Sénatoriales - Une destabilisation du pays évitée: Comment Paul Biya a manœuvré pour étouffer un soulèvement social

Douala, 08 Mars 2013
© Mathieu Nathanaël Njog | Aurore Plus

La convocation du collège électoral des sénatoriales était une décision susceptible d'entraîner des remous sociaux tant les leaders des partis politiques avaient mis en garde le Chef de I'Etat sur l'organisation des élections sénatoriales avant les élections législatives et municipales.

I-Destructurer les forces contestataires

Plus que par le passé, Paul Biya avait dans son traditionnel discours de fin d'année déclaré que les élections sénatoriales auront lieu cette année. «L’adoption récente d'un Code électoral unique va aussi dans le sens de la modernisation de notre processus démocratique. ll s'est avéré également nécessaire de mettre en conformité avec la Constitution certaines dispositions concernant le Conseil constitutionnel en vue de la mise en place de cette haute juridiction. Celle-ci interviendra après les élections sénatoriales prévues en 2013».

Maurice Kamto, le Président du MRC, éminent homme de Droit avait alors vite fait de tirer la sonnette d'alarme, y voyant une volonté du Chef de I'Etat de porter une atteinte grave à la construction d'un Etat démocratique, en décidant d'organiser les élections sénatoriales avant les élections municipales et législatives attendues cette année. La démocratie étant un chantier dans lequel le Cameroun s'est engagé depuis le retour au multipartisme en 1990.

A sa suite, Fru Ndi, le Chairman du SDF, parti leader de l’opposition camerounaise, avait alors menacé «d’aider Paul Biya à gâter le Cameroun» si ce plan machiavélique dénoncé par le MRC venait à se confirmer. Le Chef de I'Etat camerounais et ses exégètes y avaient vu une situation qui pouvait déboucher sur une implosion sociale, au regard des émeutes de février 2008, survenues sous le prétexte de la contestation de la vie chère, mais en réalité qui exprimaient un ras-le-bol des Camerounais de voir se profiler à l’horoizon la perspective de la modification de la Constitution, notamment de l’article sur la limitation des mandats. Portant un véritable péril à l’espoir d’une alternance par les urnes.

C’est ainsi que le régime Biya a décidé d’anticiper sur les leviers sensibles et les foyers potentiellement contestataires, aussi bien des forces politiques que sociales afin de les neutraliser au plus vite. Sachant pertinemment qu'il s’engagerait dans une voie qui pourrait conduire à la déstabilisation du pays et plonger le Cameroun dans une crise politique dont il ne maîtrise pas l'issue.

C'est ainsi que profitant d'une manifestation traditionnelle de fin d'année de l'UDC pour faire valoir sa démonstration de force dans la ville de Foumban, chef-lieu du Département du Noun, bastion traditionnel de ce parti, le régime au pouvoir a suscité un accrochage afin de fragiliser au plus vite ce parti en mettant aux arrêts ses militants les plus « taciturnes», et en y ajoutant des poursuites judiciaires. Ce qui a été fait pour montrer qu’au-delà de tout, l'autorité de l'Etat est bien plus puissante que le leader de ce parti politique dont l'impuissance pour sortir ses militants dans une telle trappe est étalée au grand jour. Et son épouse député peut brailler lors des sessions de l'Assemblée Nationale, ses coups de gueule restent un coup d'épée clans l'eau. Et au final, cela a eu le mérite d'assagir le reste de la troupe.


Il- Mettre les leaders sous contrôle

Après c’était autour du SDF d'être infiltré par le régime au pouvoir. Réussissant à mettre en porte à faux la direction du parti et le Président régional du SDF dans le Littoral, dont on sait qu'il est un activiste, capable de mettre le feu aux poudres. Sa capacité de nuisance ayant à plusieurs reprises mis à mal le régime. Il est mis à l'index comme étant celui qui a déclenché le soulèvement social qui a abouti aux émeutes de la faim. C'est ainsi que la Secrétaire générale du SDF est sortie de nulle part avec des dossiers disciplinaires internes de manière à briser des ailes à l'Honorable Jean Michel Nintcheu. Ceci en dépit de la violation des procédures dont elle a fait preuve. Conséquence, le Président régional du SDF n'a pas pu organiser la commémoration traditionnelle des martyrs des émeutes de la faim. Coïncidant avec la convocation provocatrice du corps électoral des élections sénatoriales du 14 avril prochain, il est évident que cela aurait été l'étincelle qui aurait permis à Fru Ndi d'aider Biya à gâter le pays. Lui qui avait déclaré à chaud qu'il va sortir la machette devant cette atteinte grave à la démocratie.

Et pour mieux contrôler les leaders politiques, le Président de la République a demandé au Premier ministre de rencontrer les leaders dans l'optique d'une consultation sur la question des sénatoriales et leur organisation avant ou après les municipales et les législatives. Une manière de sortir les leaders politiques représentés à l'Assemblée Nationale de leur bastion et les réunir sous contrôle dans la capitale au moment où sont publiés les décrets convoquant les élections sénatoriales. Une manière de les atténuer. Car étant dans leurs bases respectives, il est évident que Fru Ndi et Ndam Njoya, les seuls partis capables de pouvoir consolider leurs assises lors des prochaines élections municipales et législatives, pouvaient organiser des soulèvements spontanés qui pouvaient dégénérer. Pris dans cet étau, Fru Ndi a donné rendez-vous au Comité exécutif d'urgence qui a été convoqué le 2 mars. Là encore on a vu le Chairman prendre un virage à I80°. Noyauté, ses lieutenants l'ont amené à avoir une position qui rompt avec cette annonce de va-t’en guerre qu'il a faite à chaud. Se proposant de rencontrer Paul Biya. Une manière de donner du temps au régime au pouvoir qui en a profité pour susciter la participation de ses partis politiques alliés (UNDP, MDR, UPC K,..)


Ill- Faire une fleur aux couches sacrifiées

Sachant que leurs bras armées sont les couches défavorisées que constituent les sans-emplois et particulièrement les motos-taximen, le Chef de I'Etat a pris soin dans son discours du 10 février 2013 de leur faire une fleur. Notamment en les invitant à ne plus être des frondeurs automatiques. «Certes, la possession d’un diplôme ne garantit toujours pas l'accès à l'emploi. Mais là aussi I'Etat intervient dans toute la mesure du possible en intégrant un grand nombre de jeunes diplômés dans la fonction publique et dans les services de sécurité». Et de poursuivre : «Mais je désire aussi parler directement aux jeunes qui ne vont pas à l'école, à ceux qui sont sortis prématurément du système scolaire et aux diplômés qui n'ont pas encore trouvé d'emplois et qui désespèrent d'en trouver. Dans le meilleur des cas, ils exercent une certaine une certaine activité dans l’informel très souvent en deçà de leurs capacités. D'autres n’ont pas cette chance et croupissent dans I’oisiveté ou le vagabondage, avant de verser parfois dans la délinquance. Ceux qui ont un emploi, qu'ils soient pousseurs, chargeurs, tacherons dans les chantiers, conducteurs de mototaxis etc… peuvent en vouloir à la société. Je peux aussi comprendre qu'ils soient tentés par la fronde. Mais ce ne serait pas la bonne réponse. L’expérience montrant que celle-ci aggrave les problèmes sans apporter de solutions».

On comprend pourquoi, une semaine plus tard, Ferdinand Ngoh Ngoh, le Secrétaire général de la Présidence de la République, a été commis pour aller à la rencontre des vrais-faux moto-taximen du quartier Olembé à Yaoundé, avec un ramdam des médias d'Etat pour donner l'illusion du suivi de cet intérêt que le Chef de I'Etat dit porter à leur attention. Mais dans le même discours, des partis politiques organisés qui avaient pris soin de décrypter ce message aurait compris que Paul Biya était dans un processus qui conduirait inéluctablement à cette convocation des sénatoriales avant les municipales. Et les enseignants n'étaient pas en reste, eux qui sont aussi de ces groupes sociaux revanchards, mais qui ont en plus le devoir d'éduquer cette jeunesse sacrifiée. «Je me tournerai maintenant vers les enseignants, dont au demeurant bon nombre font partie de la jeunesse, auxquels nous avons confié nos enfants pour qu'ils leur transmettent les savoirs indispensables à leur insertion dans la société et qu'ils les préparent à une citoyenneté responsable. Ceux qui exercent ce que I’on considérait il n y a pas si longtemps comme une vocation plutôt qu'un métier, sont je ne l'ignore pas parfois saisis par le découragement ; le niveau des rémunérations, les conditions de vie, surtout dans les zones rurales ou la dégradation de la fonction enseignante y sont pour beaucoup». On en est alors à se demander si on est encore une opposition ?



08/03/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres