Michel Michaut Moussala
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YAOUNDE - 24 AOUT 2010
© MICHEL MICHAUT MOUSSALA | Aurore Plus
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Une
session extraordinaire de l'Assemblée nationale pourrait se tenir dans
les prochains jours à l’effet de réintroduire ce poste qui existait déjà
dans la constitution de type fédéral du 1er septembre 1961 et qui avait
été supprimée dans celle, unitaire, du 2 juin 1972. La question
centrale est de savoir la région qui occupera ce poste et les pouvoirs
de son détenteur |
De
sources dignes de foi, le Cameroun va vivre dans les jours à venir une
révision de l'actuelle constitution, incomplète, qui date de 1996 avec
la réinstauration du poste de vice-président de la République. Pour bien
comprendre ce qui va se passer et qui a tout l'air d'un séisme
politique majeur, il faut remonter aux années 1960.
Le 1er janvier 1960, Ahmadou Ahidjo, Premier ministre et chef du gouvernement proclame l'indépendance du Cameroun sous tutelle française. Il soumet aussitôt «un
projet de constitution à une commission ad hoc de 42 membres désignés
pour une moitié par le gouvernement au sein de l'Assemblée législative
et pour l'autre parmi les chefs des partis politiques, les
syndicalistes, les chefs religieux et les notabilités traditionnelles».
Le 21 février 1960, un référendum constitutionnel se déroule sur
l'ensemble du territoire de l'ancien Cameroun sous tutelle française
devenue désormais indépendante. Sur les 1.771.969 électeurs inscrits,
1.338.178 iront voter soit un taux de 75%. Le Nord, qui comprenait alors
les trois régions actuelles de l'Adamaoua, de l'Extrême Nord et du Nord
vote massivement pour cette constitution alors que le Sud la rejette, à
l'exception du département du Ntem qui s'aligne derrière le Nord. Cette
constitution adoptée le 21 février 1960, est promulguée quelques jours
plus tard, le 4 mars. Le président de la République dans cette
constitution n'est pas élu au suffrage universel direct mais par un
collège électoral comprenant les membres de l'Assemblée nationale, les
membres des conseils généraux des provinces, les délégués des assemblées
municipales. Entre autres pouvoirs, il nommait et révoquait le Premier
ministre et les autres membres du gouvernement et mettait fin à leurs
fonctions. Ahmadou Ahidjo
veut aller vite en organisant des
élections générales le 10 avril 1960, mais il y a de l'électricité dans
l'air, l'Upc (l'Union des populations du Cameroun) a été interdite par
les Français. Afin de détendre l'atmosphère, Ahidjo signe le 25 février
1960, le décret abolissant le décret français du 13 juillet 1955
frappant d'interdiction le parti nationaliste, rétablissant ainsi que
ses organes annexes (des jeunes et des femmes) dans ses droits. Sur les
1.940.438 inscrits, 1.349.739 iront voter soit un taux de 70%. Le Nord
du Cameroun et le département bamoun obtiennent 44 sièges pour le groupe
de l'Union camerounaise (Uc) d'Ahmadou Ahidjo. Avec les voix venant du
Sud-Est du pays (7) et d'un indépendant, l'Uc atteint un capital de 52
députés dans une assemblée nationale qui en a 99. Le groupe du Front
populaire en a 18, les démocrates camerounais, 11, le groupe de l'Upc en
a 8, tandis que les progressistes du Cameroun en rassemblent également 8
et le groupe des non-inscrits, 2.
Grâce à ses alliés que sont le Front populaire pour l'unité et la
paix et les progressistes, Ahmadou Ahidjo se retrouve avec une majorité
confortable à l'Assemblée nationale de 78 députés tandis que les partis
de l'opposition n'en rassemblent que 21. Le 5 mai 1960, il réunit sur
son nom 89 députés sur 99 et devient ainsi le premier président de la
République du Cameroun. Il prêtera serment deux jours plus tard, le 9
mai devant les députés.
Ce rappel était nécessaire pour comprendre ce qui va suivre. Ici,
Ahmadou Ahidjo fonctionne dans un cadre purement francophone et il a un
Premier ministre boulou en la personne de Charles Assalé mais les
choses vont changer avec la réunification survenue le 1er octobre 1961
avec l'ancien Cameroun sous tutelle britannique que sont aujourd'hui les
régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cette réunification
est le résultat, le fruit d'intenses et longues négociations avec le Dr. John Ngu Foncha,
le leader du Kamerun National Democratic Party (Kndp), et Ahmadou
Ahidjo. Un mois avant la réunification du 1er octobre 1961, il a fallu
mettre les choses au clair, c'est-à-dire mettre en place une
constitution tenant compte des intérêts des deux parties: le Cameroun
oriental francophone et le Cameroun occidental anglophone. Ou si l'on
veut une République fédérale formée de deux Etats: l'Etat fédéré du
Cameroun oriental (La République du Cameroun) et l'Etat fédéré du
Cameroun Occidental (Le Cameroun méridional sous tutelle britannique).
La base de travail est la constitution du Cameroun (oriental) du 4
mars 1960 qui sera amendée et adoptée par l'Assemblée nationale de la
République du Cameroun lors d'une session extraordinaire tenue du 10 au
14 août 1961 à Yaoundé. Pour que cette constitution soit valide, elle
sera approuvée par la chambre des élus du Cameroun méridional sous
tutelle britannique. Le résultat: c'est le texte promulgué le 1er
septembre 1961 comme constitution de la République fédérale du Cameroun.
Cette date est très importante: la constitution de la République
fédérale du Cameroun est née avant la Réunification entre les Cameroun
francophone et anglophone survenue un mois plus tard, le 1er octobre
1961.
Le partage du pouvoir
Que dit cette constitution fédérale ? De prime abord, on constate que le poste de Premier ministre a disparu: «le
pouvoir exécutif était exercé par le président de la République
fédérale, chef de l'Etat fédéral, assisté d'un vice-président qui ne
pouvait être originaire du même Etat fédéré que lui. Le président de la
République fédérale et vice-président étaient élus pour cinq ans sur une
même liste au suffrage universel direct et secret. Ils étaient
rééligibles. Le président de la République nommait et révoquait les
ministres et ministres adjoints...» Quand le premier gouvernement de
la République est formé le 20 octobre 1961, il comprend 1 ministre
d'Etat francophone, 7 ministres francophones, 1 ministre anglophone, 1
ministre adjoint francophone et 2 ministres adjoint anglophones. Au
sommet de l'exécutif trônent Ahmadou Ahidjo comme président de la
République et l'ancien Premier ministre du Cameroun méridional sous
tutelle britannique, John Ngu Foncha, comme vice-président de la
République fédérale.
Pour éviter toute confusion, il convient de signaler que c'est le
régime présidentiel qui prévalait au niveau de l'Etat fédéral tandis que
c'est le régime parlementaire qui était en vigueur dans les deux Etats
fédérés du Cameroun oriental et du Cameroun occidental. Au Cameroun
oriental, il y avait un gouvernement à la tête duquel un Premier
ministre et des secrétaires d'Etat qui formaient le conseil de cabinet.
Le Conseil de cabinet est encore en vigueur sous Paul Biya. Le
gouvernement du Cameroun occidental fonctionnait sur la même base, son
Premier ministre était nommé par le président de la République fédérale,
il avait sous lui 7 à 11 secrétaires d'Etat qui pouvaient porter le nom
de ministres. Ce Premier ministre était chef du gouvernement et les
secrétaires d'Etat formaient le «Conseil exécutif».
Ahmadou Ahidjo ne se sent pas à l'aise dans le fédéralisme ni dans
le multipartisme. Par divers subterfuges et par la force, la contrainte
voilée sous le terme de négociations, il va réussir à casser tous les
autres partis politiques, tant anglophones que francophones. Et le 1er
septembre 1966 voit la naissance du parti unique tant rêvé qu'est
l'union nationale camerounaise. Ahidjo ne va pas s'arrêter là. Le rêve
qu'il caresse depuis longtemps est de supprimer l'Etat fédéral du
Cameroun. Et il va réussir son coup lors du référendum constitutionnel
du 20 mai 1972. Promulguée le 2 juin 1972, cette constitution désavouée
par John Ngu Foncha qui se sent trahi et par une grande majorité de
Camerounais anglophones institue un Etat unitaire à caractère
biculturel. Inutile de dire ici que cette constitution instaure comme un
régime présidentiel fort comme celle de la constitution du 1er
septembre 1961, tout comme celle du 5 mars 1960, même si pour les
laudateurs d'Ahidjo de l'époque qui qualifiaient cette dernière dé
semi-présidentiel pour la comparer à celle française du 4 octobre 1958.
Cette constitution du 2 juin 1972 fait du président de la République
le centre de toute décision politique, le gouvernement étant relégué à
un rôle de figurant, d'exécution. En 1975 et en 1979 ?? introduit des
réformes qui sans modifier la nature constitutionnelle du régime,
donnent quelques pouvoirs, renforcent la position constitutionnelle du
Premier ministre qui devient son successeur constitutionnelle. C'est
ainsi que Paul Biya qui est Premier ministre depuis 1975 devient le
successeur constitutionnel d'Ahmadou Ahidjo. Et on connaît la suite...
Entre temps, compte tenu de ce qui s'est passé après le départ
d'Ahidjo du pouvoir, Paul Biya a fait disparaître toute référence à une
succession constitutionnelle dans la loi fondamentale. Le poste de
vice-président de la République n'existe plus depuis 1972 soit depuis
38... Ans ! Pourquoi Biya veut-il le restaurer aujourd'hui ? C'est là la
grande question à laquelle il faut tenter de répondre.
Une transition pacifique
Le contexte a changé, il n'y a plus de fédéralisme au Cameroun. Paul
Biya voit des gros nuages pointer à l'horizon et s'il ne fait pas
attention, une guerre civile peut éclater dans le pays au sujet de sa
succession, même s'il n'est pas encore prêt à quitter le pouvoir. Ce
désordre ne viendra pas des rangs de l'opposition qui est faible en ce
moment pour pouvoir inquiéter sérieusement le régime en place. Le
désordre viendra au sein même du Rdpc, de la lutte pour la succession de
Paul Biya que se livrent les différents clans qui constituent le parti
au pouvoir. La bataille est si forte que le chef de l'Etat a esquissé
plusieurs scenarii pour se tirer d'affaire, maintenir la cohésion du
parti et assurer sa propre survie. Paul Biya qui veut donc mettre un
terme à la lutte de succession que se livrent ses enfants a donc pensé
que créer le poste de vice-président de la République serait la solution
idoine. Nous ne le pensons pas sérieusement. Car quels seront les
pouvoirs de ce vice-président ? Sera-t-il un adjoint chargé d'inaugurer
les chrysanthèmes ou aura-t-il un rôle important à jouer dans
l'exécutif, que fera-t-on du poste de Premier ministre ? Mais le plus
important n'est pas la création du poste —le Rdpc étant majoritaire à
l'Assemblée nationale, la réforme constitutionnelle passera comme lettre
à la poste si son chef le demande à ses députés— mais l'origine
régionale de la personne qui occupera le poste car si le Grand Nord veut
revenir aux premières loges, les Anglophones disent que leur temps est
arrivé.
Il est sûr et certain que si cette réforme constitutionnelle a lieu,
le vice-président ne sera pas le successeur constitutionnel de l'actuel
chef de l'Etat Paul Biya qui, lui, avait bénéficié de circonstances
exceptionnelles pour être le successeur de Ahmadou Ahidjo. Car si Biya
fait du vice-président son successeur constitutionnel, ce successeur
sera un homme mort, car les tirs croisés viendront de toute part pour le
terrasser. Il deviendra un ennemi, une cible pour tous les pouvoiristes
qui sont si nombreux au sein de la formation au pouvoir. Paul Biya est
très malin, ce qu'il est en train de vouloir faire va lui permettre de
souffler, de faire baisser l'énorme pression qui pèse sur lui. Il va
faire adopter un système à la nigériane ou l'américaine où en cas
d'empêchement de l'exercice du pouvoir par un président pour une raison
quelconque, le vice-président assure l'intérim jusqu'à l'organisation de
la prochaine élection présidentielle. On l'a vu dans le pays voisin où
le vice-président Jonathan Ebele Goodluck a remplacé au pied levé le
défunt président Musa Umaru Yar'Adua. Si les choses se passent ainsi,
cela veut dire que le président de l'Assemblée nationale Cavayé Yéguié
Djibril ne pourra pas assurer l'intérim au cas où Paul Biya est
hors-jeu. En agissant de la sorte, le chef de l'Etat tient-il enfin
compte des critiques et même des conseils venant de partout et qui
disaient qu'il était mal entouré ? Cavayé Yéguié Djibril à l'Assemblée nationale, Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des sceaux, dont le département est chargé de proclamer les résultats et Marafa Hamidou Yaya,
ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale et de la
Décentralisation qui joue un rôle non négligeable, même si Elecam a pris
les choses en main. Voilà trois personnalités importantes toutes
originaires du Grand Nord et qui sont très proches, si près du...
pouvoir.
Que va devenir le Premier ministre ? A l'heure actuelle l'exécutif a
deux têtes, est bicéphale, même si le Premier ministre qui revêt le
titre de chef du gouvernement n'a aucun pouvoir réel, l'essentiel du
pouvoir étant concentré entre les mains de Paul Biya. Le pouvoir
pourrait donc devenir tricéphale avec l'introduction du poste de
vice-président de la République si celui de Premier ministre est
maintenu. A moins qu'en réinstaurant ce poste, on supprime carrément
celui de Premier ministre. Ça pourrait être un casse-tête pour le
protocole, qui du vice-président ou du Premier ministre passera avant
l'autre lors des cérémonies.
Qui comme vice-président ?
Cela dépend de ce que Paul Biya veut. Il est en train de préparer sa
sortie en douce. Il va gagner aisément l'élection présidentielle de
2011 mais n'achèvera pas son mandat, son septennat... peut être. Or il
ne veut pas pour éviter des troubles au pays d'un successeur du Grand
Nord même si c'est un Kirdi chrétien. Il pourrait donc être tenté de
mettre l'actuel Premier ministre Philémon Yang
au poste de
vice-président et démissionner à mi-mandat et laisser la place à un
homme qu'il apprécie beaucoup et avec qui il entretient une longue
amitié. Dans ce scénario, il pourrait supprimer le poste de premier
ministre ou même le garder en diminuant certaines de ses prérogatives.
Cette analyse est partagée par certains de nos compatriotes que nous
avons rencontrés qui disent que Biya va négocier d'une manière très
intelligente, sans faire de vagues, sa sortie. Ces compatriotes disent
qu'il faut regarder de très près qui il va placer comme vice-président
mais que dans tous les cas cela ne pourrait pas être un originaire du
Grand Nord.
Les Anglophones disent que leur temps est enfin arrivé, eux qui
attendent depuis 1961 pour goûter aux délices du pouvoir suprême. Ce ne
serait pas un mauvais choix de notre avis si Paul Biya place comme
vice-président un compatriote anglophone, qu'il soit du Nord-Ouest ou du
Sud, ce ne serait que justice. L'architecture actuelle laissée par
Ahmadou Ahidjo dans laquelle un Anglophone ne peut être que Premier
ministre ou président de l'Assemblée nationale est frustrante pour eux.
Ahmadou Ahidjo a fait 24 ans au pouvoir de 1958 à 1982, il était du
Grand Nord. Paul Biya a pris la relève depuis 1982, soit 28 ans... Il
aspire même à continuer. Il est du Grand Sud. Il est bon qu'un
Camerounais d'expression anglaise prenne le témoin.