Sénatoriales 2013 comme instrument de relance du conflit Bamoun-Bamiléké
LOUVAIN-LA-NEUVE (Belgique) - 20 Avril 2013
© Narcis Bangmo | Correspondance
Les récentes sorties médiatiques des responsables de l’UDC, face aux déclarations jugées inopportunes du secrétaire national à la communication du RDPC, sont plus que jamais révélatrices de l’absence de l’ «oubli de mémoire», des rapports tendancieux entre les deux peuples des rives gauche et droite du Noun, qui se sont efforcés jusqu’ici, à une coexistence pacifique de façade.
Les consignes de vote données par le RDPC au profit du SDF dans la région de l’Ouest et les mobiles apportés pour les justifier vont largement au-delà d’un acte politique banal et circonstanciel, pour intégrer des logiques futuristes et des batailles de contrôle de la région, pour les échéances à venir.
Les mobiles qui sous-tendent l’appel à voter pour le SDF, sont inacceptables en République
Ceux qui ont choisi de justifier leur coup de foudre politique par le rejet du tribalisme qu’on prêterait à une liste validée par l’institution (ELECAM), à qui on accorde aujourd’hui, à tort ou à raison, une certaine indépendance, ont tôt fait d’oublier que leur liste, dans la même région avait été disqualifiée, pour une raison aussi banale qu’imbécile, comme faire signer un « bulletin numéro 3 » par un commissaire de police, en violation fragrante des articles 580 et 581 du code de procédure pénale.
Le RDPC qui a des experts électoraux parmi les plus compétents au Cameroun, est mal placé pour donner des leçons dans une région où il a soit pêché par naïveté (ce qui est très peu probable), soit avoir stratégiquement confiné et distrait les deux partis leaders de l’opposition dans une bataille de chiffonnier, pendant qu’il récupère symboliquement le Nord-Ouest qui lui a toujours échappé depuis le retour au multipartisme.
En dénombrant malicieusement le nombre de Bamiléké sur la liste UDC, on sait très bien que la vérité est ailleurs, puisqu’il n’existe pas non plus de Bamoun dans la liste SDF. Le parti au pouvoir savait également que la guéguerre ne se limiterait pas qu’au plan politique.
Les raisons évoquées pour justifier ces consignes de vote, sont politiquement inacceptables et socialement dangereuses, lorsqu’elles sont dites, par un porte-parole du parti, soupçonné depuis la nuit des temps, d’avoir structuré sa longévité politique par des pratiques similaires qu’il dit condamner avec véhémence aujourd’hui.
Depuis le retour au multipartisme et l’intronisation du Sultan Ibraim Mbomdo Njoya en 1992, le peuple Bamoun est en guerre contre lui-même à travers ses leaders (politique et traditionnel), pour le contrôle du département et de ses ressources.
Le nombre de conflits interethniques (réels ou latents) enregistrés de part et d’autre des rives du Noun, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours, est saisissant et ne mérite pas qu’on en rajoute, de quelque façon que ce soit.
Abouna (2011) démontre à cet effet, dans ses travaux sur le pouvoir de l’ethnie au Cameroun, que l’unique point d’entente entre ces deux groupes ethniques est religieux et axé sur le partage du pouvoir au sein de l’église évangélique du Cameroun, où se succèdent Bamouns et Bamiléké au sommet de la hiérarchie. Les Pasteurs Fochivé et Batomen en sont de parfaites illustrations, eux qui ont l’un après l’autre occupé la présidence de cette obédience religieuse.
L’auteur va plus loin, en démontrant l’existence d’un système d’équilibre des forces, délibérément mis sur pied par les deux ethnies pour s’auto-neutraliser, et garder les trois postes clefs de l’Eglise, au grand dam des autres groupes ethniques parties prenantes. Abouna pousse l’analyse au point de se rendre compte qu’en fait, il s’agit du vieil axe Noun-Ndé (frères originels) qui tient la dragée haute. Les autres départements de l’Ouest et d’ailleurs, se contentent de jouer les seconds rôles. Tout ceci trahit toute la complexité des rapports entre les peuples que comporte la région de l’Ouest Cameroun, même au sein des institutions censées enseigner la tolérance et l’amour du prochain.
De la région du Noun au département du Noun et les mauvais calculs politiques
Si le colonel Lamberton revenait à notre ère, il se rendrait peut être compte que, s’il ne s’est pas gouré en ne voyant le caillou que dans la chaussure « des gens d’en haut », il aura au moins à se rendre compte qu’il avait sous-estimé le risque de voir le voisin Bamoun, basculer dans l’opposition au point de se radicaliser.
Plus de 50 ans après les déclarations du colonel de la répression du nationalisme camerounais, tout porte à croire que les séquelles héritées de la douloureuse épreuve du Maquis n’ont pas dépéri. L’Ouest du Cameroun et le pays bamiléké en particulier continuent à porter les stigmates de l’adversité et de l’opposition aux régimes successifs de Yaoundé. Une opposition qu’on dirait originelle, parce que structurée depuis les luttes pour l’indépendance totale et sans condition, jusqu’aux batailles pour le multipartisme.
Le reproche qu’on pourrait faire aux analystes politiques et autres conseillers des gouvernants de l’époque, est celui d’avoir sous-estimé la capacité du Peuple Bamoun de se regrouper autour d’un leader, autre que celui adoubé par le régime néocolonial. Les craintes que se sont toujours faites les tenants du pouvoir quant aux inquiétudes de voir les Bamilékés s’organiser autour d’un et un seul leader justifient la division non-euclidienne, et la réorganisation administrative, mal pensée et essentiellement politicienne, de l’ancienne Menoua.
Jusqu’à la fin de l’administration coloniale française, l’Ouest était constituée de deux régions. La région de la Menoua avec pour chef-lieu Dschang et celle du Noun à Foumban. Il s’agissait là de deux régions plus où moins équilibrées sur le plan géographique (répartition spatiale de la population) et en terme de développement humain, même si on peut notamment remarquer une nette volonté coloniale de mettre sur pied un déséquilibre de développement, en dotant la partie Menoua, de plus d’infrastructures éducatives.
La volonté manifeste de diviser pour mieux régner, montre toutes ses faiblesses et la haine politique qu’on pourrait vouer à ce système machiavélique dont la seule finalité réside dans les conservatismes futiles, ennemies du développement pour tous, au profit des individualismes capitalistiques.
En choisissant d’éclater la région de la Menoua en 7 départements, sans toucher à celle du Noun, balayant d’un revers de la main des considérations d’ordre populationnel et superficiel, le régime de Yaoundé ne s’est pas fait du bien à lui-même, sinon un bien de circonstance. Voulant fragiliser l’opposition (SDF) démultipliant les circonscriptions électorales, il a créé un lourd précédent qui nous impose aujourd’hui deux grilles de lectures au lendemain des Sénatoriales.
Ces lectures ne doivent pas être perçues comme des cautions aux radicalismes des partisans de l’UDC, englués autour de Ndam Njoya, mais comme une envie sincère, loin au-delà de la rivalité Bamoun-Bamiléké, de re-problématiser les paradigmes « unité administrative, circonscription électorale, l’équilibre régional », qui sont de véritables boîtes de Pandore, parce que tribalisés dans les plus hautes sphères de l’Etat, non pas pour un développement polaire, mais pour le but unique, de perpétuer vaille que vaille un régime dont les signaux de fin sont plus que jamais visibles.
La première porte sur l’opportunité et les retombées de l’éclatement de la région de la Menoua dans des départements de la Menoua, Bamboutos, Ndé, Haut-Nkam, Mifi, Nkoung-Nki, Haut-Plateau. Le morcellement politiquement calculé de cette région ne nous semble pas avoir fait, pour booster le développement, plus qu’on ne le vivait déjà, sinon le pouvoir qui a des compétences avérées l’aurait réédité dans la région de l’Est, qui en a le plus grand besoin, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, notamment avec la RCA et ses coups d’Etats successifs qui font perdre le sommeil aux populations.
Ne pas le faire, c’est donc reconnaitre au moins en partie, l’échec des politiques d’éclatement sauvage des unités administratives. Même sur le plan politique, il est difficile d’affirmer qu’on a réussi en procédant ainsi, sauf à penser avec nous, que le fait que l’opposition ait quelques fois perdu du terrain était le seul but recherché.
Les pouvoirs politiques successifs, ont souvent pris des latitudes surprenantes, abandonnant parfois les alliés sûrs, sacrifiant à l’hôtel des calculs politiciens d’embastillement et de reconquête de tout ce qui leur échappe, leur propre bastion électoral. On l’a vu sous Ahidjo avec les trois grandes régions du Nord. On le revoie avec emphase sous Biya, avec le Sud et l’Est. Il nomme à des postes clefs ceux qui s’opposent farouchement à lui, pendant que ses fidèles piaffent d’impatience. Cette vison du management tranche net avec la « politique-tontine » dont parlait Achidi Achu, alors premier ministre de la République.
Ainsi, c’était une erreur que de penser qu’une seule personne, le Sultan Roi des Bamouns, aurait suffi pour fidéliser cette partie du Pays dans le giron du parti au pouvoir, même après les évènements de 90 qui ont marqué de manière incisive la vie sociopolitique et économique du Cameroun. Cette réflexion nous permet d’ailleurs de repenser l’épineuse question du rôle des chefferies traditionnelles au sein des communautés villageoises.
Le contrôle du pouvoir local au cœur du conflit interethnique
Dans un contexte où la pluralité des opinions devient un principe de vie, un chef traditionnel, fut-il Sultan, peut-il garder son intégrité et toute sa légitimité, lorsqu’il affiche ouvertement ses choix politiques ? Quels types de rapports aurait-il avec les siens lorsque ceux-ci ne partagent plus ses choix ? Jean Rameau Sokoudjou, Chef supérieur des Bamedjou, n’avait-il pas raison de laisser chacun de ses administrés libre de ses opinions, pour mieux s’établir au dessus de la mêlée ?
Les réponses à toutes ces questions se trouvent dans la compréhension de la rivalité entre les frères Njoya (Ndam et Bombo). L’apprentissage et même l’enracinement de la démocratie restent un exercice très douloureux dans nos différentes communautés. Un simple désaccord sur le plan idéel peut être perçu comme une trahison. Il est évident que les rapports entre les frères aujourd’hui ennemis, étaient moins distendus quand ils étaient tous deux militants de l’UNC, puis du RDPC, jusqu’à la prise de fonction de Mbomdo Njoya comme Sultan contesté.
La bataille pour le leadership dans le Noun comporte deux volets, un volet culturel lié au contrôle de la chefferie et un volet politique déjà acquis à la cause du président de l’UDC qui donne l’impression (comme le font tous les apparatchiks du régime) que le contrôle total du pouvoir politique, passe par celui dit traditionnel.
Ce « camerounisme » est tellement ancré dans les mentalités des « gens de pouvoir », que le président de l’UDC s’est vu obligé de rentrer dans une guerre indescriptible, pour récupérer la chefferie traditionnelle du groupement Njinka, qu’il aurait cédée à son neveu Ibrahim Mongbet, pendant qu’il était aux affaires, à défaut d’évincer Mbombo Njoya à qui il continue de contester toute légitimité.
Par ailleurs, le Sultan occupe le poste stratégique de membre du bureau politique du RDPC avec toute la confiance du président du parti qu’il n’a jamais voulu trahir, en paraissant comme mou, face à un adversaire politique de plus en plus populaire dans la région. Les échecs successifs du Sultan lors des consultations sonnent comme un double aveu d’échec dans le camp d’en face, qui interprète le rejet de l’autorité politique du Roi des Bamouns, comme un déni d’usurpation de son autorité traditionnelle.
C’est d’ailleurs ici que le débat est dans la coquille, chacun instrumentalisant ses affidés, pour mieux simuler une opposition idéologique et masquer les batailles individualistes, égotistes et visiblement sans réels lendemains pour le peuple dont, disent-ils, porter les aspirations au plus haut.
L’incident du 1er Janvier dernier entre la caravane de l’UDC (qui tenait absolument à défier l’autorité traditionnelle en s’ébranlant devant le Palais) et la soldatesques du Roi fatiguée des humiliations était encore une fois l’expression du « dody bulding politico-traditionnel » de deux frères qui, comme à l’accoutumée, entrainent le peuple comme des moutons de Panurge. Sauf que cette fois-ci, pour le régime de Yaoundé, c’était une fois de plus, une fois de trop.
Le recours en annulation des sénatoriales à l’Ouest est éthiquement soutenable
Le soutien que le RDPC, par la voix de son secrétaire national à la communication, a apporté au SDF en exigeant de ses grands électeurs un report systématique de voix, ne méritait pas tout le branle-bas politico-médiatique qui a accompagné cette décision. Le report de vote, qui nous semble avoir fait plus de mal, n’avait pas besoin d’être assorti de déclarations incendiaires contre l’UDC. Sauf à penser que l’effet recherché résidait dans une approche pro domo, dont seule la radicalisation des militants de ce parti est la clef.
Justement ! Les mêmes consignes ont été données dans l’Adamaoua mais, cette fois-là, avec beaucoup de discrétion : sans doute pour ne pas fâcher, en pleine galipette, l’épouse dont la lassitude est déjà planifiée et inévitable, au vu d’un mariage futur avec une deuxième femme, comme seule la polygamie en a le secret.
Le fait qu’on ait enregistré un énième conflit entre ces deux ethnies (Bamoun et Bamiléké), quelques jours après les sénatoriales, avec mort d’Homme du coté de Bamougoum, pour une banale histoire de trouble de jouissance, montre très bien que la boîte de Pandore est ouverte et pourrait exploser à la moindre étincelle, notamment du coté de la rive gauche du Noun plus sujette aux empoignades à la moindre escarcelle. Comment pourrait-on ne pas établir une relation de cause à effet entre l’environnement électoral, au cours des dernières sénatoriales dans la région de l’Ouest et les tensions sociales présentes et futures ?
Cela dit, l’acte de soutien au SDF, peut être analysé sous deux angles. D’abord celui de la vengeance d’un camarade et ami (certains en diraient plus…) du président national du RDPC qui en avait marre d’être tourné en ridicule et l’a clairement fait savoir. On pourrait à cet effet remarquer que les arrestations, après les incidents de janvier dernier, ont été orientées vers un seul camp, alors qu’il s’agissait bel et bien d’un affrontement dans lequel il y a eu action et réaction.
Il pourrait également s’agir d’une stratégie visant à isoler les Bamouns et leur « leader naturel » dans leur Noun natal. C’est ici le danger ! Car en le faisant, on radicalise davantage des personnes qui pensent à dessein être frustrées et marginalisées, contrairement à leurs voisins Bamiléké qui, malgré leur opposition au régime, ont toujours été plus choyés en terme d’infrastructures de développement.
En choisissant d’ostraciser l’UDC, le pouvoir tombe dans le piège de l’extrémisme et de la volonté manifeste des Bamouns de s’émanciper de la tutelle des Bamilékés qu’ils pensent rivaliser en terme de superficie et de production (démographique, sociale, économique). Le parti au pouvoir pourrait aider à traduire dans les faits la République du Noun, peut être déjà construite dans l’imaginaire des gens.
Les derniers affrontements de Foumban ont été très mal gérés par les pouvoirs publics qui n’ont pensé qu’à sauver un fidèle au détriment des intérêts nationaux et des idéaux de paix sociale. Cette façon discriminatoire et partisane de régler les problèmes en République a plus que jamais enraciné les Bamouns premièrement autour d’eux-mêmes, puis, autour de l’UDC, quitte à donner l’impression d’un parti ethnico-tribal sans ambition nationale. (Ce qui est déjà le cas malheureusement pour l’ensemble des formations politiques au Cameroun.)
SDF, miss 2013 où la belle du soir !
L’UDC perdra sans doute les sénatoriales au profit de la nouvelle épouse du RDPC « MISS SDF 2013 », malgré le recours en annulation des sénatoriales, introduit dans la région de l’Ouest, qui nous semblent fondé. Cependant, au cours des échéances plus locales, le parti de Ndam Njoya s’en sortirait avec plus d’élus dans le Noun, pour la simple raison que le régime en place a fait de cette région, un « grand orphelinat » au pied de l’UDC et de son leader.
La stratégie finale du parti du flambeau consiste à couper l’herbe sous les pieds de Maurice Kamto (qui pourrait se présenter au demeurant dans cette région, comme l’homme incontournable), au profit d SDF. Nfru Ndi devient, comme cette fameuse « fille du soir », chez qui on va « tirer un coup » en catimini, parce que convaincu qu’on ferait l’objet de plein de railleries au vu de ce qu’on aurait honteusement pensé et dit d’elle en face des pots, en rapport à l’image qu’elle a toujours renvoyée au près des autres filles du quartier.
Narcis Bangmo
Educateur au développement
Louvain-la-Neuve (Belgique)
© Narcis Bangmo | Correspondance
Les
récentes sorties médiatiques des responsables de l’UDC, face aux
déclarations jugées inopportunes du secrétaire national à la
communication du RDPC, sont plus que jamais révélatrices de l’absence de
l’ «oubli de mémoire», des rapports tendancieux entre les deux peuples
des rives gauche et droite du Noun
Les récentes sorties médiatiques des responsables de l’UDC, face aux déclarations jugées inopportunes du secrétaire national à la communication du RDPC, sont plus que jamais révélatrices de l’absence de l’ «oubli de mémoire», des rapports tendancieux entre les deux peuples des rives gauche et droite du Noun, qui se sont efforcés jusqu’ici, à une coexistence pacifique de façade.
Les consignes de vote données par le RDPC au profit du SDF dans la région de l’Ouest et les mobiles apportés pour les justifier vont largement au-delà d’un acte politique banal et circonstanciel, pour intégrer des logiques futuristes et des batailles de contrôle de la région, pour les échéances à venir.
Les mobiles qui sous-tendent l’appel à voter pour le SDF, sont inacceptables en République
Ceux qui ont choisi de justifier leur coup de foudre politique par le rejet du tribalisme qu’on prêterait à une liste validée par l’institution (ELECAM), à qui on accorde aujourd’hui, à tort ou à raison, une certaine indépendance, ont tôt fait d’oublier que leur liste, dans la même région avait été disqualifiée, pour une raison aussi banale qu’imbécile, comme faire signer un « bulletin numéro 3 » par un commissaire de police, en violation fragrante des articles 580 et 581 du code de procédure pénale.
Le RDPC qui a des experts électoraux parmi les plus compétents au Cameroun, est mal placé pour donner des leçons dans une région où il a soit pêché par naïveté (ce qui est très peu probable), soit avoir stratégiquement confiné et distrait les deux partis leaders de l’opposition dans une bataille de chiffonnier, pendant qu’il récupère symboliquement le Nord-Ouest qui lui a toujours échappé depuis le retour au multipartisme.
En dénombrant malicieusement le nombre de Bamiléké sur la liste UDC, on sait très bien que la vérité est ailleurs, puisqu’il n’existe pas non plus de Bamoun dans la liste SDF. Le parti au pouvoir savait également que la guéguerre ne se limiterait pas qu’au plan politique.
Les raisons évoquées pour justifier ces consignes de vote, sont politiquement inacceptables et socialement dangereuses, lorsqu’elles sont dites, par un porte-parole du parti, soupçonné depuis la nuit des temps, d’avoir structuré sa longévité politique par des pratiques similaires qu’il dit condamner avec véhémence aujourd’hui.
Depuis le retour au multipartisme et l’intronisation du Sultan Ibraim Mbomdo Njoya en 1992, le peuple Bamoun est en guerre contre lui-même à travers ses leaders (politique et traditionnel), pour le contrôle du département et de ses ressources.
Le nombre de conflits interethniques (réels ou latents) enregistrés de part et d’autre des rives du Noun, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours, est saisissant et ne mérite pas qu’on en rajoute, de quelque façon que ce soit.
Abouna (2011) démontre à cet effet, dans ses travaux sur le pouvoir de l’ethnie au Cameroun, que l’unique point d’entente entre ces deux groupes ethniques est religieux et axé sur le partage du pouvoir au sein de l’église évangélique du Cameroun, où se succèdent Bamouns et Bamiléké au sommet de la hiérarchie. Les Pasteurs Fochivé et Batomen en sont de parfaites illustrations, eux qui ont l’un après l’autre occupé la présidence de cette obédience religieuse.
L’auteur va plus loin, en démontrant l’existence d’un système d’équilibre des forces, délibérément mis sur pied par les deux ethnies pour s’auto-neutraliser, et garder les trois postes clefs de l’Eglise, au grand dam des autres groupes ethniques parties prenantes. Abouna pousse l’analyse au point de se rendre compte qu’en fait, il s’agit du vieil axe Noun-Ndé (frères originels) qui tient la dragée haute. Les autres départements de l’Ouest et d’ailleurs, se contentent de jouer les seconds rôles. Tout ceci trahit toute la complexité des rapports entre les peuples que comporte la région de l’Ouest Cameroun, même au sein des institutions censées enseigner la tolérance et l’amour du prochain.
De la région du Noun au département du Noun et les mauvais calculs politiques
Si le colonel Lamberton revenait à notre ère, il se rendrait peut être compte que, s’il ne s’est pas gouré en ne voyant le caillou que dans la chaussure « des gens d’en haut », il aura au moins à se rendre compte qu’il avait sous-estimé le risque de voir le voisin Bamoun, basculer dans l’opposition au point de se radicaliser.
Plus de 50 ans après les déclarations du colonel de la répression du nationalisme camerounais, tout porte à croire que les séquelles héritées de la douloureuse épreuve du Maquis n’ont pas dépéri. L’Ouest du Cameroun et le pays bamiléké en particulier continuent à porter les stigmates de l’adversité et de l’opposition aux régimes successifs de Yaoundé. Une opposition qu’on dirait originelle, parce que structurée depuis les luttes pour l’indépendance totale et sans condition, jusqu’aux batailles pour le multipartisme.
Le reproche qu’on pourrait faire aux analystes politiques et autres conseillers des gouvernants de l’époque, est celui d’avoir sous-estimé la capacité du Peuple Bamoun de se regrouper autour d’un leader, autre que celui adoubé par le régime néocolonial. Les craintes que se sont toujours faites les tenants du pouvoir quant aux inquiétudes de voir les Bamilékés s’organiser autour d’un et un seul leader justifient la division non-euclidienne, et la réorganisation administrative, mal pensée et essentiellement politicienne, de l’ancienne Menoua.
Jusqu’à la fin de l’administration coloniale française, l’Ouest était constituée de deux régions. La région de la Menoua avec pour chef-lieu Dschang et celle du Noun à Foumban. Il s’agissait là de deux régions plus où moins équilibrées sur le plan géographique (répartition spatiale de la population) et en terme de développement humain, même si on peut notamment remarquer une nette volonté coloniale de mettre sur pied un déséquilibre de développement, en dotant la partie Menoua, de plus d’infrastructures éducatives.
La volonté manifeste de diviser pour mieux régner, montre toutes ses faiblesses et la haine politique qu’on pourrait vouer à ce système machiavélique dont la seule finalité réside dans les conservatismes futiles, ennemies du développement pour tous, au profit des individualismes capitalistiques.
En choisissant d’éclater la région de la Menoua en 7 départements, sans toucher à celle du Noun, balayant d’un revers de la main des considérations d’ordre populationnel et superficiel, le régime de Yaoundé ne s’est pas fait du bien à lui-même, sinon un bien de circonstance. Voulant fragiliser l’opposition (SDF) démultipliant les circonscriptions électorales, il a créé un lourd précédent qui nous impose aujourd’hui deux grilles de lectures au lendemain des Sénatoriales.
Ces lectures ne doivent pas être perçues comme des cautions aux radicalismes des partisans de l’UDC, englués autour de Ndam Njoya, mais comme une envie sincère, loin au-delà de la rivalité Bamoun-Bamiléké, de re-problématiser les paradigmes « unité administrative, circonscription électorale, l’équilibre régional », qui sont de véritables boîtes de Pandore, parce que tribalisés dans les plus hautes sphères de l’Etat, non pas pour un développement polaire, mais pour le but unique, de perpétuer vaille que vaille un régime dont les signaux de fin sont plus que jamais visibles.
La première porte sur l’opportunité et les retombées de l’éclatement de la région de la Menoua dans des départements de la Menoua, Bamboutos, Ndé, Haut-Nkam, Mifi, Nkoung-Nki, Haut-Plateau. Le morcellement politiquement calculé de cette région ne nous semble pas avoir fait, pour booster le développement, plus qu’on ne le vivait déjà, sinon le pouvoir qui a des compétences avérées l’aurait réédité dans la région de l’Est, qui en a le plus grand besoin, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, notamment avec la RCA et ses coups d’Etats successifs qui font perdre le sommeil aux populations.
Ne pas le faire, c’est donc reconnaitre au moins en partie, l’échec des politiques d’éclatement sauvage des unités administratives. Même sur le plan politique, il est difficile d’affirmer qu’on a réussi en procédant ainsi, sauf à penser avec nous, que le fait que l’opposition ait quelques fois perdu du terrain était le seul but recherché.
Les pouvoirs politiques successifs, ont souvent pris des latitudes surprenantes, abandonnant parfois les alliés sûrs, sacrifiant à l’hôtel des calculs politiciens d’embastillement et de reconquête de tout ce qui leur échappe, leur propre bastion électoral. On l’a vu sous Ahidjo avec les trois grandes régions du Nord. On le revoie avec emphase sous Biya, avec le Sud et l’Est. Il nomme à des postes clefs ceux qui s’opposent farouchement à lui, pendant que ses fidèles piaffent d’impatience. Cette vison du management tranche net avec la « politique-tontine » dont parlait Achidi Achu, alors premier ministre de la République.
Ainsi, c’était une erreur que de penser qu’une seule personne, le Sultan Roi des Bamouns, aurait suffi pour fidéliser cette partie du Pays dans le giron du parti au pouvoir, même après les évènements de 90 qui ont marqué de manière incisive la vie sociopolitique et économique du Cameroun. Cette réflexion nous permet d’ailleurs de repenser l’épineuse question du rôle des chefferies traditionnelles au sein des communautés villageoises.
Le contrôle du pouvoir local au cœur du conflit interethnique
Dans un contexte où la pluralité des opinions devient un principe de vie, un chef traditionnel, fut-il Sultan, peut-il garder son intégrité et toute sa légitimité, lorsqu’il affiche ouvertement ses choix politiques ? Quels types de rapports aurait-il avec les siens lorsque ceux-ci ne partagent plus ses choix ? Jean Rameau Sokoudjou, Chef supérieur des Bamedjou, n’avait-il pas raison de laisser chacun de ses administrés libre de ses opinions, pour mieux s’établir au dessus de la mêlée ?
Les réponses à toutes ces questions se trouvent dans la compréhension de la rivalité entre les frères Njoya (Ndam et Bombo). L’apprentissage et même l’enracinement de la démocratie restent un exercice très douloureux dans nos différentes communautés. Un simple désaccord sur le plan idéel peut être perçu comme une trahison. Il est évident que les rapports entre les frères aujourd’hui ennemis, étaient moins distendus quand ils étaient tous deux militants de l’UNC, puis du RDPC, jusqu’à la prise de fonction de Mbomdo Njoya comme Sultan contesté.
La bataille pour le leadership dans le Noun comporte deux volets, un volet culturel lié au contrôle de la chefferie et un volet politique déjà acquis à la cause du président de l’UDC qui donne l’impression (comme le font tous les apparatchiks du régime) que le contrôle total du pouvoir politique, passe par celui dit traditionnel.
Ce « camerounisme » est tellement ancré dans les mentalités des « gens de pouvoir », que le président de l’UDC s’est vu obligé de rentrer dans une guerre indescriptible, pour récupérer la chefferie traditionnelle du groupement Njinka, qu’il aurait cédée à son neveu Ibrahim Mongbet, pendant qu’il était aux affaires, à défaut d’évincer Mbombo Njoya à qui il continue de contester toute légitimité.
Par ailleurs, le Sultan occupe le poste stratégique de membre du bureau politique du RDPC avec toute la confiance du président du parti qu’il n’a jamais voulu trahir, en paraissant comme mou, face à un adversaire politique de plus en plus populaire dans la région. Les échecs successifs du Sultan lors des consultations sonnent comme un double aveu d’échec dans le camp d’en face, qui interprète le rejet de l’autorité politique du Roi des Bamouns, comme un déni d’usurpation de son autorité traditionnelle.
C’est d’ailleurs ici que le débat est dans la coquille, chacun instrumentalisant ses affidés, pour mieux simuler une opposition idéologique et masquer les batailles individualistes, égotistes et visiblement sans réels lendemains pour le peuple dont, disent-ils, porter les aspirations au plus haut.
L’incident du 1er Janvier dernier entre la caravane de l’UDC (qui tenait absolument à défier l’autorité traditionnelle en s’ébranlant devant le Palais) et la soldatesques du Roi fatiguée des humiliations était encore une fois l’expression du « dody bulding politico-traditionnel » de deux frères qui, comme à l’accoutumée, entrainent le peuple comme des moutons de Panurge. Sauf que cette fois-ci, pour le régime de Yaoundé, c’était une fois de plus, une fois de trop.
Le recours en annulation des sénatoriales à l’Ouest est éthiquement soutenable
Le soutien que le RDPC, par la voix de son secrétaire national à la communication, a apporté au SDF en exigeant de ses grands électeurs un report systématique de voix, ne méritait pas tout le branle-bas politico-médiatique qui a accompagné cette décision. Le report de vote, qui nous semble avoir fait plus de mal, n’avait pas besoin d’être assorti de déclarations incendiaires contre l’UDC. Sauf à penser que l’effet recherché résidait dans une approche pro domo, dont seule la radicalisation des militants de ce parti est la clef.
Justement ! Les mêmes consignes ont été données dans l’Adamaoua mais, cette fois-là, avec beaucoup de discrétion : sans doute pour ne pas fâcher, en pleine galipette, l’épouse dont la lassitude est déjà planifiée et inévitable, au vu d’un mariage futur avec une deuxième femme, comme seule la polygamie en a le secret.
Le fait qu’on ait enregistré un énième conflit entre ces deux ethnies (Bamoun et Bamiléké), quelques jours après les sénatoriales, avec mort d’Homme du coté de Bamougoum, pour une banale histoire de trouble de jouissance, montre très bien que la boîte de Pandore est ouverte et pourrait exploser à la moindre étincelle, notamment du coté de la rive gauche du Noun plus sujette aux empoignades à la moindre escarcelle. Comment pourrait-on ne pas établir une relation de cause à effet entre l’environnement électoral, au cours des dernières sénatoriales dans la région de l’Ouest et les tensions sociales présentes et futures ?
Cela dit, l’acte de soutien au SDF, peut être analysé sous deux angles. D’abord celui de la vengeance d’un camarade et ami (certains en diraient plus…) du président national du RDPC qui en avait marre d’être tourné en ridicule et l’a clairement fait savoir. On pourrait à cet effet remarquer que les arrestations, après les incidents de janvier dernier, ont été orientées vers un seul camp, alors qu’il s’agissait bel et bien d’un affrontement dans lequel il y a eu action et réaction.
Il pourrait également s’agir d’une stratégie visant à isoler les Bamouns et leur « leader naturel » dans leur Noun natal. C’est ici le danger ! Car en le faisant, on radicalise davantage des personnes qui pensent à dessein être frustrées et marginalisées, contrairement à leurs voisins Bamiléké qui, malgré leur opposition au régime, ont toujours été plus choyés en terme d’infrastructures de développement.
En choisissant d’ostraciser l’UDC, le pouvoir tombe dans le piège de l’extrémisme et de la volonté manifeste des Bamouns de s’émanciper de la tutelle des Bamilékés qu’ils pensent rivaliser en terme de superficie et de production (démographique, sociale, économique). Le parti au pouvoir pourrait aider à traduire dans les faits la République du Noun, peut être déjà construite dans l’imaginaire des gens.
Les derniers affrontements de Foumban ont été très mal gérés par les pouvoirs publics qui n’ont pensé qu’à sauver un fidèle au détriment des intérêts nationaux et des idéaux de paix sociale. Cette façon discriminatoire et partisane de régler les problèmes en République a plus que jamais enraciné les Bamouns premièrement autour d’eux-mêmes, puis, autour de l’UDC, quitte à donner l’impression d’un parti ethnico-tribal sans ambition nationale. (Ce qui est déjà le cas malheureusement pour l’ensemble des formations politiques au Cameroun.)
SDF, miss 2013 où la belle du soir !
L’UDC perdra sans doute les sénatoriales au profit de la nouvelle épouse du RDPC « MISS SDF 2013 », malgré le recours en annulation des sénatoriales, introduit dans la région de l’Ouest, qui nous semblent fondé. Cependant, au cours des échéances plus locales, le parti de Ndam Njoya s’en sortirait avec plus d’élus dans le Noun, pour la simple raison que le régime en place a fait de cette région, un « grand orphelinat » au pied de l’UDC et de son leader.
La stratégie finale du parti du flambeau consiste à couper l’herbe sous les pieds de Maurice Kamto (qui pourrait se présenter au demeurant dans cette région, comme l’homme incontournable), au profit d SDF. Nfru Ndi devient, comme cette fameuse « fille du soir », chez qui on va « tirer un coup » en catimini, parce que convaincu qu’on ferait l’objet de plein de railleries au vu de ce qu’on aurait honteusement pensé et dit d’elle en face des pots, en rapport à l’image qu’elle a toujours renvoyée au près des autres filles du quartier.
Narcis Bangmo
Educateur au développement
Louvain-la-Neuve (Belgique)