Sénatoriales: Les dangers du refus du consensus

Yaoundé, 04 Mars 2013
© La Rédaction | L'Actu

Fidèle à sa stratégie du contre-pied, Paul Biya a convoqué l'élection des sénateurs pour s'assurer le contrôle de cette institution nouvelle. Mais, le climat sociopolitique n'en est que plus crispé.

En convoquant le corps électoral pour l'élection des premiers sénateurs du Cameroun le 14 avril 2013, le Président de la République Paul Biya est resté fidèle à la démarche politique qu'il imprime à la tête de l'Etat depuis trois décennies: rester légaliste mais en s'assurant que lui seul reste la mesure de toute chose. Depuis la publication de cette information mercredi dernier, l'ensemble des leaders des partis de l'opposition et même des analystes de la société civile ont tous mis en exergue le mauvais jeu du Chef de l'Etat qui est en même temps Chef du parti majoritaire, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) qui, en faisant passer l'élection des sénateurs avant les municipales et même les régionales, s'assure royalement de donner une coloration RDPC au futur sénat puisque les sénateurs seront élus par les Conseillers municipaux issus des municipales de 2007 et qui sont à près de 90% étiquetés RDPC.

Il n y a d'ailleurs pas une autre lecture à faire de l'acte présidentiel convoquant les sénatoriales dans un mois et demi, que de dire qu'il s'agit de la perpétuation d'une entourloupe politique. Pour le parti régnant et son Chef en effet, il faut toujours prendre de l'avance sur le reste de la classe politique avant même le départ de la compétition. C'est tout, sauf le fair-play politique qui est pourtant la marque des nations modernes ou qui, comme le Cameroun de Paul Biya, aspire à devenir pays émergents à moyen terme. Face à l'énorme demande sociale d'un consensus minimal sur les grands principes de notre démocratie balbutiante, le pouvoir en place a toujours préféré le passage en force, les raccourcis ou le vernis enjoliveur à la place d'une vraie peinture acrylique. A la place d'une Commission nationale électorale indépendante (Cenis) qui, dans certains pays a permis d'apaiser les suspicions et les tensions autour des élections, le pouvoir de Yaoundé a d'abord servi l'Onel avant de se rabattre sur Elecam toujours placé sous sa coupe. Il a traîné les pieds pour admettre la nécessité, pourtant manifeste depuis longtemps, des inscriptions biométriques et d'un code électoral unique.

Si on peut reconnaître au Président Paul Biya d'avoir parfois le bon flair de ne pas céder précipitamment à la mode, cas de son refus de la conférence nationale souveraine présentée comme la panacée en Afrique au début des années 1990, il est clair que son refus caractériel du consensus ne fait pas plus avancer le Cameroun. Car refuser de résoudre les problèmes de manière consensuelle, ou faire semblant en mettant de la pommade là où une chirurgie s'impose, ne les évacue nullement. Alors qu'il faut parfois s'attaquer sérieusement à certains sujets et prendre le temps pour s'occuper d'autres, au lieu de traîner les mêmes en permanence - comme des boulets de condamné à mort. Pour prendre une image qui résume cette triste situation, si on avait construit dès le départ la route de mimboman château à Yaoundé solidement comme on semble le faire maintenant, on n'en serait pas là à rouvrir tout le temps ce même chantier. Aussi, peut-être que même la tenue d'une vraie table ronde (ou conférence) nationale, organisée sans calculs politiciens ni volonté d'effacer l’Etat en 1991, aurait permis d'évacuer durablement certaines questions qui reviennent tout le temps à la surface comme le contrôle du processus électoral ou l'efficacité des institutions républicaine.

On touche là à un autre domaine qui crée la fracture entre le sommet de l'Etat et le pays réel: l'application sélective des dispositions de la Constitution de janvier 1996. Pourquoi la mise en place des conseils régionaux n'a-t-elle jamais été perçue comme une urgence par le pouvoir en place? En quoi le sénat est-il plus utile aujourd'hui qu'il y a 17 ans quand la loi fondamentale l'a institué? Qu'est-ce qui peut expliquer que la Cour constitutionnelle ne soit toujours pas en place et que ses prérogatives continuent à être assumées par la bonne vieille Cour suprême? Ces questions sont d'autant plus gênantes que le Président de la République est le seul maître du jeu politique et que son application par doses homéopathiques des dispositions constitutionnelles n'est jamais véritablement expliquée au peuple. Un devoir de dialogue et de communication qui ne peut être remplacé par les chants de louange systématiques de nombreux griots ou porte-paroles et assimilés autoproclamés du parti-Etat après chaque décision du guide suprême du pays.

Tout ce beau monde aurait pourtant pu comprendre le désarroi du pays réel qui est désabusé par la politique. Car dans quel pays au monde a-t-on vu le pouvoir et ses affidés faire une cour assidue, mieux un harcèlement, aux électeurs pour qu'ils s'inscrivent sur les listes électorales? Et on a beau installer les tentes d'Elecam à tous les carrefours, dépêcher tous les week-ends les élites du RDPC en rase campagne, tout porte à croire qu'on n'aura pas enregistré sept millions d'électeurs à la fin du processus. Et ce n'est pas la convocation des sénatoriales pour le 14 avril prochain qui va doper l'enthousiasme des électeurs. Ni du reste l'attitude de ceux qui sont censés apporter le change au pouvoir entêté de Yaoundé. Car qu'est-ce que le leader du principal parti d'opposition, le Social Democratic Front(SDF), John Fru Ne% trouve comme solution-miracle pour éviter le chaos? Eh bien, c'est sa rencontre personnelle avec le Président Paul Biya. Comme quoi, d'un côté comme de l'autre, c'est toujours le one man show permanent, le souci égoïste de la préservation des positions personnelles. Et aucun égard pour le Cameroun qui les regarde, désabusé indifférent mais dubitatif. On est en plein vaudou avec une grande incertitude pour demain!


06/03/2013
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