Succession: Laurent Esso-René Sadi, une guerre sans fin !
YAOUNDE - 18 AOUT 2010
© Dominique Mbassi & Parfait N. Siki | Repères
Positionnement stratégique, joutes médiatiques, destruction de l'autre et autres manœuvres souterraines dévoilent les ambitions réelles suscitées dans l'entourage présidentiel par la perspective d'une dévolution du pouvoir suprême.
«Repères», dans cette enquête, décrypte la guerre sans merci entre deux proches collaborateurs du chef de l'Etat.
A ses débuts, elle était surtout idéologique et psychologique. Mais aussi, la guerre se livre dans un champ mystico magique. Il y a un peu plus de deux mois, un matin, les collaborateurs de M. René Sadi découvrent des fétiches dans son bureau du palais des Congrès dé Yaoundé, où il officie comme secrétaire général du comité central du Rdpc. Dans un premier temps, l'entourage du patron de l'administration du parti au pouvoir veut lier cet acte à l'adversité qu'il affronte au siège du parti au pouvoir.
Mais le même jour, une autre alerte venant de la présidence de la République fait état de ce que, la même nuit, des gris-gris ont également été déposés dans son bureau du palais de l'Unité. L'action semble donc avoir été bien coordonnée, car les poseurs de gris-gris n'ignorent pas que M. Sadi se trouve dans la suite du président de la République alors en séjour hors du Cameroun.
L'acte est suffisamment pris au sérieux au sommet de l'Etat, à telle enseigne qu'une délégation d'hommes d'église est dépêchée du Vatican pour venir «déminer» les deux bureaux. Même si la source qui rapporte l'information se garde de préciser si cette initiative émane de M. Paul Biya dès qu'il en a été informé ou de M. Sadi lui-même. Une autre source parle par ailleurs d'une séance de purification des bureaux organisée par des détenteurs du pouvoir traditionnel sur l'instigation de la cible des féticheurs.
Aussi bien au sommet du mont Nkolnyada, siège du Rdpc, qu'à la présidence de la République, des observateurs avisés établissent finalement une passerelle entre cette histoire de gris-gris et la guerre froide mais sans merci que se livrent MM. René Sadi et Laurent Esso, secrétaire général de la présidence de la République. Elle est sans affrontement directe, mais s'exprime par l'intermédiaire de partisans déclarés ou prêtés.
La guerre des partisans fait surtout rage dans les journaux, où deux pôles de querelle s'affrontent.
D'un côte, M. Jean-Pierre Amougou Belinga, propriétaire du groupe «L'Anecdote» qui rassemble l'hebdomadaire éponyme, une radio urbaine du nom de Satellite FM et la chaîne de télévision Vision 4. Sa fidélité à M. Laurent Esso, qui lui a permis de gagner de juteux marchés publics aussi bien au secrétariat général de la présidence de la République que dans d'autres administrations publiques pour bâtir «son empire médiatique», est de notoriété publique. Depuis quelques mois, pas une édition de «L'Anecdote» qui ne consacre sa une à M. Sadi.
Florilège. «Inertie, Rdpc: la réforme en panne. Le Sg semble plus préoccupé par son avenir», édition du 26 juillet 2010. «Un membre du gouvernement met à nu les carences de Sadi». Le chapeau qui accompagne ce grand titre du lundi 9 août précise: «Dans un pamphlet adressé au président national, le camarade originaire du septentrion, par ailleurs membre du bureau politique, dénonce les dérives managériales de la direction administrative du parti qui garantissent au Rdpc un échec cuisant lors des échéances électorales à venir». L'article, faisant référence notamment au Sg du comité central, parle de «parricides et fratricides qui le dirigent».
Revenant sur cette sortie dans son édition du 17 août 2010, «L'œil du Sahel» identifie le ministre d'Etat Marafa Hamidou Yaya, unique membre du gouvernement en fonction originaire du Grand-Nord qui siège au bureau politique du Rdpc, comme potentiel auteur du prétendu pamphlet.
Seulement, d'après l'enquête de «L'œil du Sahel», il est invraisemblable que M. Marafa ait pris une telle initiative pour le moins risquée. Car, confie son entourage, pour avoir été au cœur du système, il connait ses méthodes. Un ancien ministre du Nord a appris à ses dépens en adressant au chef de l'Etat cinq correspondances guère favorables au ministre d'Etat. Il les recevra presque toutes par les bons soins de M. Biya.
Sans se lasser, «L'Anecdote» est revenu à la charge dans son édition du 17 août 2010 à travers le titre «Des émissaires de Sadi pour acheter Amougou Belinga». En page intérieure, le rédacteur de l'article, sans donner aucun nom ni plus de détails, se contente de préciser que cette «attitude (...) trahit à n'en point douter le comportement mesquin et déviant du secrétaire général du Rdpc dont les casseroles se comptent à la pelle, du moins, les fresques d'un secrétaire général aux abois».
De l'autre, M. Charles Ateba Eyené, délégué à la presse et à la communication au bureau national de l'Organisation des jeunes du Rdpc depuis 14 ans, qui ne fait pas mystère de sa proximité avec M. Sadi. Notamment à travers des répliques épicées à M. Amougou Belinga très prisées par l'hebdomadaire «La Nouvelle». «Remarquez bien que ce sont eux qui attaquent toujours. Nous ne faisons que réagir à leurs attaques très souvent infondées», observe-t-il. «Les détracteurs du ministre Sadi se sont rendu compte qu'il ne traîne pas de casseroles et ont opté de s'attaquer à sa gestion du parti en inventant par exemple il y a quelques jours un pamphlet contre le secrétaire général adressé au président national du Rdpc par un membre du gouvernement en fonction et membre du bureau politique originaire du Grand- Nord
S'il prend fait et cause pour M. Sadi, M. Ateba Eyené tient cependant à relativiser sa position. «Je sers la République. Mes convictions ne me permettent pas d'être l'homme de quelqu'un. L'une des rares fois que le ministre René Sadi m'a reçu, c'était pour me demander pourquoi j'étais devenu rare au comité central alors que je suis délégué à la presse et à la communication au bureau national de l'Ojrdpc et présentateur à la télévision des émissions du Rdpc depuis 1997. Je lui ai répondu que j'ai pris du recul parce que le Rdpc a épousé la logique des camps alors que je ne suis pas un homme de camp. C'est alors qu'il m'a demandé si j'étais prêt à travailler si j'étais sollicité. J'ai beaucoup apprécié cette approche qui m'a remis en confiance».
Il confesse avoir auparavant été reçu, à deux reprises, par M. Laurent Esso, du temps où il était ministre des Relations extérieures, qui avait insisté pour que ces rencontres restent secrètes. «Il m'a fait savoir qu'il appréciait des jeunes comme moi, surtout la pertinence de mes propos dans les débats médiatiques. J'ai perçu qu'il voulait faire de moi un membre de son réseau. Je vais d'autant plus avoir cette conviction quand M. Amougou Belinga va, dans son bureau de sa chaîne de télévision « Vision 4 », et en présence du Pr. Pius Ottou, me répercuter l'inquiétude de M. Laurent Esso quant à savoir si je ne suis pas l'homme de Sadi». Pour le camp d'en face, il ne s'agit-là que de «fantasmes d'un aigri doublé d'un jaloux»
A en juger par la détermination et l'acharnement des différents protagonistes, ces joutes médiatiques ne semblent pas prêtes de connaître leur fin. Selon une source à la présidence de la République, M. Sadi vit très mal ces attaques dont il est l'objet dans les médias. Il aurait aimé réagir, mais sa longue collaboration avec M. Biya lui a enseigné le stoïcisme.
Elles ne datent pas d'aujourd’hui. Dans un article publié dans l'édition de «Repères» du 10 octobre 2007, Richard Touna, journaliste très introduit aujourd'hui de regrettée mémoire, parlait déjà de ces «batailles invisibles pour le pouvoir». Un pouvoir qui, sous un certain prisme, se confond avec compétences. «Au terme du gouvernement du 30 juin 2009, René Sadi a quitté son fauteuil de secrétaire général adjoint pour devenir simple ministre chargé de missions. Il a échappé à certains que le Président l'a stratégiquement soustrait de la tutelle hiérarchique du secrétaire général pour le positionner aujourd'hui comme le véritable secrétaire général, du moins pour ce qui concerne les dossiers importants et sensibles qui partent de la table de M. Esso pour atterrir sur celle de M. Sadi après un bref séjour dans le bureau du Président», confie-t-on dans l'entourage présidentiel.
Par ce stratagème, explicite une autre source, la tâche de M. Sadi consiste à s'assurer que le traitement appliqué à ces dossiers par le secrétaire général de la présidence de la République épouse les attentes et la vision du chef de l'Etat. Un choix, poursuit-il, guidé par quelques actes pris par M. Laurent Esso ne cadrant pas avec les instructions présidentielles.
Bien qu'un autre responsable soutienne que «le ministre d'Etat s'est toujours contenté de servir loyalement le chef de l'Etat, sans calcul ni visée personnelle. Certains lui reprochent même au contraire de toujours attendre les instructions du patron et de ne pas prendre d'initiatives».
Or, de sa position administrative, le secrétaire général est bien au fait de toute cette manœuvre et, surtout, comme en règle générale pour tout occupant de cette fonction, sait interpréter les signes du temps. Il n'a pas perdu de vue que M. Sadi, fidèle collaborateur de longue date, bénéficiaire en ce moment de l'entière confiance du chef de l'Etat, est expression de cette affection, de tous les voyages présidentiels, même les plus réservés.
Du coup, il apparait comme un concurrent sérieux pour le pouvoir suprême auquel fait davantage référence l'article sus-évoqué. «L'Anecdote» le désigne d'ailleurs par le vocable «dauphin naturel» qui, selon l'hebdomadaire «L'œil du Sahel» dans sa livraison du 2 août 2010, "sera un excellent trait d'union entre le grand Sud et le grand Nord si d'aventure le président national le recommande à ses camarades du Rdpc".
De l'avis de Richard Touna dans l'article cité plus haut, «le positionnement de René Sadi auprès du chef de l'Etat donne des insomnies à Laurent Esso». Le fondateur de «Repères» écrivait alors que, dans une quête de pénétration des milieux sarkozystes, «le ministre d'Etat, secrétaire général de la présidence de la République, présenté comme nouveau chef de file de la Rose Croix, s'y emploie discrètement, fort de sa position institutionnelle. Ses contacts réguliers avec le secrétaire général de l'Elysée, M. Claude Guéant, alimente la chronique sur son repositionnement stratégique auprès des maîtres français».
Analysant les chances réelles de l'un et de l'autre en cas de dévolution du pouvoir, un ancien ministre originaire du grand-Nord et président d'un parti politique cité par «L'œil du Sahel», parlant de M. Esso, rappelle que «s'il a un atout, c'est l'atout administratif Or (...) vous parlez de politique et il n'est pas membre du bureau politique. Si le Rdpc devait parler succession, il ne sera même pas aux portes pour écouter». C'est peut-être pour cette raison, coupe un autre observateur de la scène politique, qu'il aurait intérêt à déstabiliser un présomptif candidat jugé plus sérieux. Il invoque à ce sujet le poisson d'avril annonçant la candidature de M. Sadi à la présidentielle de 2011, qui demeure pourtant un simple poisson d'avril pour le quotidien privé «Mutations». Et se laisse convaincre que le fait pour M. Laurent Esso d'avoir désigné trois fois M. René Sadi «Monsieur le président» au cours d'un meeting tenu le 21 avril 2010 à Douala était un lapsus...volontaire.
Dominique Mbassi
Par leur nature et leur parcours, MM. René Sadi et Laurent Esso auraient dû passer les week-ends ensemble. Le second supporte mal la force tranquille du premier.
Il y a en effet de nombreux points de similitudes entre MM. René Sadi et Laurent Esso, en plus de ce qu'ils sont chacun secrétaire général, l'un du comité central du Rdpc et l'autre de la présidence de la République. Avant d'être portés à ces deux fonctions, personne ne leur aurait prédit une place honorable dans la liste des successeurs possibles du président Paul Biya. L'un dans la diplomatie et l'autre dans l'administration judiciaire, ils ont creusé leur sillon et construit une trajectoire qui les a très peu exposes aux jeux de massacre consubstantiels au pouvoir. Aucune casserole en effet, du genre qui attire par leur résonance assourdissante l'Epervier. Plutôt un visage bourru -et une réputation de froideur- au premier abord, dont leurs proches respectifs rigolent tant ils sont chaleureux en privé. En tout cas, ils parlent peu. Pas un mot de M. Laurent Esso au sujet de l'affaire Bibi Ngota, où il a été indexé comme le commanditaire du destin funeste de ce journaliste mort en prison, et silence radio chez M. René Sadi pendant toute la polémique relative au poisson d'Avril, qui a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle en 2011.
Présentés comme deux victimes de la course à la succession de M. Paul Biya, en 2011 ou après, les deux personnalités ont passé des moments de polémique difficiles. Parce qu'ils ont trop le profil idéal. Issu de l'ethnie minoritaire Sawa, fils d'une ville d'une capitale économique que les Douala ne contrôlent plus, M. Laurent Esso est un choix intéressant, à équidistance entre le Grand-Nord qui ne bouderait pas de reprendre «sa chose» et le Sud qui veut la conserver. Manque de pot, René Sadi a le même profil. Bien que né à Maroua, il est originaire de Yoko, dans le Mbam-et-Kim. Il est donc du Centre sans être Béti, le plus grand groupe du Sud-Cameroun. M. Paul Biya peut en faire la troisième voie, celle qui quitte l'aire béti sans atteindre le Nord.
S'ils sont si similaires, MM. René Sadi et Laurent Esso sont-ils proches ? Rien ne permet de le dire. Se détestent-ils ? Rien dans leurs attitudes publiques n'étaye une éventuelle inimitié. Dans leur proximité avec le chef de l'Etat, les deux hommes ont cultivé chacun sa différence. Même si M. Laurent Esso est le principal collaborateur du Président, on ne lui sent pas d'affinités outre mesure avec M. Paul Biya. Homme des dossiers, qui ne parle, n'accorde presque pas d'interview, ne dit jamais ce qu'il pense, apparemment coupé du peuple, M. Laurent Esso n'a de cote intéressante que par sa fonction actuelle, dont chacun sait qu'elle en a brisé plus d'un. A vrai dire, en dehors de ce que sa carrière et la géographie de la naissance lui ont donné, le Sgpr n'est pas un candidat de poids à la succession. Il est même certain que lui-même n'y croit pas, dans ses moments de lucidité.
M. René Sadi affiche une relation aussi originale qu'inédite avec le Président. Au-delà de le prendre sous son aile et de l'associer à la quasi-totalité de ses activités majeures, M. Paul Biya lui a remis les clefs de «son» parti, le Rdpc. C'est au sein de cet appareil que se dénouera la succession, et. M. René Sadi en tient les rênes compte tenu de la désuétude du bureau politique et des autres organes centraux. Au contact de la réalité politique, bien différente de celle de la diplomatie, le secrétaire général du comité central s'est transformé en tribun, en négociateur, en manœuvrier, bref en politique. Il est peut-être tôt de dire... en successeur.
Parfait N. Siki
© Dominique Mbassi & Parfait N. Siki | Repères
Positionnement stratégique, joutes médiatiques, destruction de l'autre et autres manœuvres souterraines dévoilent les ambitions réelles suscitées dans l'entourage présidentiel par la perspective d'une dévolution du pouvoir suprême.
«Repères», dans cette enquête, décrypte la guerre sans merci entre deux proches collaborateurs du chef de l'Etat.
1.- La bataille mystico-magique
A ses débuts, elle était surtout idéologique et psychologique. Mais aussi, la guerre se livre dans un champ mystico magique. Il y a un peu plus de deux mois, un matin, les collaborateurs de M. René Sadi découvrent des fétiches dans son bureau du palais des Congrès dé Yaoundé, où il officie comme secrétaire général du comité central du Rdpc. Dans un premier temps, l'entourage du patron de l'administration du parti au pouvoir veut lier cet acte à l'adversité qu'il affronte au siège du parti au pouvoir.
Mais le même jour, une autre alerte venant de la présidence de la République fait état de ce que, la même nuit, des gris-gris ont également été déposés dans son bureau du palais de l'Unité. L'action semble donc avoir été bien coordonnée, car les poseurs de gris-gris n'ignorent pas que M. Sadi se trouve dans la suite du président de la République alors en séjour hors du Cameroun.
L'acte est suffisamment pris au sérieux au sommet de l'Etat, à telle enseigne qu'une délégation d'hommes d'église est dépêchée du Vatican pour venir «déminer» les deux bureaux. Même si la source qui rapporte l'information se garde de préciser si cette initiative émane de M. Paul Biya dès qu'il en a été informé ou de M. Sadi lui-même. Une autre source parle par ailleurs d'une séance de purification des bureaux organisée par des détenteurs du pouvoir traditionnel sur l'instigation de la cible des féticheurs.
Aussi bien au sommet du mont Nkolnyada, siège du Rdpc, qu'à la présidence de la République, des observateurs avisés établissent finalement une passerelle entre cette histoire de gris-gris et la guerre froide mais sans merci que se livrent MM. René Sadi et Laurent Esso, secrétaire général de la présidence de la République. Elle est sans affrontement directe, mais s'exprime par l'intermédiaire de partisans déclarés ou prêtés.
2.- Les joutes médiatiques
La guerre des partisans fait surtout rage dans les journaux, où deux pôles de querelle s'affrontent.
D'un côte, M. Jean-Pierre Amougou Belinga, propriétaire du groupe «L'Anecdote» qui rassemble l'hebdomadaire éponyme, une radio urbaine du nom de Satellite FM et la chaîne de télévision Vision 4. Sa fidélité à M. Laurent Esso, qui lui a permis de gagner de juteux marchés publics aussi bien au secrétariat général de la présidence de la République que dans d'autres administrations publiques pour bâtir «son empire médiatique», est de notoriété publique. Depuis quelques mois, pas une édition de «L'Anecdote» qui ne consacre sa une à M. Sadi.
Florilège. «Inertie, Rdpc: la réforme en panne. Le Sg semble plus préoccupé par son avenir», édition du 26 juillet 2010. «Un membre du gouvernement met à nu les carences de Sadi». Le chapeau qui accompagne ce grand titre du lundi 9 août précise: «Dans un pamphlet adressé au président national, le camarade originaire du septentrion, par ailleurs membre du bureau politique, dénonce les dérives managériales de la direction administrative du parti qui garantissent au Rdpc un échec cuisant lors des échéances électorales à venir». L'article, faisant référence notamment au Sg du comité central, parle de «parricides et fratricides qui le dirigent».
Revenant sur cette sortie dans son édition du 17 août 2010, «L'œil du Sahel» identifie le ministre d'Etat Marafa Hamidou Yaya, unique membre du gouvernement en fonction originaire du Grand-Nord qui siège au bureau politique du Rdpc, comme potentiel auteur du prétendu pamphlet.
Seulement, d'après l'enquête de «L'œil du Sahel», il est invraisemblable que M. Marafa ait pris une telle initiative pour le moins risquée. Car, confie son entourage, pour avoir été au cœur du système, il connait ses méthodes. Un ancien ministre du Nord a appris à ses dépens en adressant au chef de l'Etat cinq correspondances guère favorables au ministre d'Etat. Il les recevra presque toutes par les bons soins de M. Biya.
Sans se lasser, «L'Anecdote» est revenu à la charge dans son édition du 17 août 2010 à travers le titre «Des émissaires de Sadi pour acheter Amougou Belinga». En page intérieure, le rédacteur de l'article, sans donner aucun nom ni plus de détails, se contente de préciser que cette «attitude (...) trahit à n'en point douter le comportement mesquin et déviant du secrétaire général du Rdpc dont les casseroles se comptent à la pelle, du moins, les fresques d'un secrétaire général aux abois».
De l'autre, M. Charles Ateba Eyené, délégué à la presse et à la communication au bureau national de l'Organisation des jeunes du Rdpc depuis 14 ans, qui ne fait pas mystère de sa proximité avec M. Sadi. Notamment à travers des répliques épicées à M. Amougou Belinga très prisées par l'hebdomadaire «La Nouvelle». «Remarquez bien que ce sont eux qui attaquent toujours. Nous ne faisons que réagir à leurs attaques très souvent infondées», observe-t-il. «Les détracteurs du ministre Sadi se sont rendu compte qu'il ne traîne pas de casseroles et ont opté de s'attaquer à sa gestion du parti en inventant par exemple il y a quelques jours un pamphlet contre le secrétaire général adressé au président national du Rdpc par un membre du gouvernement en fonction et membre du bureau politique originaire du Grand- Nord
S'il prend fait et cause pour M. Sadi, M. Ateba Eyené tient cependant à relativiser sa position. «Je sers la République. Mes convictions ne me permettent pas d'être l'homme de quelqu'un. L'une des rares fois que le ministre René Sadi m'a reçu, c'était pour me demander pourquoi j'étais devenu rare au comité central alors que je suis délégué à la presse et à la communication au bureau national de l'Ojrdpc et présentateur à la télévision des émissions du Rdpc depuis 1997. Je lui ai répondu que j'ai pris du recul parce que le Rdpc a épousé la logique des camps alors que je ne suis pas un homme de camp. C'est alors qu'il m'a demandé si j'étais prêt à travailler si j'étais sollicité. J'ai beaucoup apprécié cette approche qui m'a remis en confiance».
Il confesse avoir auparavant été reçu, à deux reprises, par M. Laurent Esso, du temps où il était ministre des Relations extérieures, qui avait insisté pour que ces rencontres restent secrètes. «Il m'a fait savoir qu'il appréciait des jeunes comme moi, surtout la pertinence de mes propos dans les débats médiatiques. J'ai perçu qu'il voulait faire de moi un membre de son réseau. Je vais d'autant plus avoir cette conviction quand M. Amougou Belinga va, dans son bureau de sa chaîne de télévision « Vision 4 », et en présence du Pr. Pius Ottou, me répercuter l'inquiétude de M. Laurent Esso quant à savoir si je ne suis pas l'homme de Sadi». Pour le camp d'en face, il ne s'agit-là que de «fantasmes d'un aigri doublé d'un jaloux»
A en juger par la détermination et l'acharnement des différents protagonistes, ces joutes médiatiques ne semblent pas prêtes de connaître leur fin. Selon une source à la présidence de la République, M. Sadi vit très mal ces attaques dont il est l'objet dans les médias. Il aurait aimé réagir, mais sa longue collaboration avec M. Biya lui a enseigné le stoïcisme.
3.- Les ressorts cachés
Elles ne datent pas d'aujourd’hui. Dans un article publié dans l'édition de «Repères» du 10 octobre 2007, Richard Touna, journaliste très introduit aujourd'hui de regrettée mémoire, parlait déjà de ces «batailles invisibles pour le pouvoir». Un pouvoir qui, sous un certain prisme, se confond avec compétences. «Au terme du gouvernement du 30 juin 2009, René Sadi a quitté son fauteuil de secrétaire général adjoint pour devenir simple ministre chargé de missions. Il a échappé à certains que le Président l'a stratégiquement soustrait de la tutelle hiérarchique du secrétaire général pour le positionner aujourd'hui comme le véritable secrétaire général, du moins pour ce qui concerne les dossiers importants et sensibles qui partent de la table de M. Esso pour atterrir sur celle de M. Sadi après un bref séjour dans le bureau du Président», confie-t-on dans l'entourage présidentiel.
Par ce stratagème, explicite une autre source, la tâche de M. Sadi consiste à s'assurer que le traitement appliqué à ces dossiers par le secrétaire général de la présidence de la République épouse les attentes et la vision du chef de l'Etat. Un choix, poursuit-il, guidé par quelques actes pris par M. Laurent Esso ne cadrant pas avec les instructions présidentielles.
Bien qu'un autre responsable soutienne que «le ministre d'Etat s'est toujours contenté de servir loyalement le chef de l'Etat, sans calcul ni visée personnelle. Certains lui reprochent même au contraire de toujours attendre les instructions du patron et de ne pas prendre d'initiatives».
Or, de sa position administrative, le secrétaire général est bien au fait de toute cette manœuvre et, surtout, comme en règle générale pour tout occupant de cette fonction, sait interpréter les signes du temps. Il n'a pas perdu de vue que M. Sadi, fidèle collaborateur de longue date, bénéficiaire en ce moment de l'entière confiance du chef de l'Etat, est expression de cette affection, de tous les voyages présidentiels, même les plus réservés.
Du coup, il apparait comme un concurrent sérieux pour le pouvoir suprême auquel fait davantage référence l'article sus-évoqué. «L'Anecdote» le désigne d'ailleurs par le vocable «dauphin naturel» qui, selon l'hebdomadaire «L'œil du Sahel» dans sa livraison du 2 août 2010, "sera un excellent trait d'union entre le grand Sud et le grand Nord si d'aventure le président national le recommande à ses camarades du Rdpc".
De l'avis de Richard Touna dans l'article cité plus haut, «le positionnement de René Sadi auprès du chef de l'Etat donne des insomnies à Laurent Esso». Le fondateur de «Repères» écrivait alors que, dans une quête de pénétration des milieux sarkozystes, «le ministre d'Etat, secrétaire général de la présidence de la République, présenté comme nouveau chef de file de la Rose Croix, s'y emploie discrètement, fort de sa position institutionnelle. Ses contacts réguliers avec le secrétaire général de l'Elysée, M. Claude Guéant, alimente la chronique sur son repositionnement stratégique auprès des maîtres français».
Analysant les chances réelles de l'un et de l'autre en cas de dévolution du pouvoir, un ancien ministre originaire du grand-Nord et président d'un parti politique cité par «L'œil du Sahel», parlant de M. Esso, rappelle que «s'il a un atout, c'est l'atout administratif Or (...) vous parlez de politique et il n'est pas membre du bureau politique. Si le Rdpc devait parler succession, il ne sera même pas aux portes pour écouter». C'est peut-être pour cette raison, coupe un autre observateur de la scène politique, qu'il aurait intérêt à déstabiliser un présomptif candidat jugé plus sérieux. Il invoque à ce sujet le poisson d'avril annonçant la candidature de M. Sadi à la présidentielle de 2011, qui demeure pourtant un simple poisson d'avril pour le quotidien privé «Mutations». Et se laisse convaincre que le fait pour M. Laurent Esso d'avoir désigné trois fois M. René Sadi «Monsieur le président» au cours d'un meeting tenu le 21 avril 2010 à Douala était un lapsus...volontaire.
Dominique Mbassi
TRAJECTOIRE: Deux hommes de profil
Par leur nature et leur parcours, MM. René Sadi et Laurent Esso auraient dû passer les week-ends ensemble. Le second supporte mal la force tranquille du premier.
Il y a en effet de nombreux points de similitudes entre MM. René Sadi et Laurent Esso, en plus de ce qu'ils sont chacun secrétaire général, l'un du comité central du Rdpc et l'autre de la présidence de la République. Avant d'être portés à ces deux fonctions, personne ne leur aurait prédit une place honorable dans la liste des successeurs possibles du président Paul Biya. L'un dans la diplomatie et l'autre dans l'administration judiciaire, ils ont creusé leur sillon et construit une trajectoire qui les a très peu exposes aux jeux de massacre consubstantiels au pouvoir. Aucune casserole en effet, du genre qui attire par leur résonance assourdissante l'Epervier. Plutôt un visage bourru -et une réputation de froideur- au premier abord, dont leurs proches respectifs rigolent tant ils sont chaleureux en privé. En tout cas, ils parlent peu. Pas un mot de M. Laurent Esso au sujet de l'affaire Bibi Ngota, où il a été indexé comme le commanditaire du destin funeste de ce journaliste mort en prison, et silence radio chez M. René Sadi pendant toute la polémique relative au poisson d'Avril, qui a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle en 2011.
Présentés comme deux victimes de la course à la succession de M. Paul Biya, en 2011 ou après, les deux personnalités ont passé des moments de polémique difficiles. Parce qu'ils ont trop le profil idéal. Issu de l'ethnie minoritaire Sawa, fils d'une ville d'une capitale économique que les Douala ne contrôlent plus, M. Laurent Esso est un choix intéressant, à équidistance entre le Grand-Nord qui ne bouderait pas de reprendre «sa chose» et le Sud qui veut la conserver. Manque de pot, René Sadi a le même profil. Bien que né à Maroua, il est originaire de Yoko, dans le Mbam-et-Kim. Il est donc du Centre sans être Béti, le plus grand groupe du Sud-Cameroun. M. Paul Biya peut en faire la troisième voie, celle qui quitte l'aire béti sans atteindre le Nord.
S'ils sont si similaires, MM. René Sadi et Laurent Esso sont-ils proches ? Rien ne permet de le dire. Se détestent-ils ? Rien dans leurs attitudes publiques n'étaye une éventuelle inimitié. Dans leur proximité avec le chef de l'Etat, les deux hommes ont cultivé chacun sa différence. Même si M. Laurent Esso est le principal collaborateur du Président, on ne lui sent pas d'affinités outre mesure avec M. Paul Biya. Homme des dossiers, qui ne parle, n'accorde presque pas d'interview, ne dit jamais ce qu'il pense, apparemment coupé du peuple, M. Laurent Esso n'a de cote intéressante que par sa fonction actuelle, dont chacun sait qu'elle en a brisé plus d'un. A vrai dire, en dehors de ce que sa carrière et la géographie de la naissance lui ont donné, le Sgpr n'est pas un candidat de poids à la succession. Il est même certain que lui-même n'y croit pas, dans ses moments de lucidité.
M. René Sadi affiche une relation aussi originale qu'inédite avec le Président. Au-delà de le prendre sous son aile et de l'associer à la quasi-totalité de ses activités majeures, M. Paul Biya lui a remis les clefs de «son» parti, le Rdpc. C'est au sein de cet appareil que se dénouera la succession, et. M. René Sadi en tient les rênes compte tenu de la désuétude du bureau politique et des autres organes centraux. Au contact de la réalité politique, bien différente de celle de la diplomatie, le secrétaire général du comité central s'est transformé en tribun, en négociateur, en manœuvrier, bref en politique. Il est peut-être tôt de dire... en successeur.
Parfait N. Siki