Scandale en milieu universitaire: Pascal Charlemagne Messanga Nyamnding pris en flagrant délit de plagiat

YAOUNDE - 27 OCT. 2015
© Michel Tafou | La Météo

 

L’universitaire et homme politique aurait repris, mot pour mot, une publication attribuée à  Paul N’gouah-Beaud, en prenant la précaution d’en modifier le titre.  Une accusation anonyme a permis de découvrir le pot aux roses. Néanmoins, un doute plane.

 

 

Pascal C. Messanga Nyamding
Photo: (c) Cameroon-Info.Net

Y-a-t-il une différence entre «Peut-on envisager la translation du concept de constitution hors du cadre étatique ?» du Gabonais Paul N’gouah-Beaud  et «Peut-on envisager la translation du concept de la constitution dans le cadre juridique international ?» que signe le Camerounais Pascal Charlemagne Nyamnding Messanga dans une revue éditée en 2007 par l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) ?  La réponse coule de source quand on a eu sous les yeux les deux publications (voir extraits ci-dessous). Hormis la légère divergence de  titre, les deux textes sont identiques : mêmes phrases, mêmes ponctuations, mêmes références bibliographiques, mêmes citations, mêmes nombres de pages, mêmes intertitres, mêmes coquilles. Ça arrive que deux esprits brillants se rencontrent. Au plus fort de la guerre froide, deux inventeurs (un Soviétique et un Américain) vivant à des milliers de km l’un de l’autre, n’ayant jamais eu à communiquer, ont conçu au même moment et pour le compte de leur pays respectif, une technologique en tous points similaires et au potentiel meurtrier égalable. Faut-il donc croire que N’gouah-Beaud et Messanga Nyamnding ont eu la même inspiration, même si ce n’est pas au même moment ? Le premier a écrit sa réflexion en 2002. Celle du second a fait l’objet d’une publication dans la Revue camerounaise d’études internationales de l’Iric en 2007.  

 

Embarras à l’Iric.

Dans le domaine du plagiat, disent les spécialistes rencontrés, l’antériorité de la publication est un argument non négligeable en ce qu’on ne peut plagier que ce qui existe. Or, il se trouve que la publication de Paul N’gouah-Beaud est bien antérieure à celle de Pascal Charlemagne Nyamnding Messanga. Pis, dans son texte querellé, l’enseignant camerounais ne réserve aucun espace à Paul  N’gouah-Beaud ne serait-ce que pour signaler qu’il s’est inspiré de lui. Ou pour rappeler, ne sait-on jamais,  que c’est plutôt ce dernier qui s’est inspiré de lui.  Autre chose, Il est évident que tout bon chercheur, Messanga Nyamnding en est un, ne pouvait ignorer l’existence d’un article scientifique intitulé « Peut-on envisager la translation du concept de constitution hors du cadre étatique ? » qui, au vu de sa profondeur, a dû faire des gorges dans les milieux universitaires. En présentant comme étant de son cru ledit article,  en retouchant le titre original, l’enseignant à l’Iric tombe pieds et poings liés sous le coup du plagiat.  Le nouveau petit Robert de langue française 2008 définit le plagiat comme « un vol littéraire, une copie, une imitation… »

 

Vendredi dernier à l’Iric, aucun responsable n’a supporté le regard du reporter de votre journal. La gêne était perceptible. Déjà au courant, l’établissement ne souhaite pas dire quelle suite il entend donner à l’affaire. Mais on voit mal comment l’Iric ne recevra pas son lot de boue dans ce scandale. Sa revue a publié un article sans en vérifier l’originalité. Ce qui est assommant d’amateurisme. Combien y en a-t-il des articles plagiés ?   


Abonné absent.

Manque de pot, La Météo n’a pu entrer en contact avec l’incriminé. Malgré maintes tentatives dont la dernière s’est faite peu avant que nous mettions finalement sous presse. Enseignant mordant doublé d’un panéliste percutant, le Pr. Pascal Charlemagne Nyamnding Messanga est une voix qui compte aussi bien dans les amphis que dans les médias qu’il écume depuis plus de dix ans aujourd’hui. Son dada sur les plateaux de télé et radio? Si Paul Biya n’avait pas existé il aurait fallu le créer. Est-ce là l’origine des problèmes actuels du spécialiste du droit dans un contexte politique où pour affaiblir le maître l’on tape sur son chien? « Gardons nous de déporter sur le terrain de l’université  les rivalités politiques», conseille un homme politique au parfum du plagiat. Mais l’accusation selon laquelle le maître de conférences à l’Iric aurait copié-collé en 2007 une recherche parue en 2002 a un côté grotesque qui autorise toutes les interprétations. Une question de bon sens : le Pr. Messanga Nyamnding manque-t-il de ressources intellectuelles pour créer ou même pour paraphraser habilement une œuvre existante ?  D’ailleurs un universitaire approché par votre journal s’est montré véridique: «  Deux auteurs peuvent avoir sur un même sujet un même regard. Mais chacun le traite avec ses propres mots. Quand on exploite à des fins de publication une œuvre déjà écrite, le jeu est de ne pas franchir la ligne qui sépare l’apport intellectuel du plagiat pur. Il faut être vraiment stupide pour piller un auteur et ne pas le citer dans son livre. » Parfois, les grands professeurs sont capables de grandes stupidités. Et ça c’est bien dommage !

 

Selon nos sources, le rectorat de l’université de Yaoundé II dont dépend l’Iric, le ministère de l’Enseignement supérieur et… la présidence de la République seraient informés des accusations de plagiat portées contre le Pr. Messanga Nyamnding. On ignore encore tout de la ligne de défense de ce dernier. Mais une chose est certaine, l’accusation de plagiat laissera des traces. D’autant plus que l’article aujourd’hui querellé avait valu à l’universitaire camerounais de passer maître de conférence. Un grade universitaire plus que jamais remis en question.

Michel Tafou



Accusation de plagiat: des preuves du plagiat à tout bout de lignes. Toutefois, gare à la manipulation tous azimuts


Mêmes phrases, mêmes ponctuations, mêmes coquilles, mêmes fautes, deux auteurs différents

Peut-on envisager la translation du concept de constitution hors du cadre étatique ? De Paul N’gouah-Beaud 

La notion de constitution est l’une des notions juridiques les plus inextricables et est susceptible de définitions divergentes. C’est une notion a priori simple “ mais dont chacun propose sa propre définition, témoignant ainsi de sa fausse évidence et de sa propre complexité ”.

 

Théoriquement, il existe autant de définitions possibles qu’il y a d’Etats au monde. Chaque Etat dispose en effet d’une constitution au sens large, c’est-à-dire d’un ensemble de règles, même les plus rudimentaires qui soient, qui l’organise. Il faut même considérer que tout Etat a obligatoirement une constitution car l’absence de celle-ci signifierait l’anarchie. Il en résulte une multitude et par conséquent une variété extraordinaire de constitutions étatiques. Dans la majeure partie des Etats existant à l’heure actuelle, la doctrine a pu développer sa propre définition de la notion de constitution. Une telle définition est le produit de l’histoire constitutionnelle, de la culture juridique nationale et du droit constitutionnel en vigueur. La notion de constitution est, de plus, tributaire du langage juridique et tout simplement de la langue nationale, de sa richesse terminologique et de sa logique interne. (…) Une controverse existe cependant de savoir si la notion de constitution peut être employée en dehors de l’Etat. Elle oppose les auteurs appartenant à la doctrine de droit public classique, qui réservent la notion de constitution exclusivement à la constitution de l’Etat, à d’autres, moins nombreux, qui considèrent comme Walter Hallstein que “ chaque groupement humain […] a une constitution. Elle ordonne les membres par rapport à l’ensemble, elle fixe les objectifs communs, elle organise le groupement



Peut-on envisager la translation du concept de la constitution dans le cadre juridique international
 ? de Pascal Charlemagne Nyamnding Messanga

 

La notion de constitution est l’une des notions juridiques les plus inextricables et est susceptible de définitions divergentes. C’est une notion a priori simple “ mais dont chacun propose sa propre définition, témoignant ainsi de sa fausse évidence et de sa propre complexité ”.

 

Théoriquement, il existe autant de définitions possibles qu’il y a d’Etats au monde. Chaque Etat dispose en effet d’une constitution au sens large, c’est-à-dire d’un ensemble de règles, même les plus rudimentaires qui soient, qui l’organise. Il faut même considérer que tout Etat a obligatoirement une constitution car l’absence de celle-ci signifierait l’anarchie. Il en résulte une multitude et par conséquent une variété extraordinaire de constitutions étatiques. Dans la majeure partie des Etats existant à l’heure actuelle, la doctrine a pu développer sa propre définition de la notion de constitution. Une telle définition est le produit de l’histoire constitutionnelle, de la culture juridique nationale et du droit constitutionnel en vigueur. La notion de constitution est, de plus, tributaire du langage juridique et tout simplement de la langue nationale, de sa richesse terminologique et de sa logique interne. (…)Une controverse existe cependant de savoir si la notion de constitution peut être employée en dehors de l’Etat. Elle oppose les auteurs appartenant à la doctrine de droit public classique, qui réservent la notion de constitution exclusivement à la constitution de l’Etat, à d’autres, moins nombreux, qui considèrent comme Walter Hallstein que “ chaque groupement humain […] a une constitution. Elle ordonne les membres par rapport à l’ensemble, elle fixe les objectifs communs, elle organise le groupement.

Extrait de Peut-on envisager la translation du concept de constitution hors du cadre étatique ? De Paul N’gouah-Beaud. Publié en 2002.

I – La constitution est-elle inhérente à l’Etat ?

La notion de constitution se rapporte à l’Etat. Elle a pris sa signification actuelle dans le cadre de l’Etat alors que ses origines remontent à un passé lointain. Faut-il alors réserver l’emploi de la notion de constitution aux seuls Etats ? La constitution est-elle un phénomène uniquement réservé au droit interne, à l’ordre juridique étatique ? On ne le pense pas. Au contraire, tout ordre juridique digne de ce nom – c’est-à-dire tout “ ensemble coordonné de normes, dotées de force obligatoire à l’égard de sujets déterminés, et dont la méconnaissance entraîne certaines conséquences définies ” –comporte nécessairement des normes d’organisation et de compétence qui règlent l’édiction des autres normes. Celles-ci forment la constitution de l’ordre juridique et du corps social qui leur donne naissance.

Puisque “ constitution ” est encore synonyme de “ constitution d’Etat ”, on conclut de l’utilisation du terme “ constitution ” à l’existence de l’Etat et inversement. La constitution est étatique et l’Etat est constitutionnel. Pour remédier à cet état de chose, il faut séparer clairement la notion de constitution et celle de l’Etat pour redonner ensuite à la première sa signification propre.

 

Un certain nombre d’arguments peuvent entrer en ligne de compte pour justifier un élargissement de la notion de constitution. D’abord, l’Etat contemporain ne peut plus prétendre être la seule forme légitime d’organisation sociale. Il apparaît au contraire “ comme la véritable corporation intermédiaire, relativisée de toutes parts, puisqu’il est enserré par des structures qui lui sont inférieures […], enfin, par des structures qui lui sont superposées ”. Si l’on continue cependant de réserver l’emploi de la notion constitution aux Etats, c’est par attachement à une vision introvertie et “ stato-centriste ” du droit. Non sans raison, car à partir du moment où le lien prétendument indissociable entre la notion d’Etat et celle de constitution est mise en doute, il en résulte une incertitude terminologique. Dès lors “ tout ce qui est possible peut avoir une “ constitution ”. Il n’en résulte aucune notion spécifique ”. Il faut alors rechercher un nouveau critère distinctif et le concept d’ordre juridique semble à cet égard prédestiné, car tout ordre juridique connaît nécessairement une norme ou un ensemble de normes fondamentales qui le régissent. Celles-ci forment sa constitution. La constitution est même en quelque sorte un “ système juridique in nuce puisqu’elle est le fondement sur lequel s’érigera graduellement l’ordre juridique ” (B). A l’heure actuelle, la notion de constitution demeure toutefois très liée à celle de l’Etat et il convient de l’aborder avant tout sous cet angle (A).

 

A – Par principe, le concept de constitution se rattache uniquement à l’Etat

Il est rare de rencontrer dans les manuels de droit public interne des considérations sur la constitution sans qu’il soit question de la loi fondamentale de l’Etat. Certes, cet état des choses ne surprend personne ; il fait montre néanmoins du fait que la pensée constitutionnelle demeure selon les termes de Pierre Pescatore “ doublement introvertie ; fermée premièrement sur le phénomène “ Etat ” ; fermée deuxièmement sur le droit positif d’un Etat déterminé ”. Dans la mesure où l’on veut ci-après justifier une extension de la notion de constitution, il convient d’abord de soumettre cette vision “ introvertie ” à une analyse critique. Une observation du constitutionnaliste suisse Jean-François Aubert servira de point de départ au raisonnement. Après avoir écarté la définition de la constitution comme ayant “ pour objet de régler l’organisation d’un corps politique ” au motif que celle-ci ne correspond plus aux temps modernes, cet éminent auteur poursuit : “ Nous dirons donc que la constitution a pour objet primordial de régler l’organisation d’un Etat. Si la constitution se rapporte nécessairement à l’Etat, s’il n’y a pas, au sens où nous prenons ce terme, de constitution sans Etat, on peut aussi dire, à l’inverse, qu’il n’y a pas, en tant normal, d’un Etat sans constitution, parce qu’il n’y a pas d’Etat sans organisation, faute de quoi le corps politique ne serait qu’une collection d’individus plongée dans l’anarchie et impropre à former un Etat ”.

 

Aussi, tout est dit dans la formule très dense : pas d’Etat sans constitution et pas de constitution sans Etat. Cette doctrine, représentative de la doctrine de droit public interne, est basée sur deux affirmations qu’il convient d’examiner tour à tour. A la réflexion, la première partie de l’affirmation – il n’y aurait pas d’Etat sans constitution – n’apporte rien à la définition de la constitution et très peu à celle de l’Etat. En affirmant que tout Etat a nécessairement une constitution car un Etat sans constitution représenterait l’anarchie, on se réfère au concept empirique de la constitution c’est-à-dire à celui qui avait cours avant l’avènement de la nation moderne : Aristote parlait déjà de la constitution d’une cité. Par là on ne démontre rien d’autre que le fait que l’Etat a besoin pour exister d’un minimum d’organisation. Cette signification nous amènerait à considérer la constitution comme consubstantielle de l’Etat. Mais en disant que tout Etat a une constitution, on n’a pas dit grand-chose.

 

Il faut aussi écarter un malentendu qui tient à la confusion entre un Etat ayant une constitution et un Etat constitutionnel, c’est-à-dire un Etat constitué conformément aux exigences du constitutionnalisme. Il peut y avoir des Etats sans “ véritable ” constitution. L’exemple de la Grande-Bretagne prouve aussi qu’un Etat peut très bien s’accommoder de l’absence d’une constitution au sens formel. L’expérience historique montre enfin qu’au cours de périodes révolutionnaires et transitoires il est souvent difficile de savoir quelle est la constitution en vigueur dans un Etat. Tous ces éléments plaident en faveur de l’abandon du point de vue initial. En effet, ou l’affirmation selon laquelle tout Etat a une constitution est une tautologie, ou “ l’Etat est supérieur à la constitution, c’est lui qui la crée, il la précède et il arrive qu’il lui survive ”.

 

Au reste, il semble résulter de la définition de constitution telle qu’on l’a exposée précédemment qu’elle a davantage le pouvoir pour objet que l’Etat. Dire que la constitution crée l’Etat puisque, mis à part le cas spécifique des Etats fédéraux, l’Etat est un fait né d’un processus historique et non une créature de droit. L’existence d’une constitution n’est pas non plus un élément de définition de l’Etat puisque ce dernier “ est communément défini comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé ; […] il se caractérise par la souveraineté ”. Sauf à conclure de l’existence d’un pouvoir politique organisé à celle d’une constitution au sens empirique, il est donc abusif de postuler qu’il n’y a pas d’Etat sans constitution.

Qu’en est-il maintenant de la deuxième partie de l’affirmation : il ne peut y avoir de constitution sans Etat ? Assertion autrement plus importante car elle a pour objet de réduire considérablement la notion de constitution. D’ailleurs, Paul Kirchhof, juge à la Cour constitutionnelle allemande, a récemment défendu de la manière la plus catégorique cette position doctrinale. Plaidant pour une discipline rigoureuse en ce qui concerne les notions afin d’introduire davantage de clarté d’expression dans la discussion juridique, il avance que “ nous entendons par constitution, l’ordre fondamental de l’Etat légitimé dans les démocraties par le peuple. Sans Etat, pas de constitution et sans peuple, pas d’Etat”.

 





Extrait de Peut-on envisager la translation du concept de la constitution dans le cadre juridique international ? de Pascal Charlemagne Nyamnding Messanga. Publié en 2007.

I – La constitution est-elle inhérente à l’Etat ?

La notion de constitution se rapporte à l’Etat. Elle a pris sa signification actuelle dans le cadre de l’Etat alors que ses origines remontent à un passé lointain. Faut-il alors réserver l’emploi de la notion de constitution aux seuls Etats ? La constitution est-elle un phénomène uniquement réservé au droit interne, à l’ordre juridique étatique ? On ne le pense pas. Au contraire, tout ordre juridique digne de ce nom – c’est-à-dire tout “ ensemble coordonné de normes, dotées de force obligatoire à l’égard de sujets déterminés, et dont la méconnaissance entraîne certaines conséquences définies ” –comporte nécessairement des normes d’organisation et de compétence qui règlent l’édiction des autres normes. Celles-ci forment la constitution de l’ordre juridique et du corps social qui leur donne naissance.

Puisque “ constitution ” est encore synonyme de “ constitution d’Etat ”, on conclut de l’utilisation du terme “ constitution ” à l’existence de l’Etat et inversement. La constitution est étatique et l’Etat est constitutionnel. Pour remédier à cet état de chose, il faut séparer clairement la notion de constitution et celle de l’Etat pour redonner ensuite à la première sa signification propre.

 

Un certain nombre d’arguments peuvent entrer en ligne de compte pour justifier un élargissement de la notion de constitution. D’abord, l’Etat contemporain ne peut plus prétendre être la seule forme légitime d’organisation sociale. Il apparaît au contraire “ comme la véritable corporation intermédiaire, relativisée de toutes parts, puisqu’il est enserré par des structures qui lui sont inférieures […], enfin, par des structures qui lui sont superposées ”. Si l’on continue cependant de réserver l’emploi de la notion constitution aux Etats, c’est par attachement à une vision introvertie et “ stato-centriste ” du droit. Non sans raison, car à partir du moment où le lien prétendument indissociable entre la notion d’Etat et celle de constitution est mise en doute, il en résulte une incertitude terminologique. Dès lors “ tout ce qui est possible peut avoir une “ constitution ”. Il n’en résulte aucune notion spécifique ”. Il faut alors rechercher un nouveau critère distinctif et le concept d’ordre juridique semble à cet égard prédestiné, car tout ordre juridique connaît nécessairement une norme ou un ensemble de normes fondamentales qui le régissent. Celles-ci forment sa constitution. La constitution est même en quelque sorte un “ système juridique in nuce puisqu’elle est le fondement sur lequel s’érigera graduellement l’ordre juridique ” (B). A l’heure actuelle, la notion de constitution demeure toutefois très liée à celle de l’Etat et il convient de l’aborder avant tout sous cet angle (A).

 

A – Par principe, le concept de constitution se rattache uniquement à l’Etat

Il est rare de rencontrer dans les manuels de droit public interne des considérations sur la constitution sans qu’il soit question de la loi fondamentale de l’Etat. Certes, cet état des choses ne surprend personne ; il fait montre néanmoins du fait que la pensée constitutionnelle demeure selon les termes de Pierre Pescatore “ doublement introvertie ; fermée premièrement sur le phénomène “ Etat ” ; fermée deuxièmement sur le droit positif d’un Etat déterminé ”. Dans la mesure où l’on veut ci-après justifier une extension de la notion de constitution, il convient d’abord de soumettre cette vision “ introvertie ” à une analyse critique. Une observation du constitutionnaliste suisse Jean-François Aubert servira de point de départ au raisonnement. Après avoir écarté la définition de la constitution comme ayant “ pour objet de régler l’organisation d’un corps politique ” au motif que celle-ci ne correspond plus aux temps modernes, cet éminent auteur poursuit : “ Nous dirons donc que la constitution a pour objet primordial de régler l’organisation d’un Etat. Si la constitution se rapporte nécessairement à l’Etat, s’il n’y a pas, au sens où nous prenons ce terme, de constitution sans Etat, on peut aussi dire, à l’inverse, qu’il n’y a pas, en tant normal, d’un Etat sans constitution, parce qu’il n’y a pas d’Etat sans organisation, faute de quoi le corps politique ne serait qu’une collection d’individus plongée dans l’anarchie et impropre à former un Etat ”.

 

Aussi, tout est dit dans la formule très dense : pas d’Etat sans constitution et pas de constitution sans Etat. Cette doctrine, représentative de la doctrine de droit public interne, est basée sur deux affirmations qu’il convient d’examiner tour à tour. A la réflexion, la première partie de l’affirmation – il n’y aurait pas d’Etat sans constitution – n’apporte rien à la définition de la constitution et très peu à celle de l’Etat. En affirmant que tout Etat a nécessairement une constitution car un État sans constitution représenterait l’anarchie, on se réfère au concept empirique de la constitution c’est-à-dire à celui qui avait cours avant l’avènement de la nation moderne : Aristote parlait déjà de la constitution d’une cité. Par là on ne démontre rien d’autre que le fait que l’Etat a besoin pour exister d’un minimum d’organisation. Cette signification nous amènerait à considérer la constitution comme consubstantielle de l’Etat. Mais en disant que tout Etat a une constitution, on n’a pas dit grand-chose.

 

Il faut aussi écarter un malentendu qui tient à la confusion entre un Etat ayant une constitution et un Etat constitutionnel, c’est-à-dire un Etat constitué conformément aux exigences du constitutionnalisme. Il peut y avoir des Etats sans “ véritable ” constitution. L’exemple de la Grande-Bretagne prouve aussi qu’un Etat peut très bien s’accommoder de l’absence d’une constitution au sens formel. L’expérience historique montre enfin qu’au cours de périodes révolutionnaires et transitoires il est souvent difficile de savoir quelle est la constitution en vigueur dans un Etat. Tous ces éléments plaident en faveur de l’abandon du point de vue initial. En effet, ou l’affirmation selon laquelle tout Etat a une constitution est une tautologie, ou “ l’Etat est supérieur à la constitution, c’est lui qui la crée, il la précède et il arrive qu’il lui survive ”.

 

Au reste, il semble résulter de la définition de constitution telle qu’on l’a exposée précédemment qu’elle a davantage le pouvoir pour objet que l’Etat. Dire que la constitution crée l’Etat puisque, mis à part le cas spécifique des Etats fédéraux, l’Etat est un fait né d’un processus historique et non une créature de droit. L’existence d’une constitution n’est pas non plus un élément de définition de l’Etat puisque ce dernier “ est communément défini comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé ; […] il se caractérise par la souveraineté ”. Sauf à conclure de l’existence d’un pouvoir politique organisé à celle d’une constitution au sens empirique, il est donc abusif de postuler qu’il n’y a pas d’Etat sans constitution.

 

Qu’en est-il maintenant de la deuxième partie de l’affirmation : il ne peut y avoir de constitution sans Etat ? Assertion autrement plus importante car elle a pour objet de réduire considérablement la notion de constitution. D’ailleurs, Paul Kirchhof, juge à la Cour constitutionnelle allemande, a récemment défendu de la manière la plus catégorique cette position doctrinale. Plaidant pour une discipline rigoureuse en ce qui concerne les notions afin d’introduire davantage de clarté d’expression dans la discussion juridique, il avance que “ nous entendons par constitution, l’ordre fondamental de l’Etat légitimé dans les démocraties par le peuple. Sans Etat, pas de constitution et sans peuple, pas d’Etat”.

 



28/10/2015
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