Succession de Paul BIYA: Amadou Ali a-t-il raison ?
DOUALA - 09 SEPT. 2011
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus
En se confiant à l’ancien Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun, Janet Elisabeth Garvey, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, garde des Sceaux n’avait dit que la vérité, ce que pensent des millions de ses compatriotes sur la succession du chef de l’Etat.
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus
En se confiant à l’ancien Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun, Janet Elisabeth Garvey, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, garde des Sceaux n’avait dit que la vérité, ce que pensent des millions de ses compatriotes sur la succession du chef de l’Etat.
Succession de Paul BIYA - Les révélations de Wikileaks: Ahmadou Ali a raison En se confiant à l’ancien Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun, Janet Elisabeth Garvey, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, garde des Sceaux n’avait dit que la vérité, ce que pensent des millions de ses compatriotes sur la succession du chef de l’Etat. Les révélations de Wikileaks font jaser l’establishment. "Aurore Plus" analyse. Votre journal ne le défend pas, il n’est non plus ami à Amadou Ali qu’il a même férocement attaqué l’année dernière dans ses colonnes pour le rôle qu’il avait joué avec Edouard Akame Mfoumou, ancien ministre dans l’affaire Titus Edzoa et Cie contre l’Etat du Cameroun. I- Qui sont-ils ? Pour bien comprendre ce qui va suivre, il convient de faire un bref portrait de Janet Elisabeth Garvey et d’Amadou Ali. Janet Elisabeth Garvey : elle arrive au Cameroun un certain 13 septembre 2007 en remplacement de Niels Marquardt. Un jour plus tard, elle présente les copies figurées de ses lettres de créance au ministre des Relations extérieures puis plus tard les lettres de créance au président Paul Biya en novembre de la même année. Pendant son séjour de trois ans au Cameroun, elle a outrepassé ses prérogatives en s’illustrant par un franc-parler inhabituel chez les diplomates. Son domaine de prédilection : la lutte contre la corruption, domaine dans lequel elle avait organisé de nombreux séminaires. Elle n’avait cessé de relancer les autorités politiques camerounaises pour l’application effective de l’article 66 de la constitution relatif à la déclaration des biens des candidats à certains postes électifs telle que la présidence de la République. Mais sur ce plan elle n’a pas réussi, Paul Biya ayant été insensible à ses arguments. Peu après ses adieux au président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yéguié Djibril et au Premier ministre Philémon Yang, elle avait accordé une interview à Cameroon Tribune, édition du jeudi 29 juillet 2010, en page 4. Dans cette interview, elle avait donné son point sur plusieurs sujets tels que Elecam, les droits de l’homme, la corruption, maintenant une ligne assez dure. Mais dans Cameroon Tribune, édition du mardi 27 juillet 2010, page 3, elle avait fait dans la langue de bois en déclarant : « Je suis très optimiste en l’avenir du Cameroun ». Pourquoi ce virage à 170°, pourquoi sa langue habituellement si dure avait brusquement fourché ? Nous n’en savons. C’est donc cette dame de fer qui a apprécié des plats camerounais, visité certains coins de notre pays qui rencontre ou plutôt qui rend visite accompagné d’un certain Poloff, le 27 février 2010 à Amadou Ali pour discuter avec lui du rapport récemment publié sur la situation des Droits de l’Homme au Cameroun. C’est au cours de cette conversation au cours de laquelle d’autres sujets seront abordés tels que la lutte anti-corruption que Amadou Ali fait une incursion dans la succession de Paul Biya. En bon légat, l’ambassadeur Janet Elisabeth Garvey écoute et rend compte au Secrétaire d’Etat (ministre des Relations extérieures) américain et donc au président des Etats-Unis d’Amérique. C’est ce câble qui s’est retrouvé sur le réseau Wikileaks du Suédois Asange qui a de gros ennuis avec la justice de son pays et avec les autorités américaines qui lui en veulent particulièrement d’avoir dévoilé ce qu’ils considèrent comme leurs archives secrètes. Amadou Ali : le vice-Premier ministre, chargé de la Justice, Garde des Sceaux est né en 1943 à Kolofata, département du Mayo Sava (le même que celui de Cavaye Yéguié Djibril, président de l’Assemblée nationale et de Ibrahim Talba Malla, directeur général de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures) région de l’Extrême Nord. Il est de l’ethnie Kanouri ou bornouan qui vit également au Nigeria, surtout dans le Borno State, au Niger et au Tchad. Brillant sujet, il était major à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) de Yaoundé et de l’Institut international d’administration publique (Iiap) de Paris. Depuis 1983, il est entré au gouvernement comme délégué général à la gendarmerie nationale (1983-1985) puis Secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie (1985-1996). En 1997, il est nommé Secrétaire général de la présidence de la République, puis ministre d’Etat, délégué à la présidence chargé de la Défense. En 2001, il est nommé ministre d’Etat chargé de la Justice. En 2004, tout en conservant son poste de la Justice, il est élevé au rang de vice-Premier ministre. C’est un homme très important dans le système Biya. Il a joué un rôle très important dans l’affaire Bakassi dans laquelle Paul Biya l’a utilisé pour négocier avec le dictateur nigérian Abacha qui était Bornouan comme lui. D’ailleurs ne dit-on pas que le président nigérian était originaire de Kolofata comme Amadou Ali. Biya a également utilisé un autre Bornouan dans cette crise en la personne de Hamadou Moustapha, président de l’Andp, originaire de Maroua, département du Diamaré, région de l’Extrême Nord et actuellement ministre chargé de mission à la présidence de la République. Fidèle parmi les fidèles de Biya, il a échappé à plusieurs complots et tentatives de déstabilisation destinés à brouiller ses relations avec le chef de l’Etat mais il s’en est toujours tiré d’affaire. Ainsi son nom n’a jamais été cité dans le putsch manqué du 6 avril 1984 alors qu’il était déjà délégué général à la Sûreté nationale. On avait voulu lui faire porter le chapeau dans l’explosion de la poudrière de la garnison militaire de Yaoundé, mais cela n’a pas eu de suite au niveau de la présidence de la République. Remy Ze Meka alors Secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie avait échoué dans sa tentative de le mouiller dans l’affaire. C’est donc à cet homme dont l’une des épouses est originaire du département du Moungo, région du Littoral, que Paul Biya a confié l’opération Epervier. Mais qu’est-ce qui fait qu’il soit très utile à Paul Biya, incontournable pourrait-on dire ? C’est lui qui apporte au chef de l’Etat les voix nécessaires pour son élection lors des scrutins présidentiels dans son département en particulier et dans l’Extrême Nord en général. Grâce à lui les habitants de cette partie du pays votent comme un seul homme pour Paul Biya. Et connaissant le poids démographique de l’Extrême Nord on peut dire sans risque de se tromper que c’est Amadou Ali qui fait Paul Biya. A titre de comparaison, un seul département de l’Extrême Nord comme le Mayo-Sava a plus de gens qui votent pour Paul Biya que l’ensemble des habitants de la région natale du chef de l’Etat qu’est le Sud. Paul Biya a donc intérêt à garder auprès de lui cet homme providentiel qui est un initié traditionnel de très haut niveau redouté et craint par ses proches. C’est en un mot un magicien de très haute facture qui connaît le pays et les hommes et c’est pourquoi il s’est permis de donner son avis sur la succession de Paul Biya quand Janet Elisabeth Garvey le lui a demandé. Il s’est étendu avec délectation sur le sujet pourtant il est connu pour être peu causeur, avare de confidences ou de déclarations fracassantes. Une de ses rares interviews est disponible dans Jeune Afrique Economie n° 373, Eté 2008, pp 104-121. II- Un Beti-Bulu successeur de Biya: la guerre civile ou la sécession Quand Amadou Ali déclare que : «l’équation de la stabilité du Cameroun repose sur les variables de la détente entre le groupe ethnique Béti-Boulu de Biya, majoritaire dans la région Sud du pays, et les populations des trois régions nordistes, connues comme le septentrion, qui sont ethniquement et culturellement distinctes du reste du pays. Le septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu’il voudra rester président… mais n’accepterait pas un successeur qui soit un autre Béti-Boulu ou un membre du groupe ethnique Bamiléké, aux puissantes assises économiques», il a tout a fait raison. S’agissant de la dernière partie de cet extrait, peu de tribus camerounaises hormis les Beti-Boulu ne sont pas prêts à accepter que Paul Biya ait pour successeur un homme de cette aire culturelle. En effet, les autres Camerounais estiment qu’après le départ de Biya, que quelqu’un d’une autre ethnie ou région du pays prenne les choses en main. Les déclarations de Amadou Ali sont donc un avertissement clair destiné non seulement à la communauté Fang-Beti-Bulu mais à l’ensemble du pays. En homme réservé, il n’a pas voulu dire que si un béti-bulu succède à Paul Biya cela peut déboucher sur des conséquences fâcheuses pour le pays : la guerre civile, les armes provenant du Nigeria et du Tchad avec risque de sécession comme au Soudan. Amadou Ali sait donc de quoi il parle : il connaît la mentalité des gens du Grand Nord dont certaines disent ouvertement qu’il est temps que Paul Biya passe la main. Pour grand nombre d’entre eux Biya a dilapidé l’héritage d’Ahmadou Ahidjo qui lui a laissé volontairement le pouvoir. Ils disent que sous Biya rien n’a marché et qu’il est donc temps de remettre le pouvoir au Grand Nord, une espèce de retour de l’ascenseur en quelque sorte. La position ou la vision d’Amadou Ali n’est pas partagée seulement par les Camerounais originaires du Grand Nord, des Anglophones, des Bamilékés ou des Sawa mais aussi des Beti-Bulu pur teint., dont certains estiment que Paul Biya est la honte de leur groupe ethnique, lui qui n’a pu rien faire en près de 29 ans au pouvoir. Ainsi pour quelqu’un comme le professeur Abel Eyinga, Bulu bon teint, la chose est inenvisageable que quelqu’un de son groupe ethnique succède à Paul Biya. Certains Ewondo et Eton qui font partie de ce groupe Fan-Beti-Bulu estiment que le règne des Bulu a assez duré et qu’il est temps d’y mettre un terme. III- Les Bamiléké exclus d’office Amadou Ali n’est pas allé par quatre chemins : pas question d’avoir un Bamiléké au pouvoir. Cette position est partagée par un très grand nombre de non Bamiléké qui estiment que ces originaires de l’ouest du Cameroun ayant déjà le pouvoir économique, il serait anormal qu’ils aient le pouvoir politique avec ce que cela suppose d’abus en tous genres. Il donne l’exemple de Douala comme étant « occupée » par les Bamiléké qui en ont fait leurs villages rendant minoritaires les autochtones Douala, Bassa et Bakoko sur leurs propres terres ancestrales. Les Bamiléké représentent à eux seuls environ 55% de la population de Douala et avec les Anglophones surtout ceux du Nord-Ouest qui leur sont ethniquement et culturellement proches, ils représentent environ 60 à 65% de la population de la capitale économique du pays, loin devant les Bassa, deuxième groupe et les Fang-Béti-Bulu qui sont aussi bien représentés. Quand on va à Bonabéri, ou Douala IV, on se rend compte que les Anglo-Bamiléké représentent 80% de la population. Dans un quartier comme Mabanda, les Dschang et les Mbouda de l’Ouest et les originaires du Nord-Ouest ont carrément reconstitué leur village. Le maire Sdf de Bonabéri, John Kumaze Dangle est originaire du même village du Nord-Ouest que Ni John Fru Ndi le Chairman du parti. D’ailleurs une consigne de vote était partie de Bamenda pour qu’il soit élu maire. Un Bamileké, conseiller municipal avait désobéi au mot d’ordre du président national, l’homme, ingénieur du chemin de fer retraité avait été copieusement insulté par les autres conseillers municipaux, tous Sdf de cette commune avant d’obtenir une seule voix, la sienne au cours du vote pour l‘élection du maire. Le vice-Premier ministre chargé de la Justice n’est-il pas allé trop loin en déclarant : « les Bamilékés ont envahi Douala et conspirent pour étendre leurs communautés à travers tout le Cameroun allant jusqu’à envoyer leurs femmes accoucher dans les régions les plus éloignées... » Cela n’est pas exagéré du tout quand il parle des femmes bamiléké qui vont accoucher dans d’autres régions du pays. Il fait tout juste allusion aux déclarations faites en son temps à Lyon en France par Mgr Albert Dogmo aujourd’hui décédé, qui demandait aux Bamiléké de s’installer dans toutes les régions du pays, même celles-là où il n’y avait ni routes, ni nourriture, ni eau à boire et d’y faire beaucoup d’enfants, au moins huit par couple, parce que la loi du nombre aidant, le jour où il y aura démocratie et des élections justes, transparentes, ils prendraient le pouvoir par les urnes et non par les armes (maquis). Mgr Dogmo avait recommandé également aux Bamiléké d’envoyer le maximum d’enfants à l’école pour former des cadres, surtout dans les disciplines ou filières scientifiques (ingénieur, mathématiques, médecine, pharmacie, statistiques), de construire des boulangeries, etc. Ce prélat d’une intelligence inouïe avait vu juste et ses conseils avisés ont donné des résultats probants : le maillage systématique de l’ensemble du territoire nationale par les Bamiléké qu’on retrouve installés partout même dans des coins inimaginables. Cette volonté d’accaparement des Bamiléké se retrouve partout : les terres, les diplômes, les postes, etc. Partout où ils se trouvent, même à mille lieues du village, ils ont cette tendance à avoir des terres à tout prix et par tous les moyens. Au point où on les retrouve comme les plus gros planteurs ou éleveurs dans les villages du Littoral, du Centre, du Sud ou de l’Est, loin de leurs bases natales. Dans le domaine de diplômes et des postes, il est arrivé qu’on ait des difficultés à nommer un non Bamiléké parce qu’il n’y avait qu’eux seuls dans la filière. C’est ainsi qu’il y a quelques années on avait du mal dans la fonction publique camerounaise de nommer un non Bamiléké à la direction de la météorologie ou de la statistique parce que la majorité des diplômés dans ces deux disciplines étaient originaires de l’Ouest. Ils ont fait la pluie et le beau temps et ce n’est pas encore terminé au département de géographie de l’Université de Yaoundé I à Ngoa Ekellé et en faculté des sciences de la même institution. Et s’agissant des terres, combien d’allogènes peuvent se targuer d’avoir des lots dans la région de l’Ouest où il ne manque pas quand des opportunités dans certaines zones. Le malheur des Bamiléké vient de l’époque coloniale française. Les colons français voyaient d’un très mauvais œil le dynamisme économique des Bamiléké qui leur disputaient le leadership en matière de cultures de rente dans le département du Moungo et dans le commerce et qui avaient déjà des idées politiques avancées pour l’époque. Ce qui fait que très tôt, le colon français s’est méfié d’eux et en quittant le pays, le colonel français avait fait cette déclaration plein de sens : «Le Cameroun est comme un pied qui a un caillou dans la botte : le problème bamiléké» ce qui est évident et nous le savions depuis longtemps avant que Amadou Ali n’en parle à Janet Garvey : « … les élites bamiléké ont approché les élites du Nord pour rechercher une alliance entre leurs régions respectives, mais que les nordistes (et les autres groupes ethniques) étaient si soupçonneux des intentions des Bamilékés et craintifs de leur pouvoir économique, qu’ils ne conspireraient jamais pour soutenir un pouvoir politique bamiléké », que les originaires du Grand Nord ne peuvent jamais accepté de nouer une alliance politique avec les Bamiléké afin que ces derniers accèdent un jour au pouvoir suprême. Mais sait-on jamais car la politique étant un domaine essentiellement imprévisible, ondoyant, il peut arriver qu’un jour cela se fasse. En politique, il ne faut jamais jurer de rien. IV- Que propose Amadou Ali Si le vice-Premier ministre exclut donc d’office les Fang-Béti-Bulu et les Bamiléké pour la succession de Paul Biya, il ne fait pas non plus de proposition ou de suggestion pour son successeur éventuel, de son ethnie ou de sa région. Là-dessus il est resté muet, mais son mutisme ne veut pas dire qu’il n’a pas son idée sur le sujet. Peut-être estime-t-il qu’il est trop tôt pour en parler et nous pensons qu’il ne verrait pas d’un mauvais œil qu’un originaire du Grand Nord remplace Paul Biya quand ce dernier va quitter les affaires. Aujourd’hui Amadou Ali a officiellement 68 ans et même s’il est en relative bonne santé grâce à une bonne hygiène de vie, peut-il encore prétendre au fauteuil présidentiel ? Rien ne l’en empêche. Il n’y a pas de limite d’âge pour devenir président de la République au Cameroun. On a vu aux Etats-Unis comment Ronald Reagan est devenu président à 69 ans en 1980 et en France, François Mitterrand à l’âge de 65 ans en 1981. Ronald Reagan a fait deux mandats et a quitté les affaires en 1988 (en fait en janvier 1989) à l’âge vénérable de 78 ans (celui qu’à Biya aujourd’hui qui s’apprête à briguer un nouveau mandat de 7 ans). Et François Mitterrand a terminé ses deux septennats en 1995 à l’âge de 79 ans pour mourir un an plus tard en 1996. Si Amadou Ali n’a pas cette préoccupation de devenir chef de l’Etat, a-t-il dans sa chéchia un candidat du Grand Nord pour succéder à Biya ? Il ne l’a pas dit. S’il faut qu’un originaire du Grand Nord succède à Paul Biya, il y aura un énorme problème. Ce successeur doit-il être peulh et musulman, doit-il être non peulh et chrétien, doit-il être non peulh et musulman ? Voilà toute la question posée. Parce qu’il ne faut pas oublier que le Grand Nord n’est pas un bloc homogène sur les plans ethnique et culturel même si la langue peuhle, le fulfudé a pris de l’ascendant sur les autres langues comme langue véhiculaire ou de communication comme le duala dans une grande partie des régions du Littoral et du Sud-Ouest. Il est bien vrai que quand il s’agit de défendre leurs intérêts vitaux, les originaires du Grand Nord font bloc. On le voit s’agissant des entrées dans certaines grandes écoles comme l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam), l’Ecole militaire interarmes (Emia), l’Ecole nationale supérieure de police (Ensp) et parfois la faculté de médecine et des sciences biomédicales de Yaoundé (anciennement Centre universitaire des sciences de la santé). Ils veillent particulièrement au grand en exigeant le tiers des admis dans ces écoles comme à l’Ecole de police. Une fois l’ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives et membre du bureau politique du Rdpc avait déclaré à la Crtv-télé que le Grand Nord avait un quota de 30% pour l’entrée à l’Ecole nationale supérieure de police et que cela était non négociable. D’ailleurs, cette grande école est si importante pour eux que les résultats au niveau de commissaire de police sont proclamés par la présidence de la République et non par le Délégué général à la Sûreté nationale. On l’a également constaté en 2009, tous, partis politiques confondus, ethnies confondues, ils se sont levés comme un seul homme pour exiger l’augmentation du nombre d’admis à l’Ecole normale supérieure de Maroua qui venait d’ouvrir. Au lieu d’un concours d’entrée, ce fut un recrutement massif pur et simple des enfants du Grand Nord en accordant la portion congrue aux enfants des autres régions du pays. Tout le monde était dans le coup, y compris la deuxième personnalité du pays, Cavaye Yéguié Djibril, président de l’Auguste chambre qui soutenait ouvertement le mouvement de fronde des députés du Grand Nord qui avaient décidé de boycotter les travaux si Paul Biya n’accédait pas à leur revendication. Ce qui fut fait par Jacques Fame Ndongo, ministre de l’Enseignement supérieur sur instructions du chef de l’Etat. Même s’ils s’entendent quand il s’agit de défendre leurs intérêts, il y a des lignes de clivage entre les différentes entités ethniques qui constituent le Grand Nord. L’élément peulh est minoritaire mais il est habitué à l’exercice du pouvoir et les autres, les non peulh le leur reconnaisse, ils sont mieux organisés. Et selon les Kirdis, c’est-à-dire les non peulh comme les Toupouri, les Massa, les Moundang les peulh se sont déjà organisés pour capter le pouvoir des mains de Paul Biya. Voici ce que dit un membre de l’élite Kirdi ministre de son état. « Politiquement, nous n’avons pas l’organisation de nos frères peulh. C’est une évidence et nous devons l’admettre. Il n’y a qu’a regarder comment ils ont tissé leurs réseaux autour du chef de l’Etat. Mieux, tous les partis politiques « d’opposition » actuellement au gouvernement sont de leur obédience : l’Andp de Hamadou Moustapha, l’Undp de Bello Bouba Maïgari et le Fnsc de Issa Tchiroma ». Cette analyse est appuyée par un ancien ministre Kirdi : « Le chef de l’Etat s’est rendu à l’évidence qu’il y a une culture du pouvoir et qu’elle était loin d’être un des atouts Kirdi. Il n’a jamais cru en nos possibilités, nous agitant de temps à autre pour rappeler les peulh à des meilleurs sentiments. Regardez, après que les peulh se soient éloignés de lui un certain temps, ils forment aujourd’hui sa garde politique rapprochée ». Les Kirdi estiment qu’ils sont sous représentés au gouvernement et dans la haute administration et rejettent la responsabilité sur Ahmadou Ahidjo : « Ahidjo a créé un profond déséquilibre politique et psychologique qui est difficile à résorber d’autant plus que nos concitoyens du Sud comprennent peu de choses à nos micmacs. Les peulh ont une longueur d’avance dans la course à la succession du président ». C’est là l’analyse d’un député de l’Extrême Nord. Que faut-il alors faire pour que les Kirdis soient plus visibles ? Suivez l’analyse d’un membre de l’actuel gouvernement, un Kirdi : « si le pouvoir devait revenir à un nordiste dans les circonstances actuelles, il y a des fortes chances qu’il échoit à un Peulh. Le chef de l’Etat aurait voulu qu’il n’en soit pas ainsi qu’il aurait rééquilibré le profond déséquilibre politique entre Peulhs et Kirdi qu’il entretient consciemment depuis des lustres. Donc nous devons nous organiser pour occuper une position qui ne reflète pas notre situation présente mais notre immense potentiel politique. Notre chance, c’est que les Peulh du Cameroun ne sont pas aussi nombreux que ceux de Guinée Conakry. Ils sont condamnés à une alliance stratégique ». Voilà comment le Grand Nord voit les choses pour succéder à Paul Biya, que pense l’intéressé ? V- Que pense Paul Biya ? Une fois de plus, nous sommes d’accord avec l’analyse de Amadou Ali quand il déclare que Biya ne prendrait jamais la décision de se faire succéder par un Béti-Bulu. Le chef de l’Etat quoiqu’on en dise est un homme politique avisé, il sait que ce serait conduire le pays à une guerre civile sans précédent, peut-être même que celles qui ont eu lieu au Rwanda en 1994, au Burundi, des pays qui n’ont que deux tribus, les Tutsi et les Hutu, l’élément twa (pygmée) étant négligeable, en République démocratique du Congo, ou plus récemment en Côte d’Ivoire. Le souhait de Biya est de quitter le pouvoir en laissant un pays prospère sur le plan économique et où règne la paix sociale. Il sait très bien qu’en laissant quelqu’un de son aire culturelle lui succéder il ne va rendre service au pays. Ce qui est sûr, Paul Biya étant un homme politique averti ne va pas laisser pour successeur un homme du Grand Nord surtout si celui-là est peulh et musulman. Cela peut expliquer pourquoi l’actuel ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation est dans son viseur lui dont on dit qu’il est le candidat des Français, de Nicolas Sarkozy pour être précis. Pourquoi pas un peulh ? Paul Biya qui a appris à fonctionner avec toutes les ethnies du Cameroun sait très bien qui sont les peulhs. IL craint pour l’élite intellectuelle, d’affaires, politique et administrative du Grand Sud en général et du groupe Fang-Beti en particulier qui aura maille à partir avec un président peulh et musulmane. L’esprit de la revanche est encore dans l’air par rapport au putsch manqué du 6 avril 1984 au cours duquel non seulement les peulh ont perdu des gens mais toutes les ethnies du Grand Nord. Cela pourrait se passer comme au Tchad du temps d’Hissène Habré, entre 1982-1990, époque durant laquelle ce président particulièrement sanguinaire avait décimé une bonne partie de l’élite intellectuelle du Sud du pays. Mais ce qui inquiète le plus Paul Biya c’est qu’il estime que sa sécurité ne peut pas être assuré par un président peulh s’il décide de rester au pays après son départ du pouvoir. Il craint que ce président organise des représailles contre lui, allusion faite ici aux relations tendues que lui Biya avait entretenues avec Ahmadou Ahidjo après le départ du pouvoir de ce dernier. Si donc un peulh prend le pouvoir, Biya se verrait contraint de vivre en exil comme Ahmadou Ahidjo, ce qu’il ne voudrait pas, car il ferait l’objet de moqueries de la part de ses ennemis, adversaires et détracteurs. Paul Biya peut-il accepter un successeur Kirdi musulman ou chrétien ? Même là c’est un peu difficile pour lui. Luc Ayang, le président du Conseil économique et social peut faire l’affaire lui qui a été un éphémère Premier ministre de Paul Biya entre 1983 et 1984, après le limogeage de Bello Bouba Maïgari du poste. Les pressions que les peulhs vont exercer sur ce président Kirdi seront telles qu’il ne pourrait pas résister et obéirait à leurs injonctions. Exit donc le Grand Nord pour la succession de Paul Biya. Mais qui alors ? Paul Biya pourrait être tenté d’adouber René Sadi, le secrétaire général du Comité central du Rdpc au pouvoir qui a l’avantage d’être Babouté, une ethnie à cheval entre les régions de l’Adamaoua et du Centre. René Sadi, ministre chargé de mission à la présidence de la République est certes originaire du département du Mbam et Kim, région du Centre, mais son ethnie a pour base le département du Djerem qui a pour chef-lieu Tibati, région de l’Adamaoua. Les Babouté se retrouvent également dans le département de la Haute-Sanaga, celui de la première dame Chantal Biya, région du Centre. René Sadi peut donc être considéré comme un homme de trait d’union entre le Grand Nord et le Grand Sud du pays. C’est une carte jouable pour Paul Biya même comme les Fang-Beti-Bulu combattent férocement René Said, à commencer par son propre adjoint au comité central qu’est Grégoire Owona, ministre délégué à la présidence de la République chargé des Relations avec les Assemblées. Les gens oublient-ils que l’un des vice-présidents du Rdpc, le docteur vétérinaire Hamadjoda Adjoudji, originaire du département du Mayo Banyo, région du l’Adamaoua est Babouté comme René Sadi. Avec Sadi comme successeur, Paul Biya peut couler des jours paisibles dans sa retraite à Yaoundé dans sa résidence prévue à cet effet du côté de l’ambassade américaine non loin du palais d’Etoudi ou dans son village natal Mvomeka’a à l’abri de toute poursuite judiciaire, alors qu’avec un successeur du Grand Nord ça n’est pas évident. A défaut de René Sadi, Paul Biya peut choisir un successeur chez les Sawa qui sont minoritaires ou dans les régions anglophones du Nord-Ouest ou du Sud-Ouest. |
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