Succession au Cameroun : des diplomates font la promotion d'Amadou Ali
Ses lobbies ont réussi à convaincre plusieurs puissances étrangères qu’il est le mieux placé pour remplacer Paul Biya.
Ce sont des diplomates de premier rang accrédités au Cameroun. Ils sont issus d’Occident – dont de grandes puissances économiques et militaires –, mais aussi en grande partie d’Afrique du nord. Lorsqu’ils ne vont pas vers certains observateurs bien connus de la scène politique camerounaise, ils convient ceux-ci à diverses rencontres dont le véritable objet n’est pas annoncé d’avance. Et puis, de manière sibylline, posent la vraie question qui taraude leur esprit : «Que pensez-vous d’Amadou Ali, de son œuvre, de sa trajectoire ?»
Le manège serait à classer dans la catégorie des cancans de salons feutrés si plusieurs témoignages, souvent contrariés, ne rapportaient les mêmes faits venant de différentes personnalités étrangères accréditées au Cameroun. Quelques uns de ces diplomates demandent – quand ils n’insistent pas – que les propos échangés sur le sujet demeurent à la fois du domaine de la curiosité et de la confidence.
D’autres encore essayentde brouiller les cartes : ils posent la question en citant une poignée de noms. Mais les personnes avisées ne sont pas dupes quant aux motivations réelles de ce sondage masqué. C’est l’actuel ministre en charge des Relations avec le Parlement qui est au centre de leurs préoccupations.
Selon certains avis, c’est Amadou Ali lui-même, à travers ses relais au sein du système, qui aurait fait passer le message auprès des chancelleries étrangères pour qu’il soit présenté comme l’homme de la situation, celui-là à même d’être porté en toute confiance à la magistrature suprême après Paul Biya. On en a fait un homme de dossiers et de confiance de l’actuel chef de l’État. On a fait passer des notes vantant son parcours. Un homme d’État en somme qui maîtrise aussi bien – très important – l’armée que les arcanes de la magistrature et de la présidence de la République.
Anti-Bamiléké primaire
Le non moins vice-Premier ministre n’est-il pas parti de premier adjoint préfectoral à Ngaoundéré (août 1971-septembre 1972), pour se retrouver dans le premier cercle du pouvoir en passant par la direction de l’organisation du territoire, le secrétariat général du ministère de la Fonction publique, la délégation générale à la gendarmerie nationale, le secrétariat d’État à la Défense, le secrétariat général de la présidence de la République, le secrétaire d’État à la Défense, la Défense ou encore la Justice (ministre d’État) ? Pour cette ascension qu’il croit inéluctable, l’homme de Kolofata, et en dehors des diplomates qu’il met à contribution pour arriver à ses fins, s’est également, et très discrètement, attaché les services de quelques spécialistes du lobbying.
Cet activisme, en réalité, ne peut étonner que ceux qui ne suivent pas les tractations au sein du sérail ou encore quelques actes et déclarations des personnalités publiques. En 2001, et selon le câble Wilkileaks, Amadou Ali avait indiqué à l’alors ambassadrices des États-Unis au Cameroun, Janet Garvey, que les nordistes ne supporteraient plus un successeur issu de la même ethnie que Paul Biya ou de l’ethnie bamiléké. Comme déblayer le terrain et se mettre indirectement au cœur des enjeux, il précisait : la bataille pour l'avenir du Cameroun, qui comprend la succession de Biya, doit être regardée à travers un prisme ethnique et régional. Pour lui, la fondation de la stabilité au Cameroun c'est l'entente entre les Béti/Bulu, la tribu d’origine de Biya, qui est prédominante dans le Sud du Cameroun et les populations des trois régions du Nord, connues comme étant le septentrion et qui sont différentes du reste du pays en termes ethnique et culturel. «Le septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu'il souhaitera être président, mais n'acceptera jamais un successeur qui soit lui aussi Béti/Bulu, ni un membre de l'ethnie bamiléké qui est économiquement puissante.»
Selon Wikileaks, l'analyse d'Amadou Ali et sa volonté de s'exprimer de manière aussi franche, à propos d'un sujet aussi délicat, a renforcé la conviction des Etats-Unis que l'élite politique du Cameroun est de plus en plus en train de se mettre en scène pour l'après Biya : «Ali a montré son caractère grégaire, mais est devenu plus franc et précis que d'habitude, lorsqu'il a abordé l'avenir politique du Cameroun pendant plus d'une heure.»
Rusé et vindicatif
Homme énigmatique, Amadou Ali, selon ses détracteurs et depuis le département de la Justice, a également engagé une sorte de chasse aux sorcières visant à écarter tout éventuel obstacle de sa route. On l’a vu à l’œuvre à travers une fumeuse opération dite de détection des fonds détournés et planqués à l’étranger par des dignitaires du régime. Une affaire foireuse, confiée à l’homme de main Francis Dooh Collins et qui a coûté des centaines de millions de francs au contribuable. Le fameux expert, pris la main dans le sac, avait fini par avouerque les fonds débloqués par le Trésor public camerounais étaient utilisés pour «appâter» les services secrets suisses et français chargés de «fournir d'importantes informations».
«Dans l'intérêt de développer une lutte anti-corruption plus professionnelle et plus durable de la part du gouvernement camerounais, nous chercherons à convaincre Amadou Ali de mettre en place bientôt une structure formelle chargée des présentes et d'autres requêtes semblables du gouvernement camerounais, ce qui pourrait aussi contribuer à réduire le facteur d'improbabilité lié au rôle énigmatique de Dooh Collins», indiquaient les services américains. Mais celui qui croit son heure arrivée est manifestement très de ces préoccupations éthiques. C’est un rusé, le genre qui endort son vis-à-vis pour mieux l’étouffer. C’est aussi un fieffé vindicatif, qui sait user de sa position pour broyer ceux qui lui font de l’ombre.