Sénégal: Wade et la tentation du pouvoir à vie
Sénégal: Wade et la tentation du pouvoir à vie
Comme tant d’autres avant lui en Afrique, le président Wade rêve de mourir au pouvoir. Après l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2012 pour un troisième mandat consécutif, il vient de procéder à la nomination d’un nouveau président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté. Ce dernier étant présenté comme favorable au chef de l’Etat sénégalais, il n’en fallait pas plus pour éveiller les soupçons des opposants et déclencher une pluie de critiques parmi lesquelles celles des experts du droit constitutionnel.Pour le Premier ministre sénégalais, Souleymane Ndéné Ndiaye, membre du Parti démocratique du Sénégal (PDS) au pouvoir, “la Constitution permet à Wade de se représenter en 2012". “Ceux qui disent que le président de la République ne doit pas se présenter ne font pas du droit”, a-t-il lancé. En fait, la Constitution du Sénégal, adoptée en 2001, limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais le président Wade, 84 ans, a d’abord été élu en 2000 pour sept ans. Entre-temps, le Sénégal a modifié sa Constitution en vue de passer au quinquennat. Cela a alors permis à Me Wade de se faire réélire en 2007 pour un deuxième mandat, de cinq ans cette fois. Si pour le parti au pouvoir la chose paraît bien légale, pour l’opposition et différents experts, un troisième mandat serait synonyme de “violation” de la Constitution. La Loi fondamentale aux termes de laquelle le président Wade a été élu la première fois pour 7 ans, date de 1963. Elle ne limitait pas les mandats.
M. Sy, un rédacteur de la Constitution de 2000, explique que dans “l’esprit de la Constitution de 2001 », il fallait « éviter des présidents qui font vingt ans au pouvoir comme Léopold Sédar Senghor (1960-1980) et Abdou Diouf (1981-2000) » et opter pour un mandat de dix ans au maximum. Me Wade ayant été élu en 2000 (avec la Constitution de 1963), il fallait donc assurer une période transitoire en acceptant exceptionnellement qu’il fasse éventuellement douze ans”, précise le constitutionnaliste sénégalais.
A Dakar, on rappelle que les candidats à la présidentielle de 2012 peuvent déposer un recours devant le Conseil constitutionnel pour invalider la candidature de Me Wade. Mais pour Ibrahima Sène, “Wade a verrouillé” le Conseil constitutionnel en nommant un de ses partisans à sa tête. En ce qui le concerne, Ababacar Guèye, enseignant en droit public à l’université Cheikh Anta Diop, pose un problème d’âge : “Le Conseil constitutionnel doit invalider la candidature du président Wade. On risque d’élire un président de la République qui aura presque 90 ans, avec des risques de crise politique au Sénégal”. “Un faux débat », réplique le porte-parole du président Wade, Serigne Mbacké Ndiaye. Pour le Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) le décompte doit se faire à partir de 2007, date d’entrée en vigueur du quinquennat, non 2000.
De son côté, l’opposition sénégalaise n’entend pas baisser la garde. Elle comprend outre les membres du Parti socialiste naguère conduit par l’ancien président Abdou Diouf, d’anciens partisans ayant soutenu l’actuel chef de l’Etat dans sa conquête du pouvoir d’Etat. Pour couronner le tout, en début août, un mouvement politique dénommé “Terminus 2012" a été lancé à Dakar pour s’opposer à cet éventuel troisième mandat du président Wade. “Aucun texte ou aucune disposition” ne lui permet “de faire exception” à la règle des deux mandats, dit son initiateur, Amadou Guèye.
Certes, les échanges qui ont cours actuellement au Sénégal témoignent de l’existence d’un réel débat démocratique auquel aspirent tous les peuples de ce continent. Il reste que cela traduit la profondeur de la décrépitude morale qui habite une partie de la classe politique au pouvoir. Ces élites sur qui le continent était en droit de fonder beaucoup d’espoir sont devenues, au fil du temps, des thuriféraires et de véritables assoiffés de pouvoir. Ce sont elles qui rendent aveugles, sourds et féroces les princes, mais sont toujours promptes à changer de vestes ou à crier au loup lorsque le vent du changement balaie les pouvoirs décadents qu’ils cherchent toujours à imposer même contre la simple logique. On l’a vu au Niger et on le voit de plus en plus ouvertement presque partout.
A coups de tripatouillage constitutionnel, de référendum et d’adoption de textes de lois, ils imposent, toute honte bue, leur propre schéma à l’ensemble du parlement par le jeu de la majorité. Ces pratiques, au demeurant anti-démocratiques, sont pour la plupart favorisées par plusieurs facteurs. On note principalement la fragilité des institutions. Il y a surtout le cas des Cours et Conseils constitutionnels où siègent généralement des membres désignés d’office par le pouvoir ou forcément limités dans leurs prérogatives pour ne pas nuire à certains intérêts. Ils devraient pourtant servir de barrières à l’arbitraire et au parjure, en tant que garants suprêmes de la justice que l’on voudrait pleine de sagesse, de noblesse, d’égalité et d’impartialité.
Les élites qui rôdent autour du pouvoir, semblent ne jamais craindre les lendemains qui déchantent. Elles savent bien exploiter les grandes faiblesses du peuple : analphabétisme, manque de formation politique, etc. Accrochées à la nacelle du pouvoir, elles usent de tous les artifices pour convaincre le prince de ses desseins messianiques. Arc-boutés sur leurs propres principes, elles savent si bien justifier la pérennité des pouvoirs en place, qu’on leur offrirait le bon Dieu sans confession. Il y aurait selon elles, nécessité de répondre ad vitam eternam aux attentes désespérées du peuple.
Désormais, pour se maintenir au pouvoir « à vie », la plupart des chefs d’Etat africains n’hésitent plus à exploiter des vides juridiques confectionnés à dessein, et à violer ouvertement leurs propres serments. Même si nul ne doit se prévaloir de sa propre turpitude, on sait désormais comment abuser de la loi pour se maintenir aux affaires. Des thuriféraires sans scrupules seront toujours là, pour claironner que dans son application, la loi ne saurait être rétroactive. Tant pis si le peuple et les démocrates d’ici et d’ailleurs ne sont pas d’accord. Tant pis pour l’opposition, toujours faible, divisée et sans ressources, parfois soumise aux caprices et chantages du prince manipulateur. Tant pis pour les partenaires techniques et financiers (PTF). Mais qu’il a trop attendu, ce diplomate occidental (US) qui a tout de même osé s’en prendre au pouvoir sénégalais à propos de ses dérives !
Mais alors, jusqu’à quand donc continuera-t-on de violer allègrement la Constitution, en la modifiant à son profit, et en permettant au chef de l’Etat au pouvoir de se succéder à lui-même ? Serait-ce ainsi les recettes de la nouvelle démocratie républicaine sur le continent ? Sénégal de Me Wade et de l’après-Senghor, vous ne nous apprenez rien de nouveau. Vous venez tout simplement grossir les rangs de ceux qui tendent à restreindre la république au rang de monarchies absolutistes, et à faire reculer la démocratie au prix de mille sacrifices sur ce continent.