SUISSE-CAMEROUN Vue du Cameroun : la Suisse, ses coffres forts et ses prostituées

La plupart des Camerounais nourrissent leurs petits clichés sur le pays alpin. Regards impressionnistes et subjectifs sur une Suisse perçue comme « la seconde patrie du président Biya ».

Yaoundé, Mohamadou Houmfa/InfoSud - « Mariées au Cameroun, prostituées en Suisse », « Un citoyen suisse raconte comment il a été "déplumé" par une Camerounaise »… Souvent friande de scandales, la presse camerounaise se délecte avec plus ou moins de rigueur journalistique des histoires et déboires de certaines compatriotes parties vendre leurs charmes au pays alpin. Et contribue ainsi à conforter l’opinion publique dans l’idée que « le racolage » se pratique facilement dans la Confédération.

« Tout ce qui concerne les Camerounais de la diaspora passionne nos lecteurs, parce qu’il impacte sur leur vie ici », analyse Alain Blaise Batonguè, directeur de publication du quotidien d’information Mutations, qui a publié un dossier sur le sujet. Car se tenir informés des conditions de vie des Camerounais de l’étranger permet à ceux restés au pays soit de mieux comprendre la situation de membres de leur famille qui leur envoient des mandats, soit de se faire une idée sur la « réalité » à laquelle risque d’être confronté leur enfant sur le point d’émigrer.

Mais en fait, ce sont surtout quelques Camerounaises elles-mêmes, davantage que la presse nationale, qui entretiennent l’image d’une Suisse qui serait un paradis pour les prostituées. A chaque pause estivale, celles que leurs compatriotes surnomment avec ironie « les Suissesses », débarquent des avions de la compagnie Swiss en affichant bijoux clinquants et vêtements de grande marque, pour s’engouffrer dans des voitures de luxe dès les portes de l’aéroport de Yaoundé franchies. « La prostitution de certaines Camerounaises en Suisse est un véritable phénomène. Ces filles rapportent des sommes tellement démesurées par rapport au niveau de vie des habitants qu’elles sont presque déifiées », remarque Alain Blaise Batonguè. Dans un pays où la pauvreté touche plus de 40% de la population, il y a de quoi largement nourrir les clichés.

Images de carte postale

Si la Suisse est aussi connue au Cameroun, c’est sans nul doute en raison des fréquentes visites du président Paul Biya. Presque « 7 mois sur 12 » ironise même Brice Nitcheu, l’un des dirigeants du Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques des Camerounais de la Diaspora (CODE), qui a manifesté son opposition à la présence « récurrente » de Biya fin septembre, devant l’hôtel Intercontinental de Genève.

Les Camerounais sont d’autant plus persuadés que Biya a fait de la Suisse sa « seconde patrie » que les informations -vérifiées ou non- abondent, enrobées dans des descriptions de carte postale. Parmi les plus marquantes pour l’opinion camerounaise, figure une hypothétique acquisition immobilière de Paul Biya « dans un coin de villégiature genevois connu pour être un paradis pour milliardaires fortunés (sic) », récemment relatée, sans preuves à l’appui, par le site internet d’information camer.be.

Une idée combattue par les autorités camerounaises, avec un succès très relatif. « Le président travaille partout où il se trouve », a rappelé le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary. Chez le quidam de Yaoundé, on croit d’ailleurs savoir que, pour certains dossiers sensibles comme les remaniements ministériels, dont il ne veut pas de fuites dans la presse, le chef de l’Etat préfère se rendre en Suisse.



La justice suisse et l’affaire Zeh Zeh

Le 8 septembre dernier, la rue camerounaise apprenait, par la voie des médias, que l’Office fédéral de la justice, attaché au Département fédéral de justice et police suisse, a signifié une fin de non-recevoir à la demande des tribunaux camerounais d’extrader Justin Zeh Zeh. Cet ancien directeur administratif du Feicom -une sorte de banque des mairies camerounaises- a été reconnu coupable, en 2008, de détournement de fonds publics par la Cour d’appel du Centre, et condamné à 10 ans de prison ferme.

« Si la Suisse refuse d’extrader M. Zeh Zeh, c’est sans doute parce qu’il a déposé de grosses sommes dans leurs coffres forts. La Suisse veut ainsi protéger l’un de ses clients et envoyer dans le même temps, un message aux autres épargnants, pour leur signifier qu’ils pourront toujours bénéficier de son soutien », tente d’expliquer Romain Roland Kouotou, un commerçant de Yaoundé. Des suppositions contredites par Etienne Thevoz, ambassadeur de Suisse au Cameroun : « C’est en application du principe de non refoulement et pour des raisons inhérentes au droit suisse, que la Confédération a refusé l’extradition de Justin Zeh Zeh à la République du Cameroun. Les autorités camerounaises conservent toutefois la possibilité de faire parvenir à la Suisse une demande de délégation de la poursuite pénale qui permettrait de juger cette personne en Suisse ».

Pour Justin Zeh Zeh cependant, qui a adressé un droit de réponse au quotidien camerounais « Le jour », « la décision de la Suisse de ne pas m’extrader intervient après deux longues années de recherches policières et judiciaires, qui ne m’ont trouvé ni argent ni biens : les Suisses connaissent mieux que quiconque ceux des Camerounais ayant déposé de l’argent dans leurs banques ». Un démenti qui ne sert pas l’image que Romain Roland Kouotou, à l’instar d’un grand nombre de Camerounais, se fait de la Confédération, « centre international de l’épargne des dirigeants africains ».

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29/10/2010
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