Stabilité sociopolitique: Peut-on éviter un génocide au Cameroun?
DOUALA - 23 AVRIL 2014
© Joseph OLINGA N. | Le Messager
Selon le rapport de l’organisme australien, Atrocity forecasting project, notre pays fait partie de la liste des 12 pays en passe de vivre des violences
Stabilité sociopolitique: Y a-t-il un complot contre le Cameroun ? Dans un rapport qu’il vient de publier, l’organisme australien «Atrocity forecasting project» relayé par l’organe de communication américain «Defence one» place le Cameroun dans la liste des pays où les risques de violence massives et ciblées sont perceptibles. Evocateur. C’est ainsi que certains internautes qualifient le rapport rendu public par l’organisme australien, «Atrocity forecasting project» (Projet de prévision des atrocités). Publié dans le sillage de la commémoration du 20e anniversaire du génocide rwandais, le rapport intitulé «Où se déroulera le prochain génocide?» indique la liste des douze pays susceptibles de connaître «des violences massives et ciblées à l’avenir». A l’énumération, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Tchad, l’Angola, le Burundi, l’Ouganda, la Somalie, la Guinée Conakry et le Cameroun sont classés dans la catégorie des pays «à risque» tel que définit par cette organisation qui se positionne dans le sillage «Integrated crisis early warning system (Icews)», un outil financé par le Pentagone et dont l’objet est de regrouper des données stratégiques et les mettre à la disposition des forces de défense et de renseignement américain. Des données utiles à la «prévision des urgences internationales». Le rapport publié par le site américain de stratégies de défense «Defence one» soutient que la démarche de l’organisme australien s’adosse sur les statistiques sur les guerres civiles, les changements de régime, le taux d’homicide ou encore le cas de génocides précédents. Selon le site Defence One, «les dernières prévisions de l’Atrocity forecasting project ont été très précises. Testé de manière rétrospective pour évaluer sa pertinence.» Le même vecteur commente que «l’outil a été appliqué aux années 1988 à 2003 et les résultats ont été juste à 90,9% prévoyant notamment les évènements du Rwanda, de Yougoslavie ou du Soudan.» Dans ce sillage l’organisme prédit que «d’ici à 2015, la République centrafricaine est tout en haut de la liste. Suivent la République démocratique du Congo, le Tchad et la Somalie.» Sonnette d’alarme? Le rapport de l’organisme australien ainsi que les analyses de l’organe proche du ministère américain des Affaires étrangères interviennent au fort de la stagnation et de l’accentuation de la crise centrafricaine. Un contexte marqué par le retrait du contingent tchadien de ce pays avec une recrudescence des attaques terroristes le long de la frontière entre le Cameroun et la République centrafricaine. Un contexte également marqué par la permanence des actes terroristes sur le territoire camerounais et la présence des éléments issus de groupes terroristes identifiés. De quoi tirer la sonnette d’alarme? «Ces affirmations ne sont pas fortuites. Nous devons prendre nos responsabilités.» Pour cet internaute, la nécessité d’établir un lien entre les allégations des organismes australien et américain se fait urgente. Une allusion faites aux pressions exercées sur le gouvernement camerounais en vue de l’augmentation du carburant, celui de l’électricité et leur impact sur le coût des produits de consommation courante. Tout à côté, commente la même source, «Il ne faut pas ignorer la montée du discours tribal véhiculé par certains intellectuels, des prélats, une certaine classe politique et parfois certains organes de presse locaux». Joseph OLINGA N. Selon le rapport australo-américain… L’Europe sans nuage à l’horizon Le rapport sur les potentiels foyers de tension ignore les crises que connaissent de nombreux pays européens. Quel est le point commun entre les Etats cités par le rapport de l’organisme australien «Atrocity forecasting project», fortement relayé par l’organe d’information stratégique américain «Defence one»? Tous les douze pays africains présentés comme susceptibles d’abriter des foyers de tensions bénéficient d’un sous-sol potentiellement riche. Tout comme la Syrie, l’Afghanistan, l’Equateur et le Sri Lanka. A l’exception de la Libye et de la Guinée Conakry, le reste des pays indexés par cette étude appartiennent au grand bloc Afrique centrale. Des raisons pour le site NegroNews de constater que «le problème c’est que ces études sont faites par les mêmes qui ont des intérêts sur place.» Une observation inspirée des déclarations du chef d’Etat rwandais, Paul Kagamé. Une source qui, dans le sillage de la commémoration du 20e anniversaire du génocide que ce pays a connu, entend mettre en relief le rôle joué par la France et celui des agents de la Central intelligence agency (Cia) «dans la déstabilisation de certains pays africains, des assassinats politiques en Afrique et dans le monde.» Tout comme la même source évoque «le rôle de certaines monarchies arabiques dans le financement du terrorisme dans les zones fragiles». Au fort des tensions que connaissent l’Ukraine, la Grèce et l’Espagne, le rapport australo-américain ignore ces zones de tensions alors même que les outils d’appréciations appliqués à la douzaine de pays «incriminés» correspondent à ceux évoqués dans l’établissement du rapport à polémique. «Les rivalités ethniques ne sont pas toujours sources de guerres ethniques ou de génocides.» Alain Essome évoque à ce propos les scénarii liés au déclenchement de la crise centrafricaine avec le coup d’Etat de la Seleka ainsi que la genèse du génocide rwandais. Des crises dont les déclenchements sont souvent liées à des facteurs externes. Faut-il craindre des projections faites par les observateurs australiens et américains? Pour le journaliste et acteur de la société civile, Charles Cacharel Nforgan, «C’est une démarche qui relève de la géostratégie». Une posture soutenue par Christian Ntonga. Cette source explique qu’«Un génocide ou des affrontements continues ne peuvent être considérés comme des intempéries. C’est des choses qui font suite à une situation qu’on a laissé pourrir ou planifié. C’est à croire que ces gens nous annoncent leurs projets» J.O.N Reactions Charles Ngah Nforgan, militant Manidem: «Il s’agit d’un complot contre le Cameroun» La position de ceux qui ont fait cette publication relève de la géostratégie. Sur ce plan, de nombreux pays qui se soucient de leur image investissent parfois dans des réseaux obscurs pour se retrouver dans des rapports qui fâchent. Il faut aussi noter que quand les pays indexés réagissent farouchement pour dénoncer de telles publicités, cela contribue à limiter les dégâts pour amener ceux qui font de tels classements à les éviter. Le Cameroun s'y est essayé à travers quelques sorties du Mincom dans ce sens par le passé. il faut continuer à dénoncer ce genre de pratiques et ce genre d'organisation qui veulent exister sur le dos des pays comme le Cameroun qui est cent fois moins dangereux que de nombreux pays du monde et d’Europe qui ne sont pourtant pas étiquetés. C’est beaucoup peu comparé à ce qui se passe dans d'autres pays. Il s'agit dans tous les cas, d'un complot contre le Cameroun et nous les Camerounais, de l'opposition ou du parti au pouvoir, nous dénonçons cela. Franck Essi, Secrétaire général Cpp: «Des opportunités existent pour d’éventuels comploteurs» Des risques internes et externes existent, seul le consensus politique peut nous aider à y faire face ! Aucun pays se trouvant dans la situation du Cameroun ne saurait être à l’abri de déstabilisation venue tant de l’intérieur que de l’extérieur. En effet, lorsqu’on regarde la situation interne sur le plan social, économique et politique, des opportunités existent pour d’éventuels comploteurs. Une insatisfaction profonde des populations du fait de services de base médiocres, des ressentiments et replis identitaires dus à un sentiment d’injustice dans la répartition des richesses nationales, une absence de consensus sur le système électoral et des luttes de positionnement pour l’après Biya qui font rage. Au niveau externe, le péril terroriste venu du Nigeria, l’instabilité de la Centrafrique et les nouvelles ambitions hégémoniques de certains voisins ne peuvent pas laisser indifférent. A cela s’ajoute les sempiternelles batailles entre les puissances en vue de contrôler les prochains dirigeants et sécuriser leur accès à nos richesses. Ce n’est donc pas un hasard qu’International Crisis Group en son temps avait qualifié le Cameroun de pays fragile. Nous pensons qu’il y a urgence pour les Camerounais de mettre en place, dans le cadre d’un grand dialogue inédit, les bases d’une consultation visant à assurer une alternance démocratique et pacifique. C’est la force de ce nouveau consensus national qui déterminera notre capacité à faire face aux ennemis internes et externes. Vincent-Sosthène Fouda, politologue: «Le complot est un déterminant politique et religieux chez nous» Si vous interrogez la moitié des Camerounais qui ne comprennent pas naturellement les notions de politique, de gouvernance voire de nation « ce n'est pas le gouvernement qui gouverne" car "on ne sait pas en réalité qui tire les ficelles". «On sait aussi que ce sont les blancs qui font tout». C’est une théorie qui est alimentée à la fois par notre imaginaire mais aussi par ceux qui sont au pouvoir et qui ne veulent rien assumer. Par exemple ceux qui sont au pouvoir en ce moment disent qu’ils ont hérité d’un pays qui allait très mal, la faute à Ahidjo ! Ces théories fleurissent au point de donner des fruits qui peuvent être récoltés ; c’est le laisser aller, l’irresponsabilité, la paresse, l’incapacité à mener une recherche capable de changer notre propre quotidien. Regardez autour de vous, la floraison des églises, la grande plongée dans l’alcool, l’importance des sectes, tout cela est dû à l’incapacité que nous avons à donner une réponse à ce qui nous arrive, c’est cela le vrai complot qui est aussi nourri par notre cosmogonie. Le complot est un déterminant politique et religieux chez nous. En psychologie sociale, en histoire des idées, il y a de nombreuses recherches qui ont été menées sur le «conspirationnisme», le centre de recherche de sciences politiques de Paris (Cevipof) à Sciences Po Paris développe aujourd’hui des études sur les gens qui croient à ces théories, sans les considérer comme une pathologie. Les hommes politiques se cachent beaucoup derrière la théorie du complot pour justifier ou ne pas justifier ce qu’ils n’ont pas fait et ce qu’ils ont fait. Les nouvelles églises mobilisent sur la même théorie car qui dit complot, dit besoin et proposition de protection. Ces officines païennes et de prostitution ont donc compris ce besoin et le comblent, le temps que les chercheurs se ressaisissent et proposent des solutions crédibles aux interrogations légitimes de nos contemporains. Réactions recueillies par J.O.N. |