parce qu’il est lui-même homosexuel ou parce qu’il veut promouvoir l’homosexualité, mais parce que les homosexuels sont là parmi les citoyens. La politique de l’autruche ne règle aucun problème car ce qu’on cache et qu’on couvre entre en putréfaction comme le dit un proverbe de chez moi. Celui qui veut la démocratie doit savoir que celle-ci dit que celui qui est voté par le peuple, fût-il Hitler, a gagné le scrutin et aussi la place en jeu. Celle-ci lui revient de façon légitime. La démocratie c’est pas seulement des avantages. C’est aussi la naissance de nouveaux problèmes à résoudre. Les problèmes que je viens de signaler sont quelques-uns de ceux qui nous attendent nous Africains dans l’avenir. Il faut le savoir.
De nombreux Africains sont donc dans une situation d’un homme qui se marie mais veut seulement avoir les joies du mariage sans assumer les nouveaux problèmes qu’implique le mariage. C’est la situation intenable de quelqu’un qui adorerait le piment parce qu’il relève le goût de ses plats, mais refuserait d’avoir les effets secondaires de ce même piment lorsqu’il ira au petit coin après avoir mangé son met fortement pimenté. Le choix est simple : si vous adorez le piment, sachez aussi que son effet ne s’arrête pas seulement dans la bouche et assumez-le. Ce manque de cohérence implique une inconséquence qui fait que plusieurs d’entre nous menons des combats qui perdent en lisibilité et en sens. En voici quelques uns :
-demander chaque jour, pancartes aux bras et porte-voix en bouche, à la communauté internationale de s’occuper de la violation de Droits de l’Homme et de l’État de droit en Afrique, et crier « aux vierges effarouchées » dès qu’elle le fait comme en Côte-d’Ivoire ;
-demander un siège permanent pour l’Afrique au conseil de sécurité des Nations Unies, et refuser en même temps que ces Nations Unies interviennent en Afrique dans un pays placé sous tutelle des Nations Unies dans son processus électoral ;
-Vouloir le triomphe du peuple africain, mais refuser en même temps ce triomphe parce que le peuple a voté un candidat pro-occidental ;
-vouloir la fin de la Françafrique et refuser les résultats démocratiques qui, pour moi, constituent le seul et le meilleur moyen pour y mettre fin ;
-Condamner la communauté internationale en oubliant que c’est se condamner soi-même puisque tout le monde, et même l’Afrique, en fait aussi partie. Les Africains s’auto-excluent-ils de la communauté internationale ?
Est-ce que la démocratie dit que si celui que vote le peuple est pro-occidental alors il doit perdre l’élection ? Non. La démocratie dit-elle que celui qui arrive second à un scrutin doit gagner s’il se dit nationaliste et souverainiste ? Encore une fois non. Car le vote est une procédure de choix qui consacre qui est choisi majoritairement par le peuple. Ça s’appelle l’onction populaire inaliénable. C’est simple et clair comme de l’eau de roche. La situation en Côte- d’Ivoire n’aurait entraîné aucun problème si les Ivoiriens avaient eu deux candidats qui respectent chacun ces règles élémentaires. Ce ne fut pas le cas car, avec les amalgames, une nouvelle règle démocratique est née et signifie que celui qui se proclame contre la Françafrique acquiert une légitimité qui supplante celle du peuple qui s’est exprimée. C’est simplement une bêtise d’une absolue rareté. Cette schizophrénie entraîne qu’on tourne finalement en rond comme une toupie dans ses revendications. Et la toupie finie toujours par perdre sa vitesse et à tomber.
Et pourtant, il n’est point besoin de se masturber le cerveau, d’être un Einstein ou d’avoir un GPS à la place des méninges, pour se rendre compte que c’est une erreur élémentaire de logique que de dire combattre la Françafrique et de refuser la voix des urnes. Aucun Français ou Américain, à ma connaissance, n’est allé voter en Côte-d’Ivoire sauf si les habitants du Nord de ce pays sont assimilés à des immigrés français et américains. C’est une position de courte vue que de ne pas se rendre compte que la Françafrique est le produit direct des dictatures politiques. C’est effectivement lorsque le peuple est mis de côté que la Françafrique s’enracine et perdure car c’est un réseau mafieux et souterrain qui échappe à tout contrôle. En conséquence, accepter la voix des urnes et promouvoir la démocratie jusqu’au bout, est le meilleur moyen, je dirai même le seul et unique moyen de lutter efficacement contre la Françafrique. Ceux qui disent soutenir quelqu’un qui triche aux élections parce que celui-ci lutterait contre la Françafrique, ne savent pas qu’ils ouvrent la voix aux fraudes de toutes sortes en donnant « un argument passe partout » aux dictatures qui piétineront le résultat des urnes sous prétexte de combattre la Françafrique.
Le cas tunisien est très important car il permet de mettre en lumière toute la manipulation orchestrée par un candidat dans le cas ivoirien. La révolution tunisienne a réussie parce que c’est une révolution pure, autonome et menée par un peuple unit qui s’est autoprogrammé pour la victoire sans gourou à son chevet. C’est la preuve ici que si on place le peuple au début et à la fin de toute action politique comme je le dis, alors c’est la démocratie et donc ce peuple la meilleure arme contre la Françafrique. Ben Ali était soutenu par la France depuis Mitterrand jusqu’à Sarkozy dans le combat occidental contre l’islamisme. Mais une révolution pure, c'est-à-dire sans manipulations politiciennes d’un individu a, en un mois, balayé ce soutien et mis toute la communauté internationale de son côté malgré ses intérêts divergents. En conséquence, les Etats Unis ont les premiers pris le côté du peuple avant même que Ben Ali ne prenne la fuite. L’UE a fait la même chose et la France était obligée de suivre.
Le cas ivoirien actuel ne peut aboutir à ce type de révolution pure car un candidat, Laurent Gbagbo, pour ne pas le citer, a divisé le peuple ivoirien en, d’un côté, de « faux ivoiriens » dont on annule sans ménagement le vote et, de l’autre, de « vrais Ivoiriens » dont le vote compte parce qu’ils sont de race pure. La conséquence est logique : un peuple divisé et manipulé par un gourou politique paré d’habits nationalistes, ne fait pas corps et ne peut ni combattre la Françafrique, ni triompher car il se bat d’abord contre lui-même. L’un des buts de la démocratie est de civiliser et d’apaiser les différences de choix réels au sein d’une population en privilégiant la voix de la majorité. Refuser le vote c’est transformer ces différences réelles de choix en arguments de guerre car tout candidat a des partisans prêts à mourir dans un combat clanique et ethnique qui aurait dû être démocratique, c’est dire sans effusion de sang. Donc, la rue décide en Tunisie parce que cette rue est unie s’étant levé toute seule comme un seul homme. Elle ne décide pas en Côte d’Ivoire, parce qu’elle est divisé par des gourous politiques tapis dans l’ombre.
Mêmement, la communauté internationale dont font aussi partie les pays africains (nous semblons l’oublier), ne peut que suivre un peuple uni comme le peuple tunisien car son unité lui donne la force d’un tsunami. Encore une fois, cohérence, cohérence et cohérence car la même communauté internationale que le camp Gbagbo diabolise aujourd’hui a déjà, il y’a quelques années, soutenue Laurent Gbagbo lorsque le général Gueï a voulu truquer des élections alors gagnées par Laurent Gbagbo. Encore une fois pas de logique et de cohérence dans les combats est très dangereux. Un peu de logique amène à se demander pourquoi Laurent Gbagbo, à cette époque, n’a pas refusé le soutien de la France et d’autres pays occidentaux. Tout simplement parce que c’était en sa faveur. Pourquoi n’avoir pas crié au complot contre Robert Gueï ? Parce qu’il n’était pas nationaliste ! La démocratie ne fonctionne pas à géométrie variable. Si, sur la ligne de départ, il y’a deux candidats dont un considéré comme Dieu et l’autre considéré comme le diable, alors le candidat Dieu a gagné si le peuple le vote majoritairement. De même, le candidat diable a aussi gagné si le peuple le vote majoritairement. C’est très très simple à appliquer car c’est ce même peuple qui peut remplacer demain le diable par Dieu une fois qu’il vote le contraire. Ce que je défends n’est ni le camp de X ni le camp de Y en Côte- d’Ivoire mais le verdict des urnes. Si Ouattara devient Président en Côte-d’Ivoire et qu’il est battu aux prochaines élections, je serai le premier à lui demander de dégager pour laisser la place au vainqueur. C’est ça être cohérent et non prendre la couleur des récipients qui nous nourrissent comme le disait le feu Jean Miché Kankan.
J’ai l’impression que nous sommes plusieurs d’entre nous dans une sorte de crise identitaire. Malheureusement, Franz Fanon n’est plus là pour traiter cliniquement et psychiquement ce problème qui aboutit à ce que j’ai appelé une « Gbagbo mania ». Nous avons connu « un événement traumatisme » la colonisation. Elle a déprécié notre identité. Raison pour laquelle notre traumatisme se place entre nous et les faits réels chaque fois que nous avons affaire aux anciens colons. Conséquence, au lieu de voir les faits réels en en tirer les conséquences logiques qu’ils impliquent, nous voyons l’ancien colon et la possibilité d’une nouvelle colonisation que nous refoulons en jetant le bébé avec l’eau du bain. Cela ouvre la voie à des manipulations du peuple africain par ce qu’on peut appeler « un néonationalisme bandit et roublard ». Il faut que les Africains fassent le bilan à froid du « nationalisme responsable » des grands Africains de l’histoire.
A mon humble avis, ce n’étaient ni des démagogues chauvins, ni des xénophobes, ni des adeptes d’un nationalisme ethnique et encore moins des assoiffés de pouvoir. Ceux qui parlent de Lumumba en référence à un des protagonistes en Côte-d’Ivoire, font une usurpation de statut en pleine journée. Lumumba n’a jamais divisé les Congolais en Bons et mauvais Congolais. Lumumba n’a jamais refusé un résultat électoral démocratique. Lumumba n’a jamais divisé l’Afrique. Lumumba n’a jamais envoyé une armée tuer d’autres citoyens congolais ou d’autres Africains. Um Nyobè, Moumié ou Mehdi Ben Berka et j’en passe, n’ont jamais divisé le peuple africain par un discours et des pratiques xénophobes. Il faut relire leur discours et les comparer à ceux de ceux qui, aujourd’hui, portent un simple masque nationaliste.
 Les grands Africains qui ont lutté contre les colons voulaient la liberté du peuple et, ainsi, ne pouvaient tricher aux élections. Ils ont d’ailleurs été tué parce qu’on savait que si le peuple vote, ils seront vainqueurs. En Côte-d’Ivoire, ce qu’on appelle aujourd’hui nationalisme ou patriotisme par corruption des termes, est proche des fondements des idéologies fasciste et nazie en ce sens que c’est une pratique politique qui divise les Ivoiriens, qui condamne les uns et exaltent d’autres, qui prône la guerre et la haine de ce qui sont différents de nous. Il devient dès lors bizarre que d’aucuns parlent de panafricanisme en se basant sur un leadeur politique qui divise déjà sa propre population. Sont-ce les Africains encore plus divers que les Ivoiriens qu’il va rassembler ?
En dehors de la Françafrique je ne peux terminer sans signaler ce qu’on peut désormais appeler  « la Diasporafrique ». C’est à dire des réseaux aussi mafieux que la Françafrique qui se construisent entre les dictatures en place en Afrique et certaines parties des diasporas africaines en Occident qui en font la propagande et reçoivent des millions d’Euros. Ça s’appelle se mettre soi-même le corde au cou.

Un dernier mot à l’endroit des Africains et surtout à l'endroit des peuples frères de Tunisie et de Côte d’Ivoire ?

Au peuple tunisien, je dis bravo car il a montré que c’est lui le maître absolu, le détenteur du vrai pouvoir et a ainsi permis à d’autres peuples africains de prendre conscience de leur pouvoir. Je souhaite qu’un gouvernement qui mérite un tel peuple se mette en place et bâtisse un régime démocratique. En Côte-d’Ivoire, c’est plus compliqué car le peuple est divisé volontairement par des gourous pour garder le pouvoir et faire de ses partisans un bouclier humain. Je fais cependant confiance aux Ivoiriens car le peuple triomphe toujours quand les gourous politiques trépassent. Le peuple est éternel. Il reconstruira lui-même son unité dans le temps. Comme le dit le philosophe, on peut manipuler un certain temps une partie du peuple, mais on ne peut le faire tout le temps de tout le peuple. Un danger persiste dans les deux cas car ceux qui ont perdu le pouvoir sont désormais dans ce que j’appelle « une logique politique de kamikaze ». C'est-à-dire qu’ils sont prêts à tuer, à se faire tuer et faire tuer tout le monde. Finalement, les cas tunisien et ivoirien montrent  que le peuple africain sera ce qu’on le provoquera à être: soit une force révolutionnaire soit une force perdue pour la révolution. Merci et toutes mes excuses à vous et aux lecteurs si j’ai été très long.

© Camer.be : Propos recueillis par Hermann Oswald G'nowa


21/01/2011
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