Santchou:L’absence de Mila Assoute favorise le désordre
Depuis l’exil volontaire du chef supérieur du canton Mbo de Sanzou, de mauvaises habitudes se multiplient au sein de la vingtaine de villages qui constituent son territoire de commandement.Du 14 au 16 août prochain, se tiendra la cinquième assemblée générale du comité de développement du groupement San Nzock (Santchou selon l’appellation officielle).
Cette rencontre porte sur le thème suivant : « une autorité traditionnelle forte, une jeunesse dynamique et une intelligentsia efficace, acceptées et soutenues de tous, au service du développement et de l’émergence du groupement San Nzock ». Mis à part la langue de bois, ce thème reflète assez clairement la situation sur le terrain. A l’occasion, il est annoncé une « célébration de l’excellence académique » parrainée par le Pr Maurice Nkam, directeur du Centre hospitalier et universitaire de Yaoundé. Depuis peu, c’est lui ou François Ngoubene, l’ex-agent comptable de l’ambassade du Cameroun aux Etats Unis.
En effet depuis une décennie, les autorités administratives de la Menoua doivent faire sans un de leurs collaborateurs, le chef supérieur de Santchou. Lorsqu’ils y sont en tournée, ils doivent se contenter de cette élite et des bonnes dispositions d’un représentant, l’ex-maire Timothée Etizock, qui ne peut pas aller au-delà des pouvoirs qui lui ont été délégués.
Homme charismatique et introduit dans le sérail, Mila Assoute imposait le respect à ses sujets. Depuis son départ pour la France, les choses ont bien changé. « En plus des anciennes rivalités entre les ressortissants des rives droite et gauche de la rivière Nkam, 70% de nos chefferies connaissent une instabilité. Certaines ne sont même pas reconnues par l’Etat », résume une élite.
Le mardi, 16 septembre 2014, au soir, le préfet de la Menoua, Joseph Bertrand Mache, avait présidé une séance de travail avec des notabilités traditionnelles mbo, dans la salle des fêtes de la commune de Santchou. Ces derniers, issus des villages Fonguetafou et Bebong, avaient formulé des requêtes en vue de la destitution de leurs chefs, tous de 3ème degré.
Au premier, ils reprochent une certaine torpeur dans l’accélération du développement du village, ainsi que des actes de prévarication liés à l’organisation des cérémonies traditionnelles, et, au second, une absence de légitimité.
Dans la guerre des clans qui s’est installée, la paix sociale a pris un coup. Des batailles rangées se multiplient. Querelle des chefs. Le 15 avril 2015, lors de sa tournée économique à Ngwatta, siège de la chefferie supérieure San Nzock (cette appellation est nouvelle,ndlr), le même préfet a souffert des revendications de ces « notables », qui veulent à tout prix destituer le chef. Contre les conseils du chef de terre, le porte-parole des dissidents, lecteur d’un long pamphlet, a terminé son propos, coupé par le protocole, en ces mots : « tant que M. Mfokock Benjamin est au pouvoir à Fonguetafou, le village n’aura pas la paix ». Le chasse-mouche de ce dernier est tombé alors qu’il allait se justifier contre l’avis du protocole.
Au représentant du chef supérieur, le préfet a eu ces mots : « ces gens sont instrumentalisés. Certes la feuille de présence porte beaucoup de signatures, mais c’est une seule personne qui a tout écrit et signé (...) Si on demande aux gens de parler individuellement, il y en aura nombreux qui vont dire qu’ils ne savent pas ce qui se passe ». Il en a profité pour fustiger l’ingérence de l’élite dans les affaires coutumières, notamment les questions de chefferie, l’exploitation illégale du vaste domaine de la défunte Soderim,l’absence de titre foncier sur les propriétés, la manipulation des autorités administratives, etc. « Villages » du même groupement Fonguetafou, du chef Benjamin Mfokock, a des problèmes de terre et de leadership avec ses voisins.
Il y a six ans, il avait fallu négocier dur pour loger le Collège d’enseignement secondaire créé par l’Etat, parce que le site choisi à Echiock est considéré comme un no man’s land. Pour sa part, Bebong, aujourd’hui commandé par l’ancien proviseur, Justin Atiogué, a vécu une crise de succession pendant dix ans. Le dimanche 10 août 2014, les gendarmes y étaient intervenus, après des échauffourées qui ont fait une dizaine de blessés.
Malgré l’interpellation des récalcitrants, le calme n’est pas revenu.La bagarre s’était déclenché lorsqu’un groupe d’« ébachi » [une société secrète censée assurer la purification et la protection du village], s’est opposé à un autre groupe mystique, créé pendant la vacance à la tête du village, entre 2002 et 2012.
A leur grande déception, le préfet leur a rappelé que l’autorité administrative n’a pas pour mission de destituer les chefs intronisés selon des rites coutumiers, mais de les encadrer.
Manipulations
Des rencontres comme celles là, il y en a des dizaines, depuis que Mila Assoute n’est pas là.
Le lundi 14 mai 2012, plus d’une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants avaient envahi le carrefour de la compagnie de gendarmerie à Dschang. Dépenaillés et portant pour certains des blessures sur le corps, ces originaires de Bamendou [village bamiléké de Penka Michel, ndlr] se présentaient comme les « chassés de Nden Matock ».
Dans ce village de Sanzou, des «purges tribales » avaient eu lieu une semaine avant. Ils soulignaient qu’en attendant la mise en application des directives édictées par Midjiyawa Bakari, le gouverneur de l’Ouest d’alors, au cours d’une réunion de crise le mercredi 9 mai 2012 à Santchou, ils étaient retournés à Nden Matock. « Ils [les autochtones Mbo, ndlr] nous ont de nouveau attaqués. Nous avons fui dans la précipitation », selon Florence Magne. Actes de naissance de ses enfants, des effets importants périrent dans le feu. Célestine Madebou, une autre victime rapportait que huit maisons avaient été passées au feu. En face, et malgré les menaces de l’administration, on tenait le discours de la protection des minorités.
Lors du défilé du 20 mai, l’école publique du village défila avec moins de 10 élèves. Dans le sillage de ces malheureux événements Rosin Ewoungo, le chef de ce village situé dans la réserve de faune de Santchou, fut condamné à trois ans de prison avec sursis, ainsi que quatre de ses coaccusés. Ses soucis judiciaires ne seraient pas finis. Encore que le gouverneur avait prescrit le déguerpissement des populations qui occupent illégalement la réserve. « Si le chef [Mila Assoute, ndlr] était là, toutes ces choses ne seraient pas arrivées », regrette un notable loyal. Parce qu’aujourd’hui, le groupement Sanzou ce sont de nouveaux villages qui veulent être reconnus, ce sont des chefs qu’on veut remplacer parce qu’ils gèrent mal la tradition ou les terres, ce sont encore des chefs qui souhaitent l’éclatement de la chefferie supérieure pour s’offrir, eux aussi, un juteux strapontin.
Profitant de l’absence à la chefferie supérieure Sanzou de Pierre Mila Assoute, ceux qui se plaignent aujourd’hui auraient multiplié des sociétés secrètes, pour asseoir leur volonté de restructurer le village. Selon nos sources, le ministère de l’Administration territoriale serait inondé de correspondances dans ce sens.
Tolérance administrative
Mais l’administration s’accomode de cet exil. En dehors d’Irenée Ngalim Ngong, qui lors de sa tournée de prise de contact, le 14 novembre 2008, avait exigé son retour, les autres préfets affectés dans la Menoua semblent se contenter des difficultés qu’il y a à gérer un groupement d’importance, sans le chef. Ngalim Ngong avait déclaré : « Dites à Sa Majesté Mila Assouté que je voudrais le voir. Même s'il a des problèmes, qu'il rentre nous aider à encadrer les populations en tant qu'auxiliaire de l'administration ». A l’époque, la riposte était venue, non pas du chef, mais de ses lieutenants dans le parti qu’ils avaient créé, le Rassemblement démocratique pour la Modernité du Cameroun (Rdmc).
Dans une tribune parue chez notre confrère Mutations du 27 novembre 2008, les camarades de l’ancien chef de file des modernistes du Rdpc avaient démontré que Mila Assouté était en danger de mort au Cameroun. Huit ans plus tard, il continue de régner sur ce groupement de 26 villages, à partir de l’étranger. « Le chef est en contact avec l’administration à travers un représentant qu’il a désigné et qui gère les affaires courantes du groupement. Quand c’est important, il intervient avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication », rassure-t-on.
Seulement, les populations de Santchou, toutes origines confondues, ne sont pas des agneaux. Et donc, les problèmes sont nombreux.
Au palais de justice de Dschang, compétent pour connaître des affaires soumises par les populations de Dschang, Fokoué, Penka Michel, Fongo Tongo, Nkong-Ni et Santchou, il arrive que le tiers des procès inscrits au rôle des audiences correctionnelles vienne de chez Mila Assoute. Les litiges fonciers, l’escroquerie et les actes de sorcellerie figurent en bonne place dans les plaintes.
Dans sa relation aux communautés avec lesquelles ils cohabitent dans cet espace de plaine, les Mbos se plaignent d’envahissement, tandis que les autres reprochent leur « gourmandise politique ».
Depuis la création du district de la plaine des Mbo et plus tard de l’arrondissement de Santchou, les postes de maire et de député sont toujours occupés par des ressortissants de cette communauté, qui se considère comme une minorité à l’Ouest.
Les arbitrages sont difficiles. Les choses se corsent ces dernières années, où le chef n’est plus dans l’appareil du parti au pouvoir, pour dicter la conduite à suivre. Pouvoir mystique contre balles...
Les villageois de Santchou ne se souviennent plus des circonstances de son départ du Cameroun. Juste, quelques uns répètent que le chef «se cherche » chez les Blancs, après les complications de notre système de gouvernance.
Sans partager sa décision de s’exiler, des gardiens de la tradition continuent d’admettre que sa vie est en danger.« Nous avons les moyens mystiques de le faire rentrer, mais nous ne pouvons rien contre les balles avec lesquelles on l’a attaqué », soutenait par exemple Jean Bosco Milat, de l’époque où il représentait le chef supérieur. Il a été destitué de cette fonction de coordination, depuis qu’il a embrassé une église réveillée. Mais avant de partir, il signalait des dysfonctionnements dans la conduite des affaires traditionnelles.
L’évolution de l’actualité, avec les nombreux dossiers de l’Opération Epervier n’y serait-elle pour rien ? A Santchou, l’on admet facilement qu’on ne doit pas faire rentrer le chef pour qu’on le tue.
En 2008 déjà, ses camarades politiques rappelaient au préfet que «les tracasseries, les intimidations,les persécutions multiformes organisées pour détruire Mila Assouté (…) et (qui) se poursuivent encore l'ont déterminé à choisir l'exil en France où il travaille actuellement avec ses équipes, pour l'avènement
d'un Cameroun moderne ».
Un retour triomphal à la tête du pays sauvera sans sa chefferie.