Sénatoriales : Le Rdpc hors la loi

Cameroun - Sénatoriales : Le Rdpc hors la loiLe parti n’a pas déposé dans les délais ses déclarations de candidatures à la Cour suprême.

Depuis sa création en 2006, jamais Elections Cameroon (Elecam) n’a posé un acte aussi courageux, voire audacieux. En effet, réuni en session de plein droit mercredi dernier, le Conseil électoral de cet organe a décidé de disqualifier, parmi les 23 concernées, quatre listes du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc, présidentiel) ; notamment celles des régions de l’Extrême-Nord, l’Adamaoua, l’Est et l’Ouest. Les motifs des rejets sont aussi curieux qu’anodins : défaut d’attestation d’inscription sur la liste électorale et défaut de déclaration sur l’honneur pour ce qui est de l’Adamaoua, non respect des conditions d’âge, pour le cas de la région de l’Est, nationalité camerounaise douteuse pour un candidat investi dans l’Extrême-Nord, non-conformité du bulletin n°3 et non légalisation de la déclaration de candidature, s’agissant des dossiers de la région de l’Ouest.

Pour ce parti qui regorge du plus grand nombre d’intelligences au mètre carré au Cameroun, ces motifs ne peuvent qu’embarrasser la hiérarchie du Rdpc. D’ailleurs, un cadre du « parti du flambeau » a confié hier à Mutations que cette hiérarchie a remonté les bretelles aux chargés de mission du parti dans les régions querellées. Un « blâme » donc aux équipes conduites par Abba Sadou (Ouest), Louis Paul Motazé (Extrême Nord), Youssouf Adjidja Alim (Est) et Jean Baptiste Bokam (Adamaoua). Mais, avoue notre source, le rejet des listes du Rdpc par Elecam est un motif de remise en question et d’autocritique.

Les avocats du parti au pouvoir, qui se sont concertés hier, nous a-t-on signalé, ont jusqu’à ce jour pour adresser des requêtes à la Cour suprême agissant comme Conseil constitutionnel. Mais la situation du Rdpc pourrait s’avérer plus compliquée. De sources informées, le « parti du 24 mars 1985» s’est contenté de déposer ses déclarations de candidatures le 14 mars dernier auprès d’Elections Cameroon (Elecam). Or, le Code électoral (article 164, alinéa 2) stipule que « la déclaration de candidature est déposée et enregistrée, contre récépissé, à la direction générale des élections ou au niveau du démembrement départemental d’Elections Cameroon de la circonscription concernée. Copie en est immédiatement tenue du Conseil constitutionnel par le candidat ou le mandataire, contre accusé de réception». Or, après avoir été reçue vers 21h à Elecam le 14 mars 2013 (date limite de dépôt des dossiers), la délégation conduite par Grégoire Owona ne s’est pas rendue à la Cour suprême, comme c’était le cas à la veille de la présidentielle 2011, lorsque Paul Biya avait mandaté le Sg/Cc d’alors, René Emmanuel Sadi, pour la même cause.

Un responsable du comité central du Rdpc interpellé hier sur cette « violation de la loi » a manifesté des signes d’agacement, puis il n’a ni infirmé, ni confirmé l’information. Dans la soirée d’hier, Mutations a appris que des « envoyés spéciaux » du Rdpc s’activaient à Elecam pour obtenir des doubles des dossiers de candidats des régions de l’Ouest, de l’Est, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord, lesquelles ont été rejetées par Elections Cameroon. Approché sur ce point, le politologue Mathias Eric Owona Nguini affirme que le Rdpc va user de tous les moyens pour rectifier le tir, quitte à faire entorse à la loi. Une option qui pourrait cependant faire planer le spectre de la disqualification sur toutes les listes du Rdpc aux sénatoriales.

Pour le reste, si la manœuvre venait à prospérer, sur quoi se fonderait l’espoir du Rdpc d’être réhabilité dans les quatre régions concernées ? Owona Nguini indique que les recours déposés seront examinés dans le fond et dans la forme, en s’appuyant notamment sur le code électoral. Les conseils du parti se doivent surtout, à l’en croire, d’apporter des éléments susceptibles de faire mentir Elecam, sur les motifs brandis pour disqualifier les listes du Rdpc. « Il s’agit d’attaquer la décision d’Elecam. La requête doit préciser les faits et les moyens allégués», argumente-t-il.

Néanmoins, Owona Nguini prévient qu’il ne faut pas espérer une «révolution», après l’acte inédit posé par Elecam. « La Cour suprême va redresser ces anomalies-là, même en faisant du bricolage juridique. Les membres de cette haute juridiction ne peuvent pas courir le risque de se mettre le président de la République à dos, sous peine de représailles. En effet, le chef de l’Etat peut user de son pouvoir de nomination pour prendre sa revanche. Le crime de lèse-majesté me semble en tout peu envisageable», analyse l’universitaire, qui se félicite, au passage, des lignes qui semblent avoir bougé pour la circonstance, côté Elecam.

Toutefois, le débat sur la possibilité de remplacer ou non un candidat déclaré inéligible dans les listes rejetées par Elecam demeure. L’article 128 du code électoral, qui s’applique autant à l’élection présidentielle, aux législatives qu’aux sénatoriales, dispose que « si un candidat présenté par un parti politique est déclaré inéligible par le Conseil constitutionnel après la publication des candidatures, il peut être remplacé par un autre candidat proposé par le même parti. Ce candidat doit remplir les conditions d’éligibilité prévues par la présente loi. Ce remplacement doit intervenir dans un délai maximum de trois (03) jours suivant la décision du Conseil constitutionnel».

Sur la base de cette disposition, le Rdpc n’aurait-il alors qu’à remplacer les candidats à problème afin que la Cour suprême invalide les rejets formulés par Elecam? Hier encore, cette piste était sérieusement explorée au siège du comité central du Rdpc. « La loi permet aux partis politiques de remplacer les candidats déclarés inéligibles. Le juge électoral peut confirmer le rejet ou le casser. Il peut aussi admettre les motifs évoqués et permettre qu’on remplace les candidats à problème. C’est cela le pouvoir du juge électoral», explique Abdoulkarimou, expert en questions électorales. Une brèche dans laquelle pourraient s’engouffrer d’autres partis politiques écartés provisoirement de la course.

© Mutations : Georges Alain Boyomo


22/03/2013
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