Souveraineté économique: Cinquantenaire, quelle indépendance sans monnaie ?

« Le Cameroun est libre et indépendant ». Il y a donc 50 ans qu’Ahmadou Ahidjo a prononcé cette phrase rituelle qui passait le statut du Cameroun de pays sous tutelle à Etat formellement indépendant. Peut-être fallait-il bien qu’on en parle pour savoir combien on s’est trompé de route et où il faut désormais aller. Car en réalité, si l’espoir ne faisait pas vivre, il n’y aurait rien à fêter une indépendance fictive à notre sens, mais plutôt à pleurer, tant reste réel pour le Cameroun, le tableau peint de l’Afrique en 1979 par le Pr Tchundjang Pouemi depuis Washington où il sortait du Fonds monétaire international (Fmi) et que je me permettrais de parodier ci-après.

Avec sa terre généreuse, ses incalculables richesses énergétiques et du sous-sol, ses Hommes réputés pour leur force physique et mentale, mais aussi pour leur humanisme, le Cameroun mendie, se déchire (quasi inconsciemment), se détruit, ou plutôt détruit les chances de ce que les combattants de notre indépendance, en donnant hier et aujourd’hui leur sueur, leur sang et souvent leur vie, ont voulu offrir au monde (…) un Cameroun fort et paisible, divers et uni autour de ce qui lui a toujours été cher : l’amour, le dialogue, la tolérance. Le Cameroun a perdu le respect que le monde était prêt à lui accorder à la fin des années cinquante. Il perd chaque jour ce que les révélations du juste prix de ses exportations lui offrent comme chance de développement véritable. Et le Camerounais déchante. Il n’a plus confiance en lui-même. Il a peur du Camerounais, du présent, de l’avenir, et à mesure qu’il gravit la colline des promotions administratives et politiques, (ou) précisément pour cela, son problème premier redevient celui de la survie, quitte à mentir, médire, trahir celui qu’il considère comme son adversaire alors qu’il s’agit de son allié naturel : le Camerounais.

Cette image du Cameroun, plus vraie aujourd’hui qu’il y a 20 ans, ne peut être invisible qu’à celui qui veut fermer les yeux devant son miroir. La raison première de cette détestable image, c’est que les dés de l’indépendance étaient pipés. La génération des 30 ans et moins qui sont majoritaires dans le pays aujourd’hui peut danser tranquillement pour le cinquantenaire parce qu’elle ne connaît pas l’Histoire de son pays, parce qu’elle croit qu’il suffit pour un pays d’avoir un président, un Parlement et un Premier ministre pour se dire indépendant. Et surtout parce qu’elle ne sait pas que l’indépendance c’est l’autonomie de disposition de soi-même, et le refus de toute sujétion. Or, le Cameroun n’a pas eu cette indépendance-là, parce que le colonisateur en avait programmé une toute autre. Et grâce à l’historien Fabien Kanguè qui est allé fouiller dans les archives coloniales, nous pouvons vous dire ci-après ce qu’il en fut.

« Dans la grande tendance coloniale, il n’y a ni peuple à affranchir, ni discrimination à abolir. Il y a des populations que nous entendons conduire étapes par étapes à la personnalité, pour les plus mûres aux franchises politiques, mais qui n’entendent connaître d’autre indépendance que l’indépendance de la France ». C’était là les propos d’un administrateur en chef nommé Delmas, prononcés à Brazzaville en 1944, au cours d’une conférence entre la France et les représentants de ses colonies les (Cahiers de Mutations, déc. 2009). La mouvance indépendantiste qui naquît au Cameroun quatre ans après ce discours, et comme par défi, fut décapitée et dissoute avec l’Upc, et ses dirigeants exilés ou tués. A partir de 1955. La France pût alors, en 1960, octroyer « une certaine indépendance » (Michel Debré dixit quelques semaines auparavant à Libreville), à des leaders de fabrication française, afin que le Cameroun ne puisse « connaître d’autre indépendance que l’indépendance de la France ».

Et lorsque par fidélité ou par peur d’être remplacés, nos dirigeants recherchent toujours leur légitimation en France, on essaye de persuader la génération d’aujourd’hui que c’est la mondialisation qui l’exige. Certes, la mondialisation peut prendre la forme positive d’une interdépendance. Encore faut-il qu’elle soit basée sur la complémentarité d’économies nationales indépendantes, et non sur un rapport néocolonial de dominant à dominé, ou sur les lois de l’économie capitaliste basées sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme, ou du plus faible par le plus fort. Et c’est précisément dans ce domaine économique que nous trouvons les indicateurs les plus sûrs de la sujétion du Cameroun.

Le premier de ces indicateurs, et le déterminant de tous les autres, c’est la dépendance monétaire. Un pays sérieux ne peut pas fêter sans états d’âme une indépendance qui se traduit, non seulement par le fait de ne pas avoir sa monnaie nationale pour promouvoir et soutenir sa vie économique, sa croissance et son ordre social, mais encore par la non gestion autonome de sa monnaie d’emprunt, alors même que celle-ci détermine le destin de son peuple. Le franc cfa sur lequel se joue le destin du Cameroun valait 2 francs métro (franc de la Métropole) avant 1958, année de toutes les velléités d’indépendances sur la côte française d’Afrique. En 1958, en la dévaluant de 200%, le général de Gaulle en a fait une sous-monnaie française qui reste à ce jour gérée par le Trésor français, c’est-à-dire par le ministre français des Finances, en vertu de conventions monétaires préparées avant et signées après l’indépendance dans le cadre des Accords de coopération.

Alors que notre économie a été programmée en extraversion (exportation de matières premières, importation des produits de consommation), nos réserves induites des exportations doivent être, en vertu des conventions suscitées, déposées à hauteur de 60% au Trésor français qui gère nos opérations commerciales comme l’aurait fait une Banque centrale camerounaise. La Béac ne serait donc pas à proprement parler une Banque centrale, mais seulement un organe de mobilisation de nos ressources au profit du Trésor français. Comment donc dire que nous sommes indépendants, si ce n’est seulement en la forme et non sur le fond ?

Jean Baptiste Sipa
jbsipa@gmail.com Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

© Le Messager.net



20/05/2010
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