Pour s’assurer le contrôle du Sénat, le chef de l’Etat a initié plusieurs manoeuvres, y compris une modification de la Constitution.
La convocation, pour le 14 avril 2013, du collège électoral semble en constituer le pas décisif. En interviewant le président de la République du Cameroun sur le plateau de la chaine de télévision France 24 en 2007, le journaliste Ulysse Gosset a attribué à son interlocuteur le surnom de «sphinx». Le terme évoque un monstre de la mythologie grecque doté d’un corps d’animal et une tête d’humain. Il fait référence à des qualités particulières que sont la discrétion, l’éveil, la sagesse. Le « sphinx» Biya aurait-il usé de ces qualités pour entrainer toute la classe politique camerounaise dans le fait accompli que semble déjà suggérer la convocation, pour le 14 avril 2013, du corps électoral pour l’élection des sénateurs avant la tenue des élections municipales, voire régionales ?
L’annonce de cette décision a beaucoup fait jaser dans l’opposition et la société civile notamment, lesquelles lui reprochent un certain manque de «fair-play», alors même que la logique de modernisation du système politique qu’a si souvent défendue le Président de la République, aurait milité pour un consensus minimum. Si cette convocation du corps électoral, d’après les spécialistes de droit électoral rencontrés, respecte les dispositions légales en vigueur, elle semble tout autant faire partie d’une construction politique savamment entretenue par le régime ; et en laquelle certains voient dans le timing et dans le mode de scrutin choisi quelques indicateurs.
Timing
Avril 2008. La modification de la Constitution qui, consacre notamment l’illimitation des mandats présidentiels, ajoute à l’article 67 (1) alinéa 6 qui stipule que «au cas où la mise en place du Sénat intervient avant celle des Régions, le collège électoral pour l’élection des sénateurs est composé exclusivement des conseillers municipaux ». Passée quasiment inaperçue au moment de son adoption, cette modification donne aujourd’hui un sens à la démarche présidentielle. En effet, la Constitution, telle que modifiée en 1996, précise à son article 20 que «le Sénat représente les collectivités territoriales décentralisées».
Le code électoral précise pour sa part, en son article 222 que «les sénateurs sont élus dans chaque région par un collège électoral composé des conseillers régionaux et des conseillers municipaux». Là où la mise en place des exécutifs régionaux aurait constitué un préalable indispensable – d’autant que le Cameroun est engagé dans le processus de décentralisation depuis 2006 -, la modification constitutionnelle sus-évoquée est venue consacrer un collège électoral délesté au moins de la moitié de ses membres. Dans le même registre, l’autre critique formulée par l’opposition et qui tient à la légitimité même de ce corps électoral finalement constitué de conseillers municipaux en fin de mandat, peut également se comprendre.
D’après le politologue Mathias Eric Owona Nguini, «c’est un acte qui est motivé par des calculs politiques précis : celui de contrôler la mise en place du Sénat».
A l’issue d’une session extraordinaire de son conseil électoral tenue le mercredi 27 février 2013, Elecam a annoncé que le scrutin sénatorial à venir ne serait pas uninominal, mais bien de liste. Chaque parti souhaitant présenter des candidats étant appelé à fournir une liste de sept personnes reflétant la composition sociologique de la région. Si la loi électorale n’interdit pas le scrutin de liste, le principe ne gêne pas moins. Le Rdpc, parti présidentiel, contrôlant 4/5 des conseillers municipaux, l’hypothèse d’un Sénat dominé par ce parti politique est plus que plausible.
Mais elle pourrait virer au monocolore, explique un leader politique. «Le président a déjà la latitude de nommer 30 sénateurs dont on peut penser qu’ils appartiendront à son camp. Mais en dehors de la région du Nord- Ouest, les conseillers municipaux Rdpc sont majoritaires dans les autres régions. Le scrutin de liste va naturellement valider les candidats présentés par ce parti, y compris dans des régions où l’opposition est pourtant bien implantée comme le Nord», analyse t-il.