Sérail – Diplomatie: Paul Biya doit-il forcer la reconnaissance internationale ?

DOUALA - 27 Mars 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Le chef de l'Etat camerounais n'aurait pas besoin de la caution internationale s'il y avait la bonne gouvernance dans le pays, un code électoral crédible, des élections transparentes sans score à la soviétique en faveur du Rdpc au pouvoir et beaucoup d'autres choses.


Les couples Biya et Obama: New York 2009
Photo: © Archives


Nous savons tous que le président Paul Biya a déjà mis beaucoup d'argent dans la communication pour redorer son blason dans certains pays comme les Etats-Unis, la France et autres mais ces opérations de lobbying n'ont jusqu'à présent débouché sur aucun résultat concret, le chef de l'Etat n'ayant pas réussi à se faire inviter en visite officielle par Barack Hussein Obama à Washington ni à obtenir une visite de Nicolas Sarkozy, son homologue français au Cameroun. Pourquoi quoi cet ostracisme de certains chefs d'Etat et de gouvernements étrangers à l'égard de Paul Biya? Aurore Plus tente une explication.


I- La situation politique interne

Si les Américains et les autres pays occidentaux ne portent pas Paul Biya dans leurs cœurs c'est principalement à cause du fonctionnement très chaotique selon eux dans lequel le chef de l'Etat maintient son pays sur tous les plans, surtout sur les terrains de la gouvernance en général et du système politique en particulier.


Le système politique

La prépondérance politique ou plutôt la mainmise du Rdpc au pouvoir sur le système politique n'arrange pas les partenaires occidentaux du Cameroun. En effet, quand le régime actuel se réjouît des victoires à la soviétique de Paul Biya aux présidentielles et de son parti aux législatives (le Rdpc à 158 députés sur les 180 que compte l'Assemblée nationale) cela met très mal à l'aise certaines capitales occidentales. Dans le scrutin présidentiel du 9 octobre 2011, Paul Biya a obtenu 3 772 527 suffrages sur un total de 4 837 249 soit 77,9891% contre 1 064 722 suffrages soit 22,0109% pour les 22 autres candidats.


A l'extérieur du Cameroun et particulièrement dans certaines capitales occidentales, on considère que ce résultat n'est pas juste car comment un seul candidat peut-il réunir sur son nom plus de suffrages que l'ensemble des 22 autres candidats s'il n'y a pas eu des manipulations en faveur du gagnant. Pour ces capitales occidentales si Paul Biya a gagné avec un score si élevé, c'est parce que tout a été fait par son parti pour qu'il en soit ainsi : achat de consciences, des électeurs votant à plusieurs reprises pour Paul Biya, bourrage des urnes en faveur de Paul Biya, bureaux fictifs en faveur de Paul Biya, etc. Sans oublier que le système électoral camerounais ne comporte pas de second tour, comme au Sénégal. Sans oublier que pour la plupart des Camerounais, Elecam, l'organisme chargé d'organiser matériellement les élections est constitué en grande partie par des membres du Rdpc au pouvoir. Donc pour ces capitales occidentales surtout Washington, le scrutin présidentiel du 9 octobre 2011 est marqué de nombreuses irrégularités, sur tous les plans et ne peut donc être considéré valide. Pour ces capitales occidentales, Paul Biya a truqué la présidentielle et n'est donc pas à sa place. Et pour qu'il soit pris au sérieux, qu'il soit crédible, il doit apporter des réformes profondes au système électoral avec tout ce qu'il y a autour. Paul Biya semble avoir compris ces appels venant de l'extérieur mais en réalité ce sont des appels venant de l'intérieur du pays (partis politiques, acteurs de la société civile) que la communauté internationale a récupérés. En effet, l'opinion publique nationale a souvent critiqué avec véhémence la manière avec laquelle les élections sont organisées au Cameroun et dénoncé les textes sur un ensemble de choses : inscription sur les listes électorales, absence de bulletins uniques, absence d'un système à deux tours, introduction de la biométrie, etc.

Paul Biya a compris ces appels mais n'a lancé les réformes qu'après sa réélection à la présidentielle comme s'il redoutait quelque chose en introduisant les réformes avant le scrutin du 9 octobre 2011. C'est comme s'il a décidé de sacrifier les législatives et les municipales sur lesquelles vont s'appliquer les réformes à venir et sur la prochaine présidentielle de 2018 quand il ne sera plus candidat.

Avant même que ces réformes électorales n'aient commencé, on note le satisfecit des capitales occidentales à l'endroit de Paul Biya. L'ambassadeur allemand reçu l'autre jour en audience au palais de l'Unité n'a-t-il pas félicité le chef de l'Etat pour ces réformes qui seront entreprises alors que l'objet de sa présidence à Etoudi concernait les sujets économiques. C'est dire l'intérêt que ces capitales occidentales portent à ces réformes. Avant la déclaration de l'ambassadeur allemand, son homologue français Bruno Gain avait fait une déclaration similaire à l'endroit du président Paul Biya qu'il avait chaudement félicité.


La mauvaise gouvernance

Sur un plan plus global, les capitales occidentales reprochent au régime Biya l'opacité dans laquelle .est gérée le Cameroun surtout en matière financière. Même si un effort est fait dans la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics par le biais de l'opération épervier, ces capitales occidentales ne sont pas convaincues de la sincérité et de la volonté de Paul Biya de mettre un terme à la gabegie. Même l'opération déclenchée par Henri Eyebe Ayissi, ministre délégué à la présidence chargé du contrôle supérieur de l'Etat qui a convoqué récemment dans ses services plusieurs hautes personnalités du pays pour s'expliquer sur leur gestion des affaires publiques ne les convainc pas tout à fait. Paul Biya sait donc pourquoi il n'est pas en odeur de sainteté à Washington, à Londres, à Berlin.


II.- Une constance chez les ambassadeurs américains à Yaoundé

Ce n'est pas aujourd'hui que Paul Biya a maille à partir avec les Américains. En effet on constaté qu'au début des années 1990 avec le retour du multipartisme dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone, les Américains avaient nommé des femmes comme ambassadrices à Yaoundé. L'une de ces femmes venait du Bénin d'où dit-on elle avait contribué à la perte du pouvoir par Mathieu Kérékou, un général qui était au pouvoir depuis 1972 au profit de Nicéphore Soglo. L'une et l'autre de ces femmes à poigne qui appartenaient au GI et la CIA n'avaient pas réussi à déstabiliser le régime Biya, elles qui soutenaient ouvertement l'opposition incarnée par Ni John Fru Ndi le Chairman du Sdf.


Cette politique d'hostilité américaine à l'égard du président Paul Biya a été poursuivie par Janet Garvey, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun qui a quitté notre pays il n'y a pas longtemps. Dans ses rapports confidentiels sur le Cameroun, elle avait déjà ciblé de potentiels dauphins à Paul Biya dont l'ancien ministre d'Etat à l'Administration territoriale et de la décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, qui avait un profil idéal pour avoir fait une partie de ses études supérieures aux Etats-Unis où il avait obtenu le diplôme d'ingénieur en pétrochimie.


Le problème avec Sarkozy

Le problème que Paul Biya a avec le président candidat français Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle du 22 avril prochain n'est pas de la même nature que celui des Américains. Certes, Nicolas Sarkozy est un peu regardant sur l'organisation des élections, la gouvernance mais si on s'en tenait là, il n'aurait jamais mis les pieds au Gabon, en République démocratique du Congo, en République du Congo, au Tchad où les choses ne sont pas mieux organisées ou ne fonctionnent pas mieux qu'au Cameroun. Le Cameroun est le pays le plus important de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac) sur les plans démographique, économique, industriel, sportif mais en dépit de ces atouts, de son poids Nicolas Sarkozy n'a daigné y mettre les pieds. Le problème est ailleurs et nous l'avons déjà signalé à plu-. , sieurs reprises dans notre journal.

Nicolas Sarkozy considère que Paul Biya ne l'aime pas par le fait qu'il n'a pas financé sa campagne pour la présidentielle de 2007 au même titre que tous les autres présidents d'Afrique noire francophone (ceux colonisés par la France) comme par exemple Omar Bongo Ondimba. Or c'est faux, Paul Biya comme la plupart de ses pairs africains avait envoyé deux mallettes d'argent en France dont une à Sarkozy candidat de l'Ump et l'autre à Ségolène 'Royal, candidat du parti socialiste. La mallette du Ps que portait l'ancien ministre de la Santé pudique, Urbain Olanguena Awono, qui comparaît aujourd'hui pour corruption et détournement des deniers publics dans le cadre de l'opération Epervier n'était jamais arrivée à destination. La mallette destinée à Nicolas Sarkozy était arrivée à destination mais les anciens ministres Polycarpe Abah Abah et Atangana Mebara avaient dit à Nicolas Sarkozy que c'est eux qui lui donnaient cet argent et non Paul Biya qui n'avaient rien envoyé.

Voilà d'où vient la discorde qui existe entre Nicolas Sarkozy et Paul Biya. D'où pourquoi Nicolas Sarkozy n'a jamais mis les pieds au Cameroun, pourtant le président-candidat français doit savoir aujourd'hui que Paul Biya avait fait le bon geste, lui avait envoyé de l'argent.


Un lobbying coûteux mais inefficace

Le président Paul Biya qui considère que être invité et reçu à la Maison Blanche par le président américain et recevoir le président français au Cameroun au palais de l'unité à Yaoundé sont des actes majeurs pour sa reconnaissance internationale a donc entrepris de mettre les moyens nécessaires pour parvenir à ses fins. D'où l'appel aux cabinets de communication et autres lobbyistes internationalement connus.

Or en dépit de sommes faramineuses (en milliards de francs Cfa depuis des années) versées aux français Patricia Balme et autres Fuks et aux Américains, Paul Biya n'a encore rien obtenu jusqu'à ce jour : Nicolas Sarkozy n'a jamais mis les pieds au Cameroun et le président camerounais n'a jamais été invité à visiter officiellement les Etats-Unis par l'actuel locataire .de la Maison blanche Barack Obama.


Pas de bons conseillers en communication

Nous ne savons pas qui sont les conseillers du président Paul Biya en matière de communication. Ils lui auraient conseillé une autre approche, l'actuelle ne payant pas. A leur place, nous lui aurons conseillé de ne plus mettre de l'argent dans cette affaire qui ressemble à un tonneau des Danaïdes mais plutôt de se tourner vers les pays émergents dont la Chine où il a effectué un voyage très réussi sur les plans économique et politique l'année dernière et de travailler à la réussite des Grandes réalisations et des réformes politiques entreprises il y a quelque temps.



III- La reconnaissance internationale viendra seule si...

Le président Paul Biya n'a pas besoin de faire le forcing s'il travaille bien à l'intérieur du pays sur le double plan économique et politique.


Plan économique et infrastructurel

Si le président Paul Biya transforme le Cameroun en un «immense chantier» comme il l'avait déclaré lors de son discours de politique générale lors des travaux du 5ème congrès ordinaire du Rdpc de l'année dernière il n'aura plus besoin de forcer l'admiration des capitales étrangères qui vont modifier leur jugement vis-à-vis de lui. Si en effet comme l'a promis le chef' de l'Etat, le Cameroun devient un immense chantier avec la construction des barrages hydroélectriques, du port en eau profonde de Kribi, des routes, du chemin de er, ce sont ces gens là qui le boudent aujourd'-hui qui chercheront à nouer des relations avec lui. Le président Paul Biya ne se présentera plus dans une posture de quémandeur ou de demandeur mais d'une belle dame à courtiser. Et si on ajoute à la mise en place des infrastructures l'exploitation de nos gisements miniers, la découverte de nouveaux puits de gaz, à coup sûr la cote du président Biya va grandir à l'international.


Sur le plan politique

Si les réformes qui vont être engagées dans les jours à venir aboutissent, Paul. Biya pourrait marcher la tête haute, le torse bombé. Et nous pensons que le code électoral sera revu comme le veulent les partis politiques de l'opposition, la société civile et la communauté internationale. Les élections à deux tours comme au Sénégal ne sont pas une mauvaise chose que ce soit à la présidentielle, aux législatives, aux municipales ou à toutes autres élections.

Si tout ce qui précède suries plans économique et politique est fait, la reconnaissance internationale viendra toute seule. Paul Biya n'aura pas besoin de se battre ou de dépenser des milliards en lobbying.



28/03/2012
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