Dans la suite des débats sur la libération des otages français intervenue le 19 avril dernier, La Nouvelle Expression a sollicité le regard de ce Spécialiste des relations internationales
Professeur, que vous inspirent les
nouvelles révélations de la presse française à propos de la libération
des sept otages français qui étaient détenues par Boko Haram ?
D’abord, je dois vous dire que je ne vois pas en quoi et
pourquoi vous parlez de nouvelles révélations. Je crois avoir dès le
lendemain de cette libération, accordé un long et riche entretien à un
de vos confrères et dans lequel j’avais dis sans utiliser la langue de
bois, qu’une rançon a bel et bien été versée, que cette rançon a été
versée par le Gouvernement français, que l’argent est venu de
l’entreprise GDF-SUEZ qui est l’employeur de monsieur Moulin. J’avais
d’ailleurs donné jusqu’à la fourchette de la rançon, ce qui s’avère on
ne peut plus juste aujourd’hui, si l’on s’en tient aux révélations dont
vous faits état. Ensuite, la façon dont cette affaire a été gérée
commence à me choquer sérieusement.
Vous affirmez sans aucune réserve que l’argent a été déboursé par la France, or ils soutiennent le contraire. Qui croire ?
Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire, il s’agit
d’avoir un peu de sens de l’analyse et de la prospective conjoncturelle,
factuelle et matérialiste. Pourquoi pouvez-vous croire que Paul Biya,
même si des raisons politiques tout à fait opportunistes militent pour
cette option, ait pu sortir plusieurs milliards dans cette affaire ?
GDF-SUEZ pèse plus lourd que le budget du Cameroun multiplié par dix et
son patron était à Yaoundé pour arranger les termes de l’échange, de la
dépense. C’est d’ailleurs tout simple, puisque une telle somme a
forcement été versée en un mélange de plusieurs devises : Euro, CFA,
Dollar. Le Nigéria et le Cameroun avaient reçu des instructions claires
sur la conduite à tenir et les deux pays ont obéit sans anicroches.
Qu’est-ce qui vous choque dans la façon dont l’affaire a été gérée ?
Ecoutez, les français ont démontré que les pays africains et
leurs dirigeants demeurent des marionnettes manipulables à souhait pour
les desseins géopolitiques et stratégiques des grandes puissances. C’est
à croire que nous restons de simples colonies. Ce qui nous a été
demandé ne pouvait pas l’être à un pays comme l’Algérie. La France nous a
utilisé pour couvrir une opération compromettante pour son image et
humiliante pour son président. En somme pour éviter que l’on dise que
Hollande dis une chose et fait son contraire, on a tout mis sur le dos
du pauvre Paul Biya, sachant qu’il ne pourra pas démentir, et par
ailleurs que dans son régime, il n’existe pas de réel mécanisme de
contrôle populaire de nature à lui demander de rendre compte dans une
telle situation.
Est-ce aujourd’hui que vous découvrez notre dépendance ? Pourquoi en faire un si grand problème ?
Attendez, il y a un autre aspect de l’affaire qui vous échappe
et je ne vous en veux pas, car il faut être un habitué des enquêtes anti
terroristes pour comprendre de quoi il est question. Lorsque l’on
libère les otages comme cela a été le cas, les autorités sécuritaires du
pays où les faits se sont produits, conduisent des auditions
rigoureuses généralement appelées « debriefing » . Il s’agit d’un
exercice très important qui permet par des entretiens pointilleux entre
des agents des unités spécialisées en terrorisme, avec les otages
libérés, de collecter des informations de première main sur l’identité
de l’organisation terroriste, les méthodes, les séquences de vie, les
moindres signes et indices. Ces informations sont très utiles pour la
suite, pour l’agencement stratégique de la lutte et pour la prévention
de futurs crimes. Or que constatons nous dans ce cas, que le ministre
des affaires étrangères français, Laurent Fabius, est venu chercher ses
compatriotes et est reparti aussitôt. C’est inacceptable, cela ne se
fait pas, cela est contraire aux usages en matière de lutte anti
terroriste. La France aurait du dépêcher au Cameroun, une unité d’agents
spécialisés pour un débriefing menée de façon conjointe, sur place.
Au-delà du professionnalisme, il y a en plus la politesse élémentaire
qui a été copieusement bafouée. Comme d’habitude, notre rôle s’est
limitée après à un partage de champagne, comme toujours avec l’Africain
condamné aux choses superficielles.
Non, pas si loin, mais franchement, il y a de quoi crier sa déception, particulièrement quand on est assez instruit et professionnalisé dans un domaine et que l’on assiste à l’humiliation de son pays de cette façon. Depuis la libération des otages, on continue de fêter par ici, de dire que nous avons réalisé un grand coup. J’ai même vu des motions de soutien fleurir. C’est terrible combien nous pouvons être attardés. Savez-vous comment les occidentaux, les européens nous regardent après toutes ses bouffonneries ? Moins que des animaux sans âme et sans capacité de discernement et d’analyse. Logiquement, nous aurions du avoir une commission lourde constituée de magistrats et des meilleurs cadres de nos forces de sécurité pour conduire des enquêtes après ce coup. L’opinion doit savoir et a le droit de savoir. Par ailleurs, une information judiciaire a du être ouverte, je présume, et le procureur en charge du dossier doit communiquer.
Selon vous, que peut encore faire le gouvernement camerounais dans cette affaire ?
Mais alors, tout semble terminé du côté de Yaoundé, au moment
où tout ne fait que commencer véritablement du côté de Paris. Je crois
que vous pouvez vous rendre compte de la réalité des régimes politiques,
des contextes institutionnels, de la marge de manœuvre des citoyens et
de la société civile. Ce n’est pas la peine de se fendre à longueur
d’année que nous sommes un Etat de droit. Non, la réalité est trop
différente et nous rattrape toujours. On dit qu’on a donné l’argent, que
c’est votre président, et personne ne pose de question, ni député, ni
chef de parti, ni autre. On construit un cinéma risible sous nos yeux
avec des otages qui repartent dans un avion avec leur ministre des
affaires étrangères, et c’est encore bouche cousue partout. Mieux,
quelques crapauds se fendent en motions de soutien. Je ne sais plus s’il
faut rire ou pleurer, vraiment.
Sur quelles bases aviez-vous imaginé la fourchette de la rançon ?
C’est beaucoup plus complexe pour des personnes qui ne sont pas
du métier, je veux dire qui ne sont spécialisées dans les questions du
terrorisme international. Il n’y a pas de magie ni d’invention
sulfureuse dans la projection des indemnisations lorsque l’on est en
face d’une prise d’otages par un groupe terroriste. Ces groupes sont de
divers types et de divers niveau d’entraînement, de radicalisation,
d’endoctrinement, d’organisation, d’influence, de puissance et
d’implantation. Tout dépend donc véritablement de quel groupe vous avez
contre vous. Si je prends Al Qaeda, nous avons en face une nébuleuse
composite plus dangereuse, plus implantée à travers le monde et
disposant d’autant de branches que de chefs. Al Qaeda en Afghanistan est
par exemple très loin de Al Qaeda au Maghreb islamique et de Al Qaeda
dans les monarchies du Golfe et en Irak. D’un côté vous avez des
organisations riches et puissantes, le cas de l’Afghanistan, et de
l’autre vous avez de petits groupes locaux sans grand entrain en quête
de reconnaissance. Pour négocier une libération d’un seul otage en
Afghanistan ou dans le Golfe, il faut mettre pas moins de vingt (20)
millions d’euros sur la table pour commencer. Or, dans le cas de Boko
Haram, il s’agit plus de petits bandits en perdition résultant des
montages criminels qui avaient été fait par les politiciens du nord
Nigéria. C’est plus facile d’imaginer qu’ils commencent par exemple par
demander un millions d’euros par tête d’otage, soit au total sept
millions, quitte à ce que des négociations s’arrêtent à la moitié. C’est
probablement¸ le scénario que nous avons eu dans cette affaire. Boko
haram n’a pas de véritable idéologie, c’est une affaire de lamentables
petits voyous sans attache solide et repérable.