Jusqu’à 22h jeudi dernier, Cavaye Yeguie Djibril n’avait pas encore déposé sa liste devant la commission d’investiture des candidats du Rdpc aux sénatoriales du 14 avril prochain. Mais aux dernières nouvelles, tout porte à croire qu’il aurait déjà constitué une liste. En face, s’il est confirmé que le président de l’Assemblée nationale est en lice, il aura, dans un premier temps, à affronter la concurrence de 5 listes provenant de l’Extrême-Nord : celle de Kamsouloum Abba Kabir, d’Hamadou Evele, de Tori Limangana, de Gounoko Haounaye et d’Alioum Alhadji. Et dans un second temps, il pourrait avoir en face de lui, au sprint final, un certain Peter Mafany Musongue, pour le prestigieux poste de président du Sénat.
Pourtant de nombreux observateurs le disaient usé et soucieux de ne pas faire le mandat de trop, après avoir passé de longues années au perchoir de l’Assemblée nationale. Que non ! Tout le long de la semaine dernière, on a observé une sorte d’effervescence trouble dans les milieux des parlementaires de l’Extrême-Nord, comme si ce n’est pas le consensus entre ces parlementaires et le président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguie Djibril, dans la constitution de la liste des parlementaires pour les prochaines sénatoriales. De bonne source, on apprend que les parlementaires de l’Extrême-Nord, sous la houlette de Kamsouloum Abba Kabir et de Sali Daïrou auraient requis l’avis du président de l’Assemblée nationale pour constituer une liste commune pour les prochaines sénatoriales.
Selon la même source, Cavaye Yeguie Djibril a préféré se terrer dans son palais et éviter de communiquer ainsi avec ces autres parlementaires sur ses véritables intentions. Notre source précise qu’il se serait excusé en déclarant qu’il se laisse le temps de la réflexion pour décider s’il faut se jeter à l’eau ou pas. Pendant que certains observateurs pensent qu’il entretient ainsi le suspense, d’autres ont plutôt commencé à répandre l’information selon laquelle il attendrait l’autorisation du président de la République. Pourtant, ce sont les mêmes qui confient en privé dans les milieux de l’élite politique de l’Extrême-Nord qu’en réalité, chaque fois qu’il est allé aux élections, le président de l’Assemblée nationale n’a jamais eu le feu vert préalable du président Paul Biya. Bizarrement, la nouvelle de la constitution de sa liste va très vite parvenir aux oreilles des autres parlementaires. Apparemment, c’est cette nouvelle qui aurait poussé ce groupe de députés composé de Sali Daïrou, ancien ministre de la Fonction publique et membre du Bureau politique du Rdpc, Kamsouloum Abba Kabir, membre du Comité central du Rdpc et questeur à l’Assemblée nationale, Isabelle Silikam, membre du bureau de l’Assemblée nationale, Abba Boukar, maire de Mora et membre d’honneur du Comité central du Rdpc et d’autres comme Zondol Hersesse et Gounono Jean, à constituer à leur tour une liste concurrente. Pour certains, en le faisant, ils se sont dits qu’il vaut mieux le faire ainsi pour ne pas être pris au dépourvu.
Seulement, cette liste aura, au niveau de la commission d’investiture des candidats du Rdpc aux sénatoriales, à se frotter à la concurrence, non seulement de celle de Cavaye Yeguie Djibril (même comme jusqu’à 22h jeudi aucune trace de cette liste n’était encore visible au niveau de la commission d’investiture), mais à celle conduite par Tori Limangana, ancien vice-ministre de l’Economie et du Plan, et ancien ministre de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales, installé à Maroua après son passage à l’Organisation de la Conférence islamique (Oci) en tant que Secrétaire général adjoint. A côté de celleci, on parle aussi de 3 autres listes : celles conduites par Gounoko Haounaye, ancien gouverneur de la région du Littoral et ancien ministre des Transports ; par Hamadou Evele, membre du Comité central ; et par Alioum Alhadji, ancien chef de département des Finances de la Fécafoot. Ce sont autant de choses qui laissent déjà imaginer que tous les ingrédients sont réunis dans cette partie du pays, pour que le face-à-face entre le président de l’Assemblée nationale (s’il est réellement en lice) soit à haut risque. Même si l’on doute fort que le président Paul Biya donne suite favorable aux démarches de Cavaye (s’il est sollicité), tant son rôle de bouclier à l’Assemblée nationale demeure essentiel et suffisamment apprécié dans le système actuel de gouvernance. De même, croit-on penser dans les milieux des juristes, les textes ne prévoient pas qu’on puisse être à la fois député et sénateur.
Transition
L’argument facile est connu : on ne peut pas interdire à quelqu’un d’être candidat, c’est soit à la commission d’investiture du parti, soit aux électeurs de trancher. Mais ce qui se passe ainsi dans la région de l’Extrême-Nord est à plus d’un titre préoccupant, même si, pour le moment au Comité central du Rdpc, la règle est au silence gêné lorsque ce sujet est abordé. D’abord, en tant que président d’une Assemblée nationale dont le mandat prend fin dans 2 ou 3 mois, de nombreux observateurs ne s’expliquent pas la frilosité actuelle de Cavaye Yeguie Djibril. Est-ce parce que la Constitution dit que c’est le président du Sénat qui gère la transition en cas de vacance à la tête de l’Etat ? Si tel est le cas, avec la latitude de nommer 30 sénateurs, le président de la République est en droit de le nommer président du Senat sans qu’il ait à embarrasser ce dernier, comme il l’est actuellement depuis le début de ces messes basses. Effectivement, à 2 ou 3 mois de la fin des mandats des députés actuellement à l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguie Djibril embarrasse le Chef de l’Etat.
A titre d’exemple, lors de la prochaine rentrée parlementaire, si la candidature de Cavaye est validée par la commission d’investiture, l’Assemblée nationale va-t-elle se retrouver sans président ? Et quelle configuration parlementaire aura-t-on en outre, dans la région de l’Extrême-Nord si la liste de Kamsouloum Abba Kabir, essentiellement constituée de députés de cette région, est validée ? En d’autres termes, cela va-t-il signifier que cette région n’aura plus à l’Assemblée nationale de représentants ? A cause de la mise en place du Sénat (chambre haute), l’Assemblée nationale (chambre basse) est-elle entrain de perdre de son importance ? Mais alors, qui votera la loi des Finances et d’autres lois aussi importantes pour la vie de la nation ? Pourquoi Cavaye Yeguie Djibril n’-a-t-il pas adopté dans sa région la même posture que Jean Bernard Ndongo Essomba, le président du groupe parlementaire du Rdpc, dans le Centre en facilitant essentiellement la constitution de certaines listes avec des hommes sérieux et loyaux, en attendant que le président de la République fasse appel à lui quand il aura à nommer les 30 autres membres du Sénat, comme le prévoit la Constitution, s’il veut de lui comme président du Sénat ? Est-ce simplement parce qu’il veut demeurer la 2ème personnalité de la République pour continuer à jouir des privilèges de cet ordre protocolaire ? Autant de questions qui en appellent une essentielle : Cavaye Yeguie Djibril a-t-il aujourd’hui le bon profil pour assurer la présidence du Sénat ?
Décès de Paul biya
La constitution de la liste rivale de Kamsouloum Abba Kabir (présenté comme un fidèle des fidèles de Marafa) devrait, pour eux, être considérée comme un sérieux avertissement pour le président Paul Biya. Ce d’autant plus qu’on y retrouve le maire de Mora, Abba Boukar, présenté comme une girouette de Amadou Ali. Les réseaux de Marafa et d’Amadou Ali veulent-ils ainsi noyauter le Sénat pour, prétend-on, torpiller le coup en gestation dans les officines communes de Paul Biya et de Cavaye Yeguie Djibril ? D’autres observateurs pensent plutôt le contraire en se souvenant de cette histoire qui s’était répandue comme une trainée de poudre, il y a quelques années, après l’annonce du décès du président Paul Biya. Ils rappellent à cet effet que quand la rumeur sur le décès de Paul Biya était parvenue aux oreilles de Cavaye, il avait aussitôt éteint ses téléphones et avait pris la poudre d’escampette en se réfugiant dans son village natal dans le Mayo-Sava par crainte d’un coup de force militaire. Vrai ou faux ? Il faut tout de même avouer que le président de l’Assemblée nationale n’a jamais rien fait pour lever les doutes sur cette histoire. Voilà pourquoi les mêmes observateurs indiquent sans fard que le président Paul Biya n’a jamais fait les choses au hasard. En décidant de mettre en place le Sénat, il aura assurément déjà prévu sur sa table tous les scenarii les plus improbables, afin d’assurer un succès sans faille à sa manoeuvre. Ce qui semble enthousiasmer tous ceux-là qui pensent que le Sénat doit aujourd’hui revenir aux Anglophones.
A l’occasion, ils se souviennent encore du rôle d’arbitre que ceux-ci avaient joué entre les « Nordistes » et les « Sudistes » au mois d’avril 84, au paroxysme de la crise ouverte entre Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. Ne doivent-ils pas jouer une fois de plus, le même rôle en ces temps incertains où se profile à l’horizon la succession à Etoudi ? se demandent-ils avec insistance. Pour cette catégorie d’observateurs, c’est clair comme de l’eau de roche : Paul Biya veut imposer à la tête du Sénat Peter Mafany Musongue. Ce que le principal intéressé dément formellement. Pourtant, même sans être dans les secrets des dieux, ces observateurs louent volontiers les qualités de grand commis d’Etat de cet ancien Premier ministre aujourd’hui Grand Chancelier des ordres nationaux. Et surtout la justesse de ses positions quand il faut donner son avis sur la marche de l’Etat. Prudence, réserve, sens de la mesure. Tout dans son attitude et son discours traduit la crainte d’être excessif et de laisser échapper le mot de trop. Fausse modestie ou réel sentiment de pouvoir mieux faire ? Ces observateurs concluent qu’à travers lui, le président de la République aurait une bonne carte à abattre pour taire les cris d’orfraie et confondre les oiseaux de mauvais augure.