Shanda Tonme sur le Sommet USA-Afrique: «Paul Biya aurait pu ou dû s’excuser et ne pas prendre part à ce sommet»
DOUALA - 04 AOUT 2014
© Alain NJIPOU | Le Messager
L’internationaliste passe au crible les enjeux du sommet Etats-Unis - Afrique et lève un coin de voile sur les possibles gains pour le Cameroun dans la guerre contre Boko Haram.
Paul Biya a décollé samedi pour Washington, pour le sommet convoqué par Obama avec tous les dirigeants africains. Que faudrait-il attendre de cette rencontre selon vous ?
D’abord, d’un point de vue général au regard de la pratique diplomatique, les rencontres de haut niveau entre les dignitaires étatiques contribuent à l’expansion des échanges de toute nature, à l’apaisement des crises, au raffermissement des règles du droit international, au renforcement du multilatéralisme. Ensuite, d’un point de vue strict, chaque pays a des intérêts et des préoccupations propres soit de circonstance (tactique), soit de long terme (stratégique). Maintenant, si nous nous en tenons au contexte actuel de notre pays, je pense personnellement que le chef de l’Etat aurait pu ou du s’excuser et ne pas prendre part à ce sommet. Vous savez, il n’y aura rien qui se fera, se dira ou s’obtiendra à Washington qui dépasse le travail à faire au pays actuellement après l’attaque massive de Boko Haram, un défi d’une ampleur jamais connue depuis 1960. Nous devons porter le deuil. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi un deuil national n’a pas été décrété.
Il me semble que le chef de l’Etat a présenté ses condoléances aux familles des victimes et rassuré les Camerounais…
Si vous parlez de la brève interview accordée à l’aéroport avant son départ, je vous dis tout de suite que ce n’est pas ce qu’on attendait et c’est insuffisant. Ce n’est même pas approprié. Nous appelons cela en jargon diplomatique, une action incidente, donc une communication incidente qui ne prend pas en compte la gravité du sujet traité. Depuis l’attaque, c’est regrettable qu’il n’y ait pas eu une réelle mobilisation d’en haut pour souder les populations. Seul le chef de l’Etat pouvait, peut et devrait le faire. C’est une démarche qui se fait le jour même, en direct, sur toutes les ondes, avec gravité. On attend toujours que le chef de l’Etat parle, de façon solennelle aux Camerounais. Des délégations devraient même être envoyées vers la diaspora qui s’inquiète encore plus que nous ici. On ne peut faire face à la situation qui nous est imposée par ces terroristes de l’intérieur comme de l’extérieur qu’en déroulant une diplomatie globalisante. Il y a des points forts de concentration de nos compatriotes en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Belgique, au Royaume-uni, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Afrique du Sud...
En somme ce que vous dites, c’est que pour le moment, le Cameroun a mieux à faire qu’à s’occuper de ce qui se passe à Washington…
C’est bien cela. Obama est en fin de mandat, et il lance une opération de rachat avec les Africains, d’ailleurs nettement structurée que ce que G.W.Bush avait fait envers le continent. Je peux vous dire qu’à la Maison Blanche et au département d’Etat, nous ne sommes pas à l’ordre du jour des préoccupations quotidiennes. D’ailleurs, ce sommet les emmerde et ils liquideront les hôtes très vite pour s’en retourner aux choses sérieuses pour eux : Gaza ; Ukraine ; Irak ; Libye ; Syrie ; les tensions avec la Russie
Pour revenir donc sur ce qui pour vous semble majeur, l’attaque de Boko Haram. Certains ne croient toujours pas à la version officielle ?
Effectivement, cette affaire comporte trop de curiosités. Je voudrais d’abord vous dire ma peine pour ce qui est arrivé au vice-premier ministre et exprimer toute ma solidarité à toute sa famille et à lui-même face à cette épreuve. Au plan militaire et en prenant en compte l’ensemble des dispositifs sur place, je ne peux pas comprendre que le mouvement de trois cents à cinq cents voyous armés n’ait pas été détecté. C’est plutôt très bizarre. Il y a des dispositifs de renseignement et de combat français au Niger et au Tchad, avec des drones de reconnaissance et de surveillance hyper sophistiqués. Non, il y a un problème quelque part, une planification qu’il faut déceler.
Que voulez-vous réellement insinuer ?
Soit on a voulu faire de Amadou Ali un cas d’école, et alors ses ennemis sont à la manœuvre, soit des acteurs autrement plus organisés, puissants et externes combinés avec des relais locaux, sont en train de préparer pour le Cameroun, le grand soir qui, comme vous le voyez ailleurs, signifie chaos, destructions, changements et contre changements, révolutions et contre révolutions. Bref désordre à l’infinie avec les menaces de partition et autres chantages. Il faut d’ailleurs s’inquiéter du fait que Hollande tourne autour de nous sans jamais mettre les pieds chez nous. Il a été au Tchad deux fois, deux fois en Centrafrique, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, mais pas au Cameroun. Il y a un problème, lequel ? A ce stade, ce n’est plus seulement une affaire des experts en relations internationales. La devinette est même populaire.
Croyez-vous dans ce cas que l’entrée en scène de nos avions de combat, chasseurs bombardiers et autres moyens lourds soient en mesure de nous prémunir de l’apocalypse ?
Vous m’amusez. Gardez ce discours pour les enfants de la maternelle et pour les grands-mères qui voient un avion de façon magique. C’est de la quincaillerie inappropriée pour la situation. Nous faisons face à une guerre asymétrique, c'est-à-dire à une confrontation avec un ennemi sans localisation précise, ni territoire précis, ni moyens précis, ni statut réel. Cet ennemi a le choix du temps, des moyens, des cibles et des voies d’attaque. Cet ennemi est partout, peut-être même sur votre table, chez votre voisin. Que voulez-vous faire avec des avions de chasse ici ? Il faut en plus savoir que leurs capacités comportent dorénavant des moyens anti-aériens tactiques légers d’une dangerosité effroyable, notamment des missiles faciles à manier de type Stinger apparu pour la première fois en Afghanistan et fournis par la Cia pour abattre les redoutables hélicoptères MI 24 soviétiques.
Mais que suggérez-vous donc ?
Il n’y a qu’une seule solution, le renseignement, l’audace de pénétration des premières lignes de l’ennemi par une infiltration intelligente. Attendez, ce pays a quand même été sous Ahidjo un des mieux dotés en capacités de renseignement en Afrique. Ne me dites pas que nous sommes devenus si faibles et si désorganisés, si nuls au point que nous ne pouvons pas lutter efficacement contre Boko Haram en le maîtrisant de l’intérieur ? En dépit de tout, nous devons rester fermement soudés face à la menace extérieure. L’optimisme affiché par le chef de l’Etat dans sa communication incidente est d’un extraordinaire réconfort et me semble nécessaire dans l’élaboration d’une stratégie globale. Une guerre se gagne d’abord sur le papier avec la sérénité et l’assurance du chef des armées. Et c’est vrai comme l’affirme Paul Biya, que ce machin de Boko Haram ne peut pas dépasser le Cameroun. En faisant mes petits calculs, je me rends compte que nous avons dépensé quelque chose proche de deux cent milliards (200) pour fêter les cinquantenaires, nous pouvons dépenser le double pour vaincre ces hors-la- loi.
Entretien avec Alain NJIPOU
© Alain NJIPOU | Le Messager
L’internationaliste passe au crible les enjeux du sommet Etats-Unis - Afrique et lève un coin de voile sur les possibles gains pour le Cameroun dans la guerre contre Boko Haram.
Paul Biya a décollé samedi pour Washington, pour le sommet convoqué par Obama avec tous les dirigeants africains. Que faudrait-il attendre de cette rencontre selon vous ?
D’abord, d’un point de vue général au regard de la pratique diplomatique, les rencontres de haut niveau entre les dignitaires étatiques contribuent à l’expansion des échanges de toute nature, à l’apaisement des crises, au raffermissement des règles du droit international, au renforcement du multilatéralisme. Ensuite, d’un point de vue strict, chaque pays a des intérêts et des préoccupations propres soit de circonstance (tactique), soit de long terme (stratégique). Maintenant, si nous nous en tenons au contexte actuel de notre pays, je pense personnellement que le chef de l’Etat aurait pu ou du s’excuser et ne pas prendre part à ce sommet. Vous savez, il n’y aura rien qui se fera, se dira ou s’obtiendra à Washington qui dépasse le travail à faire au pays actuellement après l’attaque massive de Boko Haram, un défi d’une ampleur jamais connue depuis 1960. Nous devons porter le deuil. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi un deuil national n’a pas été décrété.
Il me semble que le chef de l’Etat a présenté ses condoléances aux familles des victimes et rassuré les Camerounais…
Si vous parlez de la brève interview accordée à l’aéroport avant son départ, je vous dis tout de suite que ce n’est pas ce qu’on attendait et c’est insuffisant. Ce n’est même pas approprié. Nous appelons cela en jargon diplomatique, une action incidente, donc une communication incidente qui ne prend pas en compte la gravité du sujet traité. Depuis l’attaque, c’est regrettable qu’il n’y ait pas eu une réelle mobilisation d’en haut pour souder les populations. Seul le chef de l’Etat pouvait, peut et devrait le faire. C’est une démarche qui se fait le jour même, en direct, sur toutes les ondes, avec gravité. On attend toujours que le chef de l’Etat parle, de façon solennelle aux Camerounais. Des délégations devraient même être envoyées vers la diaspora qui s’inquiète encore plus que nous ici. On ne peut faire face à la situation qui nous est imposée par ces terroristes de l’intérieur comme de l’extérieur qu’en déroulant une diplomatie globalisante. Il y a des points forts de concentration de nos compatriotes en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Belgique, au Royaume-uni, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Afrique du Sud...
En somme ce que vous dites, c’est que pour le moment, le Cameroun a mieux à faire qu’à s’occuper de ce qui se passe à Washington…
C’est bien cela. Obama est en fin de mandat, et il lance une opération de rachat avec les Africains, d’ailleurs nettement structurée que ce que G.W.Bush avait fait envers le continent. Je peux vous dire qu’à la Maison Blanche et au département d’Etat, nous ne sommes pas à l’ordre du jour des préoccupations quotidiennes. D’ailleurs, ce sommet les emmerde et ils liquideront les hôtes très vite pour s’en retourner aux choses sérieuses pour eux : Gaza ; Ukraine ; Irak ; Libye ; Syrie ; les tensions avec la Russie
Pour revenir donc sur ce qui pour vous semble majeur, l’attaque de Boko Haram. Certains ne croient toujours pas à la version officielle ?
Effectivement, cette affaire comporte trop de curiosités. Je voudrais d’abord vous dire ma peine pour ce qui est arrivé au vice-premier ministre et exprimer toute ma solidarité à toute sa famille et à lui-même face à cette épreuve. Au plan militaire et en prenant en compte l’ensemble des dispositifs sur place, je ne peux pas comprendre que le mouvement de trois cents à cinq cents voyous armés n’ait pas été détecté. C’est plutôt très bizarre. Il y a des dispositifs de renseignement et de combat français au Niger et au Tchad, avec des drones de reconnaissance et de surveillance hyper sophistiqués. Non, il y a un problème quelque part, une planification qu’il faut déceler.
Que voulez-vous réellement insinuer ?
Soit on a voulu faire de Amadou Ali un cas d’école, et alors ses ennemis sont à la manœuvre, soit des acteurs autrement plus organisés, puissants et externes combinés avec des relais locaux, sont en train de préparer pour le Cameroun, le grand soir qui, comme vous le voyez ailleurs, signifie chaos, destructions, changements et contre changements, révolutions et contre révolutions. Bref désordre à l’infinie avec les menaces de partition et autres chantages. Il faut d’ailleurs s’inquiéter du fait que Hollande tourne autour de nous sans jamais mettre les pieds chez nous. Il a été au Tchad deux fois, deux fois en Centrafrique, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, mais pas au Cameroun. Il y a un problème, lequel ? A ce stade, ce n’est plus seulement une affaire des experts en relations internationales. La devinette est même populaire.
Croyez-vous dans ce cas que l’entrée en scène de nos avions de combat, chasseurs bombardiers et autres moyens lourds soient en mesure de nous prémunir de l’apocalypse ?
Vous m’amusez. Gardez ce discours pour les enfants de la maternelle et pour les grands-mères qui voient un avion de façon magique. C’est de la quincaillerie inappropriée pour la situation. Nous faisons face à une guerre asymétrique, c'est-à-dire à une confrontation avec un ennemi sans localisation précise, ni territoire précis, ni moyens précis, ni statut réel. Cet ennemi a le choix du temps, des moyens, des cibles et des voies d’attaque. Cet ennemi est partout, peut-être même sur votre table, chez votre voisin. Que voulez-vous faire avec des avions de chasse ici ? Il faut en plus savoir que leurs capacités comportent dorénavant des moyens anti-aériens tactiques légers d’une dangerosité effroyable, notamment des missiles faciles à manier de type Stinger apparu pour la première fois en Afghanistan et fournis par la Cia pour abattre les redoutables hélicoptères MI 24 soviétiques.
Mais que suggérez-vous donc ?
Il n’y a qu’une seule solution, le renseignement, l’audace de pénétration des premières lignes de l’ennemi par une infiltration intelligente. Attendez, ce pays a quand même été sous Ahidjo un des mieux dotés en capacités de renseignement en Afrique. Ne me dites pas que nous sommes devenus si faibles et si désorganisés, si nuls au point que nous ne pouvons pas lutter efficacement contre Boko Haram en le maîtrisant de l’intérieur ? En dépit de tout, nous devons rester fermement soudés face à la menace extérieure. L’optimisme affiché par le chef de l’Etat dans sa communication incidente est d’un extraordinaire réconfort et me semble nécessaire dans l’élaboration d’une stratégie globale. Une guerre se gagne d’abord sur le papier avec la sérénité et l’assurance du chef des armées. Et c’est vrai comme l’affirme Paul Biya, que ce machin de Boko Haram ne peut pas dépasser le Cameroun. En faisant mes petits calculs, je me rends compte que nous avons dépensé quelque chose proche de deux cent milliards (200) pour fêter les cinquantenaires, nous pouvons dépenser le double pour vaincre ces hors-la- loi.
Entretien avec Alain NJIPOU