Scanner: SG/PR, une fonction de pouvoir et de risques

YAOUNDÉ - 09 Mai 2012
© Parfait N. Siki | Repères

M. Laurent Esso, actuellement dans la tourmente, perpétue la trajectoire annoncée glorieuse, mais souvent douloureuse, de secrétaire général de la présidence de la République.

Il n'y a pas, dans le Cameroun des années Biya, fonction plus rêvée au sein de la nomenklatura que celle de secrétaire général de la présidence de la République (SG/PR). Maître d'œuvre de cette fantasmagorie, mais aussi à son origine, l'actuel chef de l'Etat, dont le parcours à ce poste lui a ouvert les portes de la primature et, plus tard, du palais de l'Unité. C'est en effet en 1968 que le chef de l'Etat de l'époque, M. Ahmadou Ahidjo, le nomme ministre secrétaire général de la présidence de la République. Deux ans plus tard, le 12 juin 1970, Paul Biya est nommé ministre d'Etat, SG/PR. Il quittera ce poste en 1975 pour devenir Premier ministre, puis chef de l'Etat en 1982. Une trajectoire fulgurante, mais surtout imprévisible, qui donne à la fonction de SG/PR le statut d'antichambre du pouvoir suprême. A preuve, M. Samuel Eboua, SG/PR en novembre 1982, était parmi les successeurs présomptifs de M. Ahmadou Ahidjo.


1.- Le siège d’un Incommensurable pouvoir
.
Depuis lors, la fonction de SG/PR attire et apparaît comme une consécration de la confiance absolue du chef. Mais c'est aussi le siège d'un incommensurable pouvoir statutaire, que le chef de l'Etat précise bien dans un décret du 22 octobre 1998. «Placé sous l'autorité d'un secrétaire général assisté de deux secrétaires généraux adjoints, le secrétariat général est chargé d'assister le président de la République dans l'organisation du travail gouvernemental. A ce titre, il est chargé des relations entre la présidence de la République et le gouvernement. Il assure, en outre, la liaison entre l'exécutif et les différentes institutions républicaines, notamment le Parlement, le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, le Conseil économique et social et le Contrôle supérieur de l'État», dispose le texte. Une compétence transversale pour le SG/PR, mais une relation verticale, que les usages républicains ont finie par consacrer, entre ce proche collaborateur du Président et les autres piliers des institutions.

Plus loin, le décret indique que le SG/PR est chargé, entre autres, de «coordonner l'action des administrations rattachées à la présidence de la République.» Quelles sont ces administrations rattachées à la présidence de la République dont le SG/PR coordonne l'action? Il s'agit du ministère de la Défense, de ceux chargés des Relations avec le Parlement et du Contrôle supérieur de l'Etat, de l'Agence de régulation des marchés publics (Armp), de l'Agence nationale des technologies de l'information et de la communication (Antic). Et notamment, la délégation générale à la Sûreté nationale (DGSN) et la direction générale de la Recherche extérieure (DGRE).


2.- Le contremaitre de l’action gouvernementale

La réalité du pouvoir du SG/PR est plus grande. Il est le patron administratif du pays. En principe sous l'autorité du chef du gouvernement, il est de fait le passage obligé de toute décision politique majeure du gouvernement. Mieux, le décret du 22 octobre 1998 lui donne le droit de veiller à la réalisation des programmes d'action approuves par le président de la République et impartis aux chefs de départements ministériels et aux services relevant de la présidence de la République. Une sorte de contremaître de l'action gouvernementale, qui attribue les bons et les mauvais points. Il est à la tête des renseignements généraux, de la police et de l'armée, des services secrets et du contre-espionnage. Aussi est-il au moins aussi bien informé que le chef de l'Etat lui-même, parfois plus. Son emprise sur le travail parlementaire est aussi réelle. Aucun projet de loi n'arrive au bureau de l'Assemblée nationale sans passer par le sien. C'est en effet lui qui est chargé d'«assurer la préparation des correspondances présidentielles relatives au dépôt des projets de loi...».

Donc, le SG/PR dispose d'un pouvoir prééminent dans les domaines politique, administratif voire parlementaire. Et l'argent alors? Outre une partie du budget de la présidence de la République — qui n'est pas discuté à l'Assemblée nationale —, le secrétaire général de la présidence de la République est ex-officio président du conseil d'administration de la Société nationale des hydrocarbures, usine à fric de l'Etat. L'affaire de l'achat manqué d'un avion présidentiel indique sa place dans la manipulation des milliards de cette entreprise pétrolière d'Etat. Ses indemnités de Pca, estimées à quelques dizaines de millions de francs CFA par an, suffiraient à le mettre à l'abri du besoin. Enfin, les «petits cadeaux», très nombreux, que diverses personnalités jugent bon de lui offrir pour soit obtenir une promotion, soit garder leurs postes. Le SG/PR ne les accepte pas toujours, mais il ne les refuse pas tous.


3.- «Sur les très hautes instructions du Président de la République...»

Le symbole du pouvoir de ce proche collaborateur du chef de l'Etat réside dans les termes des correspondances officielles qu'il adresse, même au Premier ministre, pour la mise en œuvre d'une instruction présidentielle. «Sur les hautes instructions du président de la République...» peut ainsi donner des insomnies à n'importe quel dirigeant. Personne, en effet, dans la nomenklatura n'est dupe du rôle du SG/PR aux côtés du chef de l'Etat. Il est de ce fait redouté et respecté. Même si M. Marafa Hamidou Yaya aimait dire, à son époque, qu'il est «secrétaire d'abord, général ensuite» (in L'Action, n°222 du 02 au 07 mai 2001).

A la vérité, la puissance politico-administrative du SG/PR n'a pas toujours été aussi prééminente. Quand M. Paul Biya quitte cette fonction en 1975, il part avec une partie du pouvoir à la primature. Samuel Eboua, son successeur de 1975 à 1982, avait «rang et prérogative de ministre d'Etat». Le 27 avril 2001, Marafa Hamidou Yaya, ministre SG/PR depuis décembre 1997, est nommé ministre d'Etat SG/PR, comme le fut M. Paul Biya avant lui. Est-ce dès cette date que l'avenir de ce fils de la Bénoué, qu'on a érigé en successeur, a tourné? Nul ne sait, mais les attitudes du chef de l'Etat vis-à-vis des SG/PR sont ambiguës.


4.- L'ivresse du pouvoir

Depuis le retour du multipartisme en 1991, M. Paul Biya a usé six SG/PR, soit un tous les trois ans. «Il les essore, parce que c'est une fonction prenante, puis, depuis Titus Edzoa, il les étouffe et les cannibalise», dit un observateur. M. Titus Edzoa et Atangana Mebara sont en prison. M. Marafa Hamidou Yaya vient de les y rejoindre. M. Joseph Owona semble hors-circuit, revenu à ses anciennes amours: l'enseignement du droit. Celui qui a le moins duré à cette fonction est celui qui en souffre le moins: Amadou Ali, vice-Premier ministre chargé des Relations avec les Assemblées. M. Laurent Esso a été démis de cette fonction le 9 décembre 2011, et s'occupe désormais de la Justice.

Pour la plupart, les SG/PR ont subi les tentations du palais. Ces grands pouvoirs que vous confèrent la fonction et la proximité avec le chef suprême, et ces flatteries empoisonnées que le Président glisse parfois au creux de l'oreille. «De nombreux visiteurs me demandent de vous nommer ministre de l'Economie et des Finances, mais je ne souhaite pas que vous vous occupiez de la quincaillerie», dit M. Paul Biya à un SG/PR. «Je vous ai appelé à mes côtés pour que vous vous imprégniez des grands dossiers de l'Etat», susurre-t-il à un autre. Une confession accoucheuse de griserie pour le confident, qui se voit déjà calife à la place du calife. M. Paul Biya retourne aussi souvent à son SG/PR les correspondances reçues de diverses personnalités qui l'accablent.

Enfin la délégation de signature, qui érige le SGPR en président de fait, lui qui est déjà normalement le vice-dieu. Au regard du sort qui est réservé aux occupants de la fonction, il faut bien convenir qu'elle est à hauts risques.


10/05/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres